Chapitre 8-4

1740 Words
— Je me dissimule pour les prendre à revers si ce sont des ennemis. Toi, continue ton chemin. Tristan ouvrit la bouche comme pour protester, puis se tut. Immédiatement, Sekkaï se cacha derrière un bosquet d'arbres plus touffu que les autres et attendit l'arrivée des nouveaux venus. Identifiant les cavalières dès qu'elles devinrent visibles, il talonna sa monture pour les rejoindre. L'entendant, Naaly réagit aussitôt et, son arme dégainée, elle s'interposa entre lui et Merielle avant de le reconnaître. — Mais que faites-vous ici ? explosa froidement Sekkaï. Vous êtes complètement insensées ! Merielle, tu connais les dangers de cette forêt, comment as-tu pu prendre un tel risque ? La princesse apparut toute contrite. Elle n'ignorait pas qu'elle commettait une erreur au moment même où elle avait accepté la folle proposition de Naaly. Comment pourrait-il comprendre son explication sur le fait qu'un gage l'engageait plus qu'une parole donnée ? Si le gage était vraiment responsable de sa présence en ce lieu… — Pas plus que toi, il me semble, répliqua Naaly. Sekkaï tourna son regard vers elle. Il était furieux. — Cette idée déraisonnable ne peut provenir que de toi ! Comment peux-tu justifier de mettre ainsi ma sœur en danger ? — Je saurai la défendre ! rétorqua-t-elle. — Parce que tu te crois de taille à affronter plusieurs hommes, alors que tu t'es fait battre par un seul ? Sentant la situation sur le point de dégénérer, Merielle s'interposa entre les deux cavaliers, tandis que Tristan les rejoignait. — Ça suffit tous les deux ! Pour l'instant, rien n'est arrivé à personne, mais la nuit ne devrait pas tarder et nous devons songer à nous trouver un abri. — As-tu prévenu Aubin de votre départ et du mien ? J'avais laissé le mot sur ton lit à cet effet. Un instant, Merielle sembla encore plus ennuyée. Son frère ajouta : — Quelle question stupide ! Si tu l'avais fait, tu ne serais pas ici ! — Non, mais j'ai placé le message bien en évidence dans ma chambre. Ils doivent déjà l'avoir récupéré à l'instant où nous parlons. Sekkaï poussa un soupir. Très fâché contre sa sœur, il précisa pour augmenter la pression sur elle : — Espérons que nous trouverons un refuge avant la nuit, sinon nous devrons dormir dans la forêt, sur un sol humide grouillant de petites bêtes… À cette évocation, la princesse, habituée à sa vie au château, frémit, puis se ressaisit aussitôt. Sans même sembler se préoccuper d'elle, son jumeau reprit la route au trot en compagnie de Tristan. Les deux filles échangèrent un regard avant de les suivre. Personne ne songea plus à rompre le silence pesant qui s'installa sur le groupe. Depuis combien d'heures attendait-elle sous l'eau ? Aila l'ignorait, mais, à présent, elle ne supportait plus cette quasi-immobilité. Souhaitant de toute son âme que la chance l'accompagnât, elle remonta doucement vers la surface, fendant au passage la couche d'algues vertes. D'un geste lent, elle se débarrassa du rideau végétal qui lui voilait le visage et les yeux, dégageant ses oreilles. Enfin, elle put observer le paysage, son ouïe en éveil. Ne s'élevaient plus autour d'elle que le chant des oiseaux et le bruit léger du vent dans les feuilles ; ceux qui l'avaient pourchassée avaient déserté le lieu, probablement depuis longtemps. Totalement ankylosée, elle se redressa avec difficulté, chacun de ses muscles, douloureux, s'opposant à tout mouvement. Les premiers de ses pas vers la rive s'accompagnèrent d'une sensation de vertige qu'elle tenta de contrôler. Elle resta un instant immobile, puis, pas après pas, se rapprocha de la berge. Quand enfin elle l'atteignit, elle s'effondra sur le bord, nauséeuse, le cœur battant de façon accélérée. Bientôt, son corps entier se contracta et, agenouillée sur le sol, elle vomit le maigre contenu de son estomac. Depuis quand n'avait-elle pas mangé ? Après son rapide petit déjeuner du matin, rien, et ses réserves de nourriture se trouvaient dans son sac, bien trop loin d'ici… Elle se sentit incapable de retourner le chercher comme de bouger. À bout de force, elle s'écroula par terre puis s'endormit. À son réveil, le jour déclinait. Puisant le peu d'énergie qu'elle avait reconstituée, elle prit conscience, au moment de se relever, que son état de faiblesse avait persisté. Elle avait besoin d'aide. Son kenda ! Son regard se posa sur lui, planté au milieu des joncs, puis, à quatre pattes, elle s'en rapprocha et s'arma de patience pour l'extirper de son cocon de boue collant et nauséabond. Un rapide séjour dans l'eau le nettoya grossièrement, puis, s'appuyant dessus, elle se redressa progressivement, luttant toujours contre la sensation de vertige qui s'amplifiait au fur et à mesure qu'elle prenait de la hauteur. De nouveau immobile, elle s'attacha à calmer cet étourdissement qui faisait se rejoindre le ciel et la terre. Enfin, elle se sentit capable de mettre un pied devant l'autre. Sans s'interroger sur la meilleure direction à emprunter, elle s'engagea sur une petite voie, face à elle, qui partait vers l'ouest. Aila n'en pouvait plus. Elle butait sur chaque obstacle. Tombée à plusieurs reprises, se relever lui demandait un effort chaque fois plus grand. Le jour venait de s'éteindre et sa route, croisant de multiples sentes n'avait débouché nulle part. À présent, elle longeait un versant qui dévalait vers une rivière en contrebas et le terrain, plutôt accidenté dans cette partie de la forêt, ne lui facilitait guère la tâche. Sur le point de renoncer et de dormir à même le sol, son regard accrocha une lumière au loin. Enfin, elle le crut. Ses yeux rivés vers l'endroit où elle semblait l'avoir aperçue, elle dédaigna d'observer le chemin. Bien mal lui en prit, car la terre s'étant effondrée à la suite des pluies de ces derniers jours, son pied se posa dans le vide. Sans lâcher son kenda, elle roula dans la pente et finit sa course éperdue dans un arbre. La violence du choc l'amena à perdre connaissance un instant. Quand elle revint à elle, seule la lueur entrevue rejaillit dans sa mémoire. Elle se redressa lentement, sensible aux palpitations douloureuses de sa tempe droite. Y portant la main, elle toucha le sang qui s'écoulait de sa blessure. Cherchant un bâton pour l'aider à se relever, elle en aperçut un près d'elle dont elle s'empara. Elle se leva et prit le parti de couper entre les arbres pour rejoindre la lumière. Au fur et à mesure que l'éclat s'amplifiait, la confiance d'Aila augmentait. Elle y parviendrait. Cependant, plus elle consentait d'efforts, plus sa tête la faisait souffrir et plus elle devait s'arrêter, retardant d'autant le moment de la rallier. À présent, encore une centaine de mètres et elle atteindrait son objectif, une petite maison forestière. Soudain, la porte du lieu s'ouvrit et une silhouette dans la clarté intérieure se hissa sur la pointe des pieds pour attraper la lanterne et la rentrer. Le battant de nouveau clos, l'ombre se referma totalement sur Aila, provoquant dans son esprit épuisé, un véritable sentiment de panique. Non ! Elle accéléra le pas, cherchant à regagner au plus vite l'abri convoité. Presque parvenue à destination, elle ne vit pas une pierre plate qui dépassait de la terre et, son pied la heurtant, elle s'étala. Profondément choquée, incapable de se redresser, elle se mit à ramper, lentement, très lentement, lançant des appels que personne n'entendit. Alors que les larmes montaient à ses yeux, elle réalisa qu'elle allait échouer à quelques mètres de l'habitation. Prostrée sur le sol, elle abandonna. De nouveau, la porte de la maison s'ouvrit et un homme replaça la lanterne en bougonnant légèrement. — Qu'est-ce que tu dis, papa ? interrogea une voix puissante qui provenait de l'intérieur des murs. — Rien. Je pars chercher l'eau que tu demandes. Il se baissa et ramassa un broc qui traînait sur le côté, puis s'avança de quelques pas avant de se figer. Plissant les yeux, il tenta de distinguer ce que pouvait bien être la masse sombre inhabituelle sur son terrain. — Maman ! cria-t-il. Apporte une chandelle. Je crois qu'une bête est venue mourir devant chez nous, mais je n'arrive pas à voir laquelle. Ça m'a l'air gros quand même… Quelques bruits résonnèrent dans la maison et une femme à la morphologie imposante sortit avec une bougie. Elle se dirigea vers l'ombre au sol, quand, parvenue à la hauteur de son mari, sec comme une trique, ce dernier la retint. — C'est trop dangereux, n'y va pas. Elle se dégagea des doigts de son époux. — Nous devons savoir ce qu'il en est, lança-t-elle en s'avançant. Regarde, papa, ce n'est pas un animal, c'est un homme… Elle s'approcha encore, balançant sa lumière de droite à gauche. — Non, plutôt une femme. Viens, on la ramène chez nous. — Ah non ! Imagine que ce soit un bandit et qu'il nous attaque dès que nous serons à l'intérieur. Elle se redressa et posa sa main sur sa hanche. Sa voix forte s'éleva dans la nuit et son visage apparut dans la lueur de la chandelle. — Alors, imagine que cette personne-là soit notre fils. Épuisé, blessé ou malade, il parvient au pied d'une maison, cherchant secours auprès de leurs habitants. Imagine que ceux-ci, refusant de lui prêter assistance, le laissent mourir à leur porte, tu trouverais ça bien ? — Maman, ne parle pas de choses si affreuses. Jamais une telle chose n'arriverait à notre enfant. — Et si ça arrivait ? L'homme se tut. Son épouse se pencha vers le corps étendu et saisit son poignet pour tester son pouls. — Elle respire encore. Vous m'entendez ? Aila bougea très légèrement. — Elle est à demi-consciente. Viens m'aider. On la rentre chez nous et, ensuite, je lui donnerai un bain. — Dans la baignoire que nous avons offerte à notre fils ? À cette heure ? Pas question ! La femme se redressa de nouveau, son regard appuyé sur lui. — Tu préfères qu'elle occupe son lit dans cet état, toute boueuse ? — Maman, je refuse catégoriquement qu'elle prenne la chambre prête pour le retour de notre enfant. — D'accord, papa, je ferai comme tu le demandes et je lui installerai quelques couvertures dans la cuisine. En attendant, aide-moi à la ramener dans la maison. M'est avis qu'elle ne doit plus tenir sur ses jambes toute seule. — Mais elle est toute sale… L'attitude de son épouse le dissuada d'ajouter quoi que ce fût. — Une fois rentré, tu raviveras le feu pour faire chauffer quelques brocs d'eau. Après, tu pourras aller dormir, je m'occuperai d'elle. — Alors, comment vous sentez-vous ? Aila leva vers la femme un regard encore interrogateur. Son esprit n'était qu'un brouillard opaque et tout ce qui se déroulait autour ne semblait posséder aucun sens. Elle percevait l'humidité de ses cheveux sur sa tête et la pulsation de sa tempe toujours douloureuse. — Votre blessure est, à mon avis, plus vilaine que grave. Dans quelques jours, elle aura complètement disparu. Je vous ai installé une épaisseur de paille dans le coin, près du feu, et un carré de laine. Accrochez-vous à moi pour y aller. Aila ne prononça aucun mot, mais la femme n'en attendait pas. Elle aida Aila à s'allonger et plaça la couverture sur elle. — Au fait, quel est votre petit nom ? La question fit réagir Aila qui roula des yeux effarés avant de secouer très légèrement la tête. La femme enserra la main d'Aila et la caressa avec douceur. — Ne vous inquiétez pas, c'est dû à la fatigue. Demain, tout sera rentré dans l'ordre et vous vous souviendrez de tout. Dormez maintenant, vous en avez besoin. Aila ferma les paupières et le monde entier s'effaça dans son esprit.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD