Chapitre 1
Est-il utile de revenir ici sur les péripéties de ce que les médias avaient nommé « l’affaire Mondragon »?
Tout le monde a encore en mémoire l’arrestation mouvementée d’Emilie Mondragon (née Verluth) dans la propriété d’un conseiller très proche du ministre de l’Intérieur.
On se souvient aussi de la tourmente politique qui s’ensuivit lorsque Emilie Mondragon se sentant lâchée par ses protecteurs déballa tout ce qu’elle savait de l’affaire de fournitures d’armes et de matériels militaires à des pays d’Extrême-Orient.
Et la justice a révélé une part des énormes commissions occultes versées à cette occasion sur un compte suisse au bénéfice de Milie Verluth pour des tâches habituellement rémunérées au SMIC…
Milie Verluth, cette femme de paille derrière qui se dissimulaient quelques personnalités politiques de premier plan.
Elle-même avait bénéficié de ces commissions dans des proportions paraissant dérisoires en regard des sommes en jeu, mais, pour dérisoires qu’elles fussent, étaient en mesure de lui assurer un avenir plus que confortable.
Par la suite, voyant la tournure que cet avenir radieux prenait, suite au lâchage de ses courageux protecteurs, la belle avait décidé de vider son sac pour éviter de passer des hôtels de luxe donnant sur la lagune à Venise ou des blanches plages des Bahamas aux cellules sans confort de la Santé. Espérant l’indulgence des juges, la belle Milie Verluth était donc entrée dans la voie des aveux.
Ses révélations avaient eu pour conséquences immédiates la fuite du conseiller général Ludovic Beaumer, soupçonné de corruption mais aussi du meurtre de son rival Maurice Le Bégan et de son employé Corentin Billon. Il était, paraît-il, « activement » recherché.
La classe politique n’en était plus à un scandale près; cependant, le Premier ministre lui-même avait dû intervenir pour calmer le jeu et, ce faisant, il avait solidement entamé son crédit.
Le suicide du conseiller Léo Montauban l’éminence grise du ministre de l’Intérieur n’avait pas arrangé les choses. Un ex-ministre était en taule, un gros financier en fuite et quelques personnalités de premier plan en garde à vue.
Beau tableau de chasse pour Mary Lester qui s’était vue récompensée de sa clairvoyance par une promotion au grade de capitaine, assortie d’une nomination dans une banlieue difficile.
Le capitaine Lester, avec quelques raisons, avait pris cette nomination comme une sanction. Dans les milieux ecclésiastico-littéraires on appelait ce genre de promotion « le coup de pied de l’âne », en référence bien sûr à cette mule du Pape qui avait tant de mémoire.
On n’oubliera pas non plus le coup d’éclat de l’enquêteur vedette du commissariat de Quimper, qui, le jour même de cette promotion punition, avait claqué la porte au nez des représentants de l’Etat et jeté sa démission sur le bureau de son patron…
Décision que le divisionnaire Fabien n’avait pas acceptée de gaieté de cœur, mais du jour où Mary avait quitté le commissariat précipitamment, plus personne ne l’avait revue.
Même le lieutenant Fortin, fidèle équipier de la jeune femme, n’avait plus reçu de ses nouvelles. Du moins l’affirmait-il.
Quant au capitaine Mercadier, promu le même jour que Mary Lester au même grade, il avait voulu faire du zèle pour justifier ses galons tout neufs et avait tenté de forcer la porte de Mary pour essayer de voir ce qu’elle devenait.
Mal lui en avait pris car, alors qu’il essayait de pénétrer dans son logis, il avait été attaqué et la patrouille de nuit l’avait retrouvé sanglant dans la venelle, balbutiant des mots sans suite desquels il ressortait qu’il avait été la victime d’une sorte de fauve qui l’avait allégrement lacéré.
Depuis, les profondes griffures qu’il présentait sur le crâne et au visage s’étaient peu à peu cicatrisées, mais son état mental restait inquiétant, au point qu’il était toujours suivi par un psychologue dans une unité de soins spécialisée.
Bien entendu, personne n’avait entendu parler de panthère ou de guépard en goguette en ville - il n’était pas passé de cirque depuis l’été précédent - et l’enquête avait conclu que le capitaine Mercadier avait été victime d’une vengeance de la part d’une b***e dont il aurait arrêté l’un des membres.
La chose bien qu’improbable n’était pas impossible. Restait le mystère de ces griffures sur lesquelles on se perdait en conjectures.
Certains journalistes avaient émis l’hypothèse d’une vengeance d’un gang inconnu qui entendait signer ses représailles.
Cependant aucune nouvelle agression se rapprochant de près ou de loin de celle-là n’avait été enregistrée. Le mystère demeurait donc.
Par ailleurs, Mercadier, bien entendu, ne s’était pas vanté d’avoir voulu pénétrer subrepticement dans le logis de son ancienne collègue, si bien que l’on n’avait pas poursuivi les investigations de ce côté.
La perte du Saint-Philibert, et la mort de son skipper Mose Stein dit « Beau Linge » qui avait été l’amorce de cette troublante histoire, s’était déroulée en mars.
Et depuis ce temps, personne n’avait vu ni entendu parler de Mary Lester…