En arrivant ce matin à bord de son taxi dans le petit village au charme si simple, Mika ne serait jamais imaginée une telle mésaventure. Elle s’était installée à l’hôtel, avait demandé des renseignements au gérant qui lui avait indiqué gentiment comment se rendre au manoir Longford. Elle avait quitté donc l’hôtel deux heures à peine après son arrivé et avait décidé de marcher jusqu’ici pour s’occuper de ce travail. Elle aurait pu attendre le lendemain, mais elle voulait se débarrasser de ce travail quoi que déplaisant et inhabituel. Comment aurait-elle pu prévoir que le temps aurait été contre elle ? Le fameux temps anglais. Elle eut un léger sourire amusé.
Comment croire que tout cela lui soit arrivée en quelques heures à peine ? Elle qui avait cru qu’elle allait juste exposer sa demande, quelque peu insistée sur mais sans doute repartit déçue se retrouvait dans une bien étrange situation. Mais avait-elle le choix ? Elle avait accepté une mission certes étrange mais nécessaire hélas pour elle et son avenir.
Des coups frappés à sa porte la firent sortir de ses pensées, elle se rendit compte que plusieurs minutes s’étaient écoulées durant laquelle elle avait observé la pluie. Elle avait toujours aimé observer la pluie enfant et elle avait continué en grandissant.
Se levant, elle alla ouvrir la porte. Henry se tenait sur le palier avec un plateau en main comprenant un véritable service de thé en porcelaine blanche et une assiette comprenant de petits sandwiches mais aussi de scones chauds dont l’odeur la fit saliver. Elle ne pensait pas avoir autant faim.
- Puis-je entrer ? demanda-t-il de son ton distingué dont elle s’habituerait assez vite.
Comme réponse, elle s’écarta bien trop vivement à son goût et il entra.
- Excusez-moi M. Hudson mais l’homme barbu avec qui j’ai parlé tout à l’heure, c’est bien M. Adam Longford, n’est-ce pas ? Demanda-t-elle lorsqu’il fut entré.
- Sir Longford, c’est bien lui oui. Je suppose que vous êtes là pour lui ?
Les paroles de l’homme lorsqu’il avait pensé qu’elle était une touriste égarée lui revint à l’esprit.
- Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
- Votre étui à violoncelle. Vous êtes musicienne. C’est la première fois qu’une musicienne vient ici, dit-il un sourire en coin. Les directeurs d’orchestres doivent être fatigués de faire eux-mêmes le déplacement.
- Quelque chose comme ça, dit-elle embêtée.
- Ne vous en faites pas, je ne suis pas mécontent de tout cela. Je serais même très heureux si le maître se remettait un jour à rejouer mais cela n’est plus possible.
- Et pourquoi cela ?
Henry poussa un triste soupir et sans répondre lui servit le thé dont l’odeur chatoyante lui fut agréable. Mika retourna à sa place, près de la fenêtre le valet sur les talons. Il lui tendit alors la tasse fumante de thé qu’il accompagna avec une assiette de sandwiches. Avec plaisir, elle croqua dans le pain qui la ramenait à son enfance avec ses parents dans leur petite maison de Londres.
- C’est vraiment délicieux !
- Je suis heureux que cela vous plaise. C’est si agréable d’avoir de la compagnie dans cette maison.
Mika dévora deux sancisses et deux scones tout en buvant son thé jetant un regard à la pluie qui tombait dehors. Elle se sentait presque comme chez elle.
C’est qu’on s’habituera à une vie de servitude, pensa-t-elle.
Dehors, la pluie ne semblait pas vouloir s’arrêter et la nuit allait finir par tomber. Comment allait-elle retourner au village ? Et à quelle heure ? Scrutant le cadran de l’horloge accroché près de la salle de bain, Mika grimaça.
- Faites que la pluie cesse, murmura-t-elle en une sourde prière.
- Si la pluie ne s’arrête pas vous allez devoir passer la nuit ici.
Passé la nuit ici avec cet étrange maître des lieux, un chien flippant et même avec ce charmant majordome qui lui rappelait son père ne l’enchantait guère. Ils étaient seuls ici loin de tous et ils pouvaient arrivés tant de choses. Elle sentait déjà une sourde angoisse et la peur l’étreindre.
- Je ne sais pas trop, dit-elle d’une toute petite voix. Il n’y aurait pas une voiture ici que je puisse emprunter pour me rendre au village ?
- Il y en a plusieurs même mais c’est Sir. Longford qui en a les clés.
- Oh !
Ce n’était vraiment pas sa veine. Elle avait le choix entre se rendre sous un déluge au village ou rester ici ce qui voulait dire avoir peut-être une chance de revoir le maître des lieux.
- Pourquoi ne vous reposeriez-vous pas un peu en attendant que la pluie cesse ? Je vous réveillerais si cela arrive et je vous conduirais moi-même au village.
Un peu de repos après ce voyage en train et cette longue marche ne lui ferait pas de mal, après tout.
- Et cela ne dérangera pas votre… maître ?
- Sûrement, dit-il avec un sourire amusé.
- Et vous voulez tout de même que je reste. Moi, je préférais non. En plus, il ne doit pas avoir de chambre prête pour une invitée.
- Vous ne trouvez pas cette chambre agréable ? J’y fais régulièrement le ménage en plus de celui du maître.
Le vieil la regardait de manière très impassible comme s’il lui intimidait l’ordre de réfuter ses paroles ou de refuser de rester.
Elle se retrouvait dans une situation non seulement imprévue mais assez impressionnante, sous le même toit que l’homme qu’elle devait convaincre de travailler pour l’orchestre où elle travaillait et elle ne savait toujours pas comment s’y prendre sans compter que leur première rencontre avait été assez… elle ne savait même pas qu’elle mot serait le qualifier. Désastreux. Oui, cela pourrait aller.
Elle avait beau échafaudé des plans et des scénarios elle ne savait plus quoi penser. Convaincre cet étrange homme qui avait l’air de ne pas apprécier la moindre présence humaine de revenir à la civilisation ? Le pourrait-elle ?
Elle poussa un lourd soupir et scruta le vieil homme.
- Alors, c’est d’accord mais juste le temps que la pluie cesse.
En espérant qu’elle s’arrête avant la nuit.