Du point de vue de Scarlett
Carson me tira brutalement hors de l'hôpital de la meute. Des membres de la meute avaient été témoins de la scène, mais pas un seul n'osa prendre ma défense. Même ceux qui avaient autrefois appartenu à la meute de mon père restèrent silencieux.
À notre arrivée au manoir de la meute, je compris aussitôt que quelque chose avait changé.
L'extérieur restait aussi grandiose et somptueux qu'auparavant, mais à l'intérieur, toute chaleur avait disparu. Les servantes qui m'accueillaient autrefois avec leurs sourires rayonnants n'étaient plus là. Seule Ruby se tenait à la porte, le visage blême, les mains crispées.
Elle me regarda avec une lueur de sympathie dans les yeux.
Alexander avait clairement exposé sa décision. Son autorité surpassait la mienne. Je ne pouvais leur en vouloir. Je m'en voulais, moi, de m'être laissée tromper si facilement dès le départ.
Carson me poussa à l'intérieur et claqua violemment la porte, son regard glacial ne me quittant pas des yeux.
"Écoute-moi bien, Scarlett", sa voix était imprégnée de menace et d'indifférence. "Les ordres d'Alexander : tu ne dois pas mettre un pied hors de la résidence de l'Alpha. Tes mouvements sont limités à cette maison. Et évite Faye. Pas de nouveaux problèmes."
Je laissai échapper un rire amer. "Tu penses avoir le droit de me donner des ordres ?"
Un sourire sombre se dessina sur le visage de Carson. Il se pencha soudainement, laissant ses doigts effleurer mes lèvres avec un mépris évident. Son ton devint moqueur, presque séducteur : "Tu ferais mieux de bien te comporter, Scarlett. Tu n'es plus une noble Luna."
La fureur explosa en moi. Je le giflai violemment, le bruit résonnant dans toute la pièce. "Souviens-toi de ta place, Carson ! Je suis toujours la Luna ! Essaie encore, et je te promets que tu le regretteras !"
Son visage devint écarlate, la rage flamboyant dans ses yeux. "Scarlett, je t'attendrai—à la frontière de la meute."
Il sortit en trombe, la porte claquant derrière lui comme un coup de feu.
Le silence retomba.
Je m'effondrai sur le lit, dévastée par une tempête de colère et d'humiliation. S'ils voulaient me dégrader ainsi, autant m'avoir jetée dans un cachot pour me laisser pourrir.
Les heures passèrent. Je m'étais recroquevillée au bord du lit, mes doigts engourdis traçant le contour d'un oreiller de soie. Ma petite louve, Kara, était restée silencieuse depuis l'hôpital. Je me disais qu'elle se reposait simplement. Qu'elle avait besoin de temps—tout comme moi.
Mais à mesure que le soir s'installait, quelque chose semblait étrangement déplacé.
Kara ? J'ai cherché notre lien mental. J'ai besoin de toi.
Silence. Froid. Vide.
Mon cœur s'emballa, pris de panique. J'ai essayé à nouveau, plongeant plus profondément dans mon âme, cherchant désespérément la moindre trace de sa présence.
Kara, s'il te plaît…
Rien.
C'était comme perdre un membre. Non—c'était pire. Comme perdre la dernière parcelle de moi-même qui croyait encore pouvoir survivre à ce cauchemar. Son absence résonnait dans mes os, et pour la première fois, je me sentis véritablement, totalement seule.
La trahison d'Alexander n'avait pas seulement brisé mon cœur—elle avait coupé le lien entre mon humanité et ma louve. Le silence de Kara n'était pas son choix. C'était une punition de la Déesse de la Lune elle-même.
Les larmes montèrent à mes yeux, brûlantes et amères, sans pitié.
"Ne fais pas ça", dit Ruby doucement, s'agenouillant devant moi. Sa main calleuse écarta une mèche de cheveux de ma joue. "Tu es plus forte que ça. Je le sais."
Son toucher était doux, mais sa voix était ferme. Assurée. Elle avait confiance, alors que moi, je n'en avais plus.
Un sanglot m'étouffa. "Elle est partie, Ruby. Kara… elle est juste… partie."
La tristesse passa dans les yeux de Ruby, mais elle ne recula pas. "Alors, nous la retrouverons. Ensemble. Tu n'es pas seule, chérie. Tant que je respire, je suis là."
Ses mots touchèrent une corde sensible en moi. La douleur ne disparut pas, mais elle s'adoucit. La loyauté de Ruby m'enveloppait comme une couverture, tissée de confiance silencieuse et de toutes les nuits blanches passées à chuchoter dans l'obscurité. Elle n'était pas qu'une simple domestique. Elle était mon amie. Dans un monde qui m'avait trahie, elle était mon seul refuge.
Il fallait que je m'échappe. Que je trouve un plan. Si je restais ici, je me fanerais en un spectre portant une couronne de souvenirs.
Mais pas tout de suite. Pas avant de m'accrocher à une dernière lueur d'espoir.
Je devais réaliser que je n'étais pas complètement seule.
Une fois sûre que Ruby ne me regardait pas, je me faufilai jusqu'à la partie la plus éloignée de l'armoire—là où les domestiques ne nettoyaient jamais. Caché sous un faux fond dans une vieille boîte à souvenirs se trouvait mon arme secrète : un téléphone prépayé noir que j'avais planqué il y a deux ans lors d'un exercice de sécurité.
Par la Déesse de la Lune, heureusement que je ne l'avais pas jeté.
La batterie était à moitié pleine. Le signal était faible—mais utilisable.
Je composai le seul numéro que j'avais mémorisé. La seule personne qui ne raccrocherait jamais.
"Kathleen ?" Ma voix était rauque dès que j'entendis le déclic.
"Scarlett ?" Sa voix était d'abord confuse, puis alarmée. "Ça va ? D'où appelles-tu ? Ce numéro—"
"Je n'ai pas beaucoup de temps," l'interrompis-je, tournant comme une lionne en cage. "J'ai besoin de ton aide. On me retient ici. Alexandre veut me chasser de la meute."
"Quoi ?!"
"Il a tout pris—ma liberté, mon titre, ma louve. Il a ramené son véritable amour, et elle porte son héritier." Ma voix trembla. "Kara est partie, Kathleen. Je ne la sens plus."
"Oh, ma déesse…" murmura-t-elle. "Que veux-tu que je fasse ?"
"Lucien," dis-je rapidement. "Peux-tu parler à ton frère ? Il siège au conseil. Peut-être qu'il peut m'aider. Il y a sûrement un moyen de rompre le lien sans perdre mon titre—"
"Tu veux divorcer d'Alexander ?"
J'hésitai. Mais les derniers jours se rejouaient dans ma tête comme une pellicule embrasée, et je me rappelai—quand un homme tente de t'enlever ta voix et tout ce que tu représentes, il ne t'appartiendra jamais.
Puis j'hochai la tête. "Oui. Je veux sortir de là."
Elle resta silencieuse un instant, puis soupira. "D'accord. Je parlerai à Lucien. Mais Scarlett… le conseil est impitoyable. Même avec son influence, ce ne sera pas facile."
"Je ne cherche pas la facilité. Je cherche simplement le possible."
"Je vais organiser quelques trucs. Mais tu devras rester discrète. Alexander a des oreilles partout."
"Je sais."
Après qu'elle eut raccroché, je m'assis par terre, le dos appuyé contre l'armoire, les yeux vides. Kathleen avait toujours été ma meilleure amie. Elle connaissait mes côtés les plus sombres—mon ambition, ma fierté, les années passées à m'affirmer. Elle connaissait aussi mon petit béguin pour Lucien.
Lucien, avec ses yeux d'argent et son aura intouchable. Toujours composé. Toujours royal. Il avait trois ans de plus que moi, et alors que je n'étais encore qu'une adolescente frêle rêvant de ma première transformation, son loup était déjà redoutable. Je me souvenais de l'avoir observé lors des visites du conseil. Chaque fois qu'il posait les yeux sur moi, mon cœur battait la chamade. Évidemment, il ne m'avait jamais vraiment remarquée—pas de la façon dont je l'aurais souhaité.
Mais je n'étais plus une petite fille. J'étais la Luna de Crescent Moon. Une femme trahie. Une prisonnière. Une femme qui n'avait plus rien à perdre.
Si quelqu'un pouvait démêler cet écheveau—c'était Lucien.
Ruby frappa doucement à ma porte. "Luna, votre thé…"
Je m'empressai de cacher le téléphone et me levai. "Laisse-le à la porte, Ruby. J'ai besoin de me reposer."
"Oui, Luna."
Ses pas s'évanouirent dans le lointain. Ce n'est qu'au bruit sourd d'une porte se refermant au loin que je respirai de nouveau.
Je me mis à marcher lentement, cherchant à apaiser les battements frénétiques de mon cœur. À chacun de mes pas, les murs de la pièce semblaient se rapprocher. Le lustre au-dessus de moi oscillait doucement, bien que l'air restât immobile. Je fermai les yeux, puisai des forces dans mes souvenirs.
La voix de mon père. L'odeur des forêts enneigées. Les premiers mots de Kara lors de mes patrouilles.
C'était tout ce qui me restait maintenant.
Car ici, dans cette prison dorée déguisée en palais, je n'avais ni amis, ni voix, ni loup.
Mais une flamme continuait de brûler intensément en moi. Et j'utiliserai cette flamme pour réduire en cendres les mensonges d'Alexandre.