II - À cache-cache-1

2010 Words
II À cache-cache En sortant de chez le notaire, Lavarède avait allumé un cigare et marché pendant une demi-heure, tout en songeant à ce qu’il allait faire. Certes, il trouvait excellente sa première idée ; ce départ pour la conquête d’une toison extrêmement dorée souriait a son esprit aventureux. Il n’avait pas douté de la réussite. Seulement, à la réflexion, il se rendit compte des difficultés sans nombre qu’il allait rencontrer. Tout à coup, – il était arrivé à la Madeleine, – un sourire illumina son visage assombri. Il avait trouvé quelque chose. Mais quoi ? Il rebroussa chemin et vint à son journal, une feuille boulevardière, les Échos parisiens ; et là, il écrivit pour le numéro du lendemain matin, une chronique où, sans désigner les noms des personnages autrement que par des pseudonymes à demi transparents, il raconta toute l’histoire du testament. Puis il passa à la caisse où une première péripétie l’attendait, sans trop le surprendre d’ailleurs. Un huissier, mandé par Bouvreuil, avait formé opposition sur ses appointements. – Bon, dit-il, c’est le commencement. Il alla chez lui. De même, la concierge, Mme Dubois, lui apprit qu’un autre huissier était venu pour saisir les meubles, au nom du propriétaire Bouvreuil. – Qu’est-ce que cela me fait ? dit-il gaîment. Demain, je pars pour l’autre monde. – Ah ! mon Dieu ! fit la bonne madame Dubois ; vous n’allez pas vous tuer, mon brave monsieur Armand… Plaie d’argent n’est pas mortelle. – Rassurez-vous, dit-il en riant. L’autre monde où je vais est l’Amérique. J’y dois recueillir l’héritage d’un parent quatre fois millionnaire. – Vous m’avez fait une belle peur. Lavarède en savait assez. Il prit une voiture et se fit conduire à la gare d’Orléans, bureau des marchandises en grande vitesse. Il connaissait un des sous-chefs à qui, de temps en temps, il donnait des billets de théâtre. Il passa quelques instants avec lui, puis il alla inspecter un quai de débarquement où se trouvaient entassés toutes sortes de ballots, caisses, paniers, etc. Satisfait sans doute de sa visite, il revint aux bureaux, écrivit une lettre d’expédition qui étonna d’abord l’employé et fit sourire le chef ami qui l’avait accompagné. – C’est bien pour Panama ? demanda le préposé. – Oui, pour Panama, fit Lavarède, grande vitesse. Le colis doit partir demain matin par l’express correspondant avec le paquebot des Chargeurs réunis. Et pour plus de sûreté, il revint au quai, demanda à un homme d’équipe un pinceau et un seau de noir, et traça a grandes lettres, sur une énorme caisse en bois, le mot : Panama. La caisse avait la forme d’un piano à queue. Oblongue et vaste, elle portait déjà d’autres inscriptions qu’il effaça, d’autres timbres d’expédition et de réception qu’il enleva. Ensuite il remit une gratification aux employés qui l’avaient aidé et donna une cordiale poignée de main au sous-chef, qui ne cassait de manifester une réelle gaieté. – Comme plaisanterie, dit ce dernier, c’est assez réussi. Mais du moins vous m’assurez que la Compagnie ne peut pas être frustrée ? – Je vous réponds de tout. Et quand mon pari sera gagné, je vous promets un bon dîner, avec une loge pour l’Opéra ensuite. Il remonta en fiacre et revint vers le boulevard. Il n’avait pas perdu son après-midi. Comme il interrogeait son porte-monnaie, il vit qu’il lui restait quelques louis. Il fallait les dépenser le soir même, ou dans la nuit. Ce n’était pas difficile. Quelques camarades invités, un dîner plantureux arrosé de bons vins, une soirée joyeuse en plaisirs, un souper fin au champagne en vinrent bientôt ; à bout. Il s’arrangea de telle sorte qu’au matin il n’avait plus en poche qu’une pièce de deux francs. – C’est tout juste ce qu’il me faut !… Trente-cinq sous pour une voiture… et cinq sous pour faire le tour du monde. Lavarède était donc porteur des vingt-cinq centimes ordonnés par le testataire, lorsqu’il débarqua à huit heures du matin à la gare d’Orléans. Il n’avait pas dormi de la nuit, c’est vrai. Mais, pensait-il, j’ai bien le temps de sommeiller en route. Et aussitôt il avait disparu du côté de la gare des marchandises. Peu après, parmi les voyageurs se disposant à prendre l’express, on en pouvait voir quelques-uns qui sont déjà de notre connaissance. C’était d’abord l’excellent M. Bouvreuil, que sa fille Pénélope était venue conduire jusqu’à la gare, en compagnie d’une bonne. Nous entrevoyons Mlle Pénélope. Franchement on ne pouvait pas reprocher à Lavarède de ne vouloir point unir sa destinée à celle de cette jeune personne. Trop grande pour être élégante, plutôt ; osseuse que maigre, le teint bilieux, l’expression du visage hautaine et suffisante, – ce que le peuple appelle dans sa langue vigoureuse « l’air puant », – telle apparaissait la demoiselle de ce bon monsieur Bouvreuil. Elle se savait riche, en tirait une assez sotte vanité et son orgueil avait été blessé du refus de Lavarède. C’était elle-même qui avait conseillé à son père de prendre le jeune homme par la famine. Le vieux finaud lisait attentivement un journal, les Échos parisiens, qui venait de paraître, et, dans ce journal, la chronique de Lavarède. Comme il s’y trouvait désigné sous le nom de « M. Chardonneret, propriétaire de la race des vautours non apprivoisés », il parcourut le reste de l’article et lut « entre les lignes ». Et il passa le journal à sa fille, en lui faisant part de ses réflexions. – Comment ! dit-elle après avoir lu, ce monsieur qui ne veut pas de moi hériterait de quatre millions, s’il réussit à faire un tel voyage sans argent ?… – Tu vois bien qu’il est fou, rien que de l’entreprendre. – Aussi, j’espère qu’il n’y parviendra point. – Sois tranquille, avant peu, il reviendra à Paris, penaud et repentant. Et il s’y trouvera traqué de telle sorte dans mon réseau de papier timbré qu’il sera bien heureux d’accepter la paix, avec ta main. Pénélope soupira. Déjà pas très belle au repos, elle était fort laide quand elle soupirait. – C’est qu’il est charmant, le monstre, fit-elle en roulant vers le ciel des yeux de carpe pâmée. À ce moment, des hommes d’équipe transportaient dans le fourgon des bagages une caisse dont la forme et les proportions inusitées attirèrent tous les regards. – Tiens, dit Bouvreuil, voilà un colis qui va faire le même voyage que moi. – Il va à Panama ? demanda Pénélope. – Oui, c’est écrit dessus. – Ce doit être un piano, hasarda la demoiselle. – Quelqu’ingénieur de là-bas qui veut charmer ses loisirs, sans doute. – Prends bien garde aux fièvres, papa. – Rassure-toi, avec de l’argent, on achète une hygiène parfaite. Au surplus, je n’aurai pas à y demeurer. Le temps d’inspecter les chantiers, de vérifier l’utilité des dépenses et l’état des travaux. Je ne ferai que prendre des notes et je rédigerai mon rapport pour mon syndicat sur le bateau, en revenant… Quinze jours me suffiront largement. – Avec les deux voyages d’aller et de retour et le séjour que tu prévois, cela fait une absence de six semaines environ. – Six semaines au plus. Je te télégraphierai par le câble la date de mon arrivée là-bas et celle de mon départ. Ce disant, Bouvreuil s’installa dans un compartiment de première classe, où ne tardèrent pas à le rejoindre deux autres personnes. Sir Murlyton, escorté de sa fille, miss Aurett, et de la gouvernante, mistress Griff, étaient arrivés à la gare à l’heure dite, avec la précision et l’exactitude des insulaires de la Grande-Bretagne. Cherchant de tous côtés, ils ne virent point Lavarède. Celui-ci, nous le savons, ne pouvait être à la gare des voyageurs. – Est-ce qu’il aurait déjà renoncé à l’aventure, se demanda l’Anglais. – Ce n’est pas probable, répondit miss Aurett. Cependant l’heure passait, le moment du départ approchait et Lavarède ne paraissait toujours pas. – Aoh ! fit sir Murlyton mécontent. – Tu dois raccompagner. – Pour cela, il faudrait qu’il fût là. – Mais peut-être a-t-il trouvé prudent de partir de Paris pour Bordeaux, seul, avant toi. – C’est cela, afin que je ne puisse pas vérifier s’il a pris son ticket qui coûte plus de vingt-cinq centimes, ajouta-t-il en riant. Ils firent une rapide inspection des wagons déjà bondés de voyageurs. Lavarède n’était pas parmi eux. Tout à coup, miss Aurett eut une idée. – Mon père, à Paris, dans le mouvement de la gare, tu cours le risque de le perdre de vue. Mais en allant l’attendre à Bordeaux, là, tu es sûr de ne pas le manquer. Pour embarquer dans le packet-boat, il n’y a qu’un seul chemin, la planche. Il a dit que le train correspond à Pauillac avec la ligne des vapeurs, tu devrais quand même aller jusque-là. Oh ! nous autres Anglais, grands voyageurs, ce n’est pas cela qui peut nous gêner beaucoup. Une simple promenade après tout. Oui, et si tu étais bien gentil, je t’y accompagnerais, pour te donner le b****r d’adieu avant ton départ pour le tour du monde. Mais si ce monsieur arrive tout à l’heure, en retard, après le départ de l’express, comment le saurai-je ? – Mistress Griff l’a vu, dans la rue, hier, et aussi chez le notaire. Elle n’a qu’à rester ici et à attendre. Elle le reconnaîtra bien et nous enverra une dépêche à Bordeaux-Pauillac, en gare, ou bien à la tente des Messageries maritimes. – C’est juste. On expliqua à la gouvernante le rôle qu’elle avait à jouer. Et l’on prit deux tickets. Miss Aurett, avec la gaieté de ses vingt ans, était ravie de cette courte excursion qui ressemblait à une escapade de pensionnaire. Gravement mistress Griff l’embrassa. – À après-demain, n’est-ce pas, miss ? – À demain peut-être. Le bateau part ce soir, on ne couche même pas à Bordeaux ; je reprendrai donc un train de nuit, et il est plus que probable que je serai de retour demain et non pas après-demain. – Alors je reviendrai ici vous attendre. – Un télégramme vous préviendra. Le père intervint. – Une dernière recommandation, mistress. Dès que ma fille sera de retour, vous quitterez Paris et vous retournerez chez nous, en Devonshire. Je ne peux savoir si mon absence sera longue ou courte, ni même si je m’embarquerai ; cela ne dépend pas de moi, mais de l’autre. Dans tous les cas, je préfère vous savoir à la maison, at home, en Angleterre. Mistress Griff s’inclina respectueusement. Murlyton et Aurett montèrent dans le seul compartiment encore disponible en partie. Ils étaient assis en face de M. Bouvreuil qu’ils ne connaissaient point. Celui-ci avait tiré de sa poche un portefeuille énorme, le portefeuille de l’homme d’affaires ; et, en attendant le départ du train. Il prenait quelques notes, pendant que Mlle Pénélope cherchait des yeux sa bonne qui avait disparu. Bouvreuil écrivait sur une feuille blanche : « 1° Choisir de préférence les hôtels anglais, ils sont plus confortables. 2° Éviter la société des Français, excepté celle des ingénieurs de la Compagnie. 3° Ne parler politique avec personne. 4° En cas de difficultés, aller voir d’abord le consul de France. » Il en était là de ces sages prévisions lorsque sa fille accourut vers le compartiment ; son visage semblait bouleversé, mais rayonnant. – Papa, dit-elle, papa !… en voilà une nouvelle !… – Qu’y a-t-il ? – Il y a que M. Lavarède doit être dans le même train que toi. – Dans le train… je ne l’ai pas vu. – Ni toi ni personne. Il est dans la caisse ? – Quelle caisse ? – Tu sais bien, la grande caisse à destination de Panama. – Celle que nous croyions renfermer un piano ?… Murlyton et sa fille ne purent s’empêcher d’échanger un regard et une parole. – Aoh ! M. Lavarède… – Je te le disais bien, fit miss Aurett. Bouvreuil les regarda, tout étonné d’entendre prononcer par ces étrangers le nom de Lavarède. Mais il avait le temps de les interroger là-dessus, tandis que les contrôleurs fermaient déjà les portières des compartiments et qu’il allait être séparé de Pénélope. Se penchant à la fenêtre, sa fille étant debout sur le marchepied, il demanda encore : – Mais comment sais-tu cela ? – Par la bonne. – Ah bah ! Un des hommes d’équipe est son « pays », de Santenay, dans la Côte-d’Or. Ils se sont reconnus là et cet homme lui a raconté, en riant, qu’il avait vu un individu entrer dans la caisse, au dépôt des marchandises. Le signalement est celui de M. Lavarède, impossible de s’y tromper. Un sous-chef de bureau est venu, très gaiement, refermer les planches qui forment la porte et a recommandé à l’employé témoin de garder le silence… – Qu’il s’est empressé de rompre. – Oh ! avec sa payse, cela lui a semblé sans importance. Mais il paraît que personne ne sait cela dans la gare. – Très bien, je le tiens ! Je le ferai pincer à Bordeaux, ses quatre millions sont flambés. – Merci, papa, et dis-lui qu’il n’a qu’à venir à la maison, que je l’autorise à me faire sa cour et que nous nous marierons dans cinq semaines, à ton retour. – C’est entendu. Miss Aurett et son père n’avaient pas perdu un mot de cette conversation, tenue du reste à voix haute. Un coup de sifflet, un signal. Le train s’ébranle. Bouvreuil, toujours penché à la portière, fait un geste d’adieu. Et voilà tout notre monde parti pour Bordeaux-Pauillac, Lavarède dans sa caisse. Murlyton, Aurett et Bouvreuil dans leur compartiment. Monsieur Lavarède !… On sait la discrétion des Anglais, qui ne parlent jamais les premiers aux gens qu’ils ne connaissent point. Ce fut donc Bouvreuil qui commença. – Je vous demande pardon, fit-il à ses voisins, mais tout à l’heure vous avez paru connaître ce monsieur Lavarède, dont ma fille me parlait.
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