PROLOGUE

794 Words
PROLOGUE Il vérifia sa montre : 14h59. La cloche de l’école allait sonner dans moins d’une minute. Ashley habitait à douze rues de l’école, soit un peu plus d’un kilomètre, et faisait généralement le trajet à pied. Sa seule crainte était qu’aujourd’hui, elle ait exceptionnellement de la compagnie en chemin. Peu après la sortie du flot d’écoliers, il la vit se diriger vers la grand-rue, accompagnée de deux autres filles. Consterné, il les vit s’arrêter à un passage piéton en discutant. Ce n’était pas possible – il fallait que les deux filles s’en aillent, il fallait qu’Ashley se retrouve toute seule. Il le fallait. Il sentit l’angoisse monter. C’était son jour, l’occasion parfaite. Assis à l’avant de sa fourgonnette, il s’appliqua à maîtriser ce qu’il surnommait son « moi véritable ». C’était son moi véritable qui faisait ses expériences particulières sur ses sujets d’étude, chez lui. C’était son moi véritable qui lui permettait de passer outre les hurlements et les implorations de ses sujets d’étude, afin de se concentrer sur ses précieuses recherches. Il lui fallait dissimuler son ‘moi véritable’ avec soin : il devait se rappeler de les appeler ‘filles’ et non ‘sujets d’étude’. Il devait se rappeler d’utiliser de vrais prénoms, tels que « Ashley ». Il devait se rappeler qu’aux yeux des gens, il avait l’air parfaitement normal, et que tant qu’il agissait normalement, personne ne soupçonnerait ce qui était tapi au fond de lui. Cela faisait des années qu’il se comportait de façon aussi normale que possible, et certains le qualifiaient même de beau parleur. Il s’en réjouissait, car cela signifiait qu’il jouait bien son rôle. Et, en se comportant de la sorte, il était parvenu à créer une vie, une vie que certains pouvaient envier. Ainsi, il pouvait se cacher au vu de tous. Aujourd’hui, toutefois, il sentait son « moi véritable » gonfler dans sa poitrine et le supplier d’être libéré, au point qu’il peinait à maîtriser ses désirs. Il lui fallait les contenir. Il ferma les yeux et inspira profondément, essayant de se remémorer les instructions. Il inspira l’air pendant plusieurs secondes, avant de le laisser s’échapper en formant le son qu’il avait appris à faire. « Ohhmmmm... » Lorsqu’il rouvrit les yeux, il ressentit une bouffée de soulagement en voyant que les deux amies d’Ashley avaient tourné dans Clubhouse Avenue, pour se diriger vers le plan d’eau. Ashley, elle, continuait seule sa route sur la grand-rue, longeant le parc pour chiens. Occasionnellement, elle ralentissait le pas à ce niveau, pour regarder les chiens jouer et pourchasser les balles de tennis qu’on leur envoyait. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, elle marchait d’un pas décidé, comme si elle avait un but précis en tête. Si elle avait su ce qui l’attendait, son pas n’aurait pas été aussi alerte. À cette pensée, un rictus amusé se dessina sur son visage. Il l’avait toujours trouvée attirante. Il calqua l’allure de la fourgonnette sur celle d’Ashley, prenant garde de laisser traverser les hordes de collégiens, tout en admirant sa silhouette mince et athlétique. Elle portait une jupe rose qui s’arrêtait au-dessus du genou, et un haut bleu moulant. Il décida de passer à l’acte. Un sentiment de calme l’envahit. Il s’empara de la cigarette électronique qui attendait sur le tableau de bord et appuya d’un geste léger sur l’accélérateur afin de parvenir à sa hauteur. Il l’interpella : « Salut. » Surprise, elle jeta un coup d’œil dans la fourgonnette, les yeux plissés. De toute évidence, elle ne parvenait pas à l’identifier. « C’est moi », dit-il nonchalamment. Il arrêta le van et se pencha pour ouvrir la portière passager, afin qu’elle puisse distinguer son interlocuteur. Elle s’approcha pour mieux le voir, et sembla le reconnaître après un instant d’hésitation. « Ah, salut. Désolée, fit-elle. – Pas de problème » Il prit une longue bouffée de sa cigarette électronique. Elle observa l’appareil qu’il tenait. « Je n’avais jamais vu de cigarette électronique pareille ! – Tu veux essayer ? » Il avait posé la question du ton le plus désinvolte possible. Elle acquiesça et s’approcha de lui. Il se pencha également vers elle, comme s’il allait lui tendre sa cigarette. Mais quand elle fut à moins d’un mètre, il actionna un dispositif sur l’appareil, qui vaporisa un petit nuage d’une substance chimique droit sur le visage de la jeune fille. Sans attendre, il plaqua un masque sur son propre visage, afin de ne pas inhaler la substance. Son geste avait été si rapide et discret qu’Ashley ne l’avait même pas remarqué – et son corps commença à s’affaisser avant qu’elle puisse réagir. Elle était déjà à moitié inconsciente, et penchée vers l’intérieur du véhicule. Il lui suffit de l’attraper et de la glisser sur le siège passager. Aux yeux d’un passant, elle aurait presque eu l’air de monter dans la fourgonnette de son propre chef. Son cœur battait la chamade, mais il se força à rester calme. Il avait fait le plus dur. Il tendit le bras au-dessus de son sujet d’étude pour fermer la portière, puis attacha la ceinture de sécurité sur le corps inerte, avant d’attacher la sienne. Enfin, il prit une dernière grande respiration – inspiration, expiration... Lorsqu’il fut certain que la voie était libre, il repartit sur la route. Quelques rues plus loin, la fourgonnette s’inséra dans le trafic d’un après-midi comme les autres, dans le sud de la Californie. Il était un automobiliste comme les autres, frayant son chemin dans un océan de destins.
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