Je m'appelle Soa. C'est une toute petite partie de mon nom et prénom assez long et compliqué. Ma mère a rassemblé presque tous les noms féminins dans ma copie de naissance. Elle n'avait plus espéré avoir une fille après la naissance de mes 6 frères. Le 7ème bébé est une fille et c'était moi. Je suis ici au chevet de ma mère. Je la regarde et je lui reproche d'être malade. En même temps je l'admire. Cette femme incroyable à qui je dois la vie. Contrairement à elle j'ai bien réussi professionnellement mais je ne lui arriverai jamais à la cheville. Contrairement à elle j'ai rien accomplie du tout dans ma vie. Un diplôme et c'est tout. Mais c'est quoi un diplôme de docteur en médecine? Je n'ose même pas prendre mon stéthoscope pour écouter si son cœur continue son trouble du rythme. Dans cette salle de patient je me sens froid, seule. Tout est silencieux. C'est normal, nous sommes dans un service USIC (Unité de soins intensifs en cardiologie). Ma mère est à moitié endormie dans son lit. Ce lit sur quoi j'arrête pas d'ajuster la couverture pour éviter les plis. Oui, ça déstresse un peu de s'occuper du lit. Quand on a pas grande chose à faire. Attendre, tenir la main du malade, compter les carreaux des murs et sursauter à chaque bruit des pas des infirmiers qui font les soins par tour des portes. Nous attendons les visites des médecins et connaitre les résultats des derniers bilans sanguins. L'attente est angoissante. Connaissant l'histoire de sa maladie et ses signes cliniques, j'imagine tous les pires résultats possibles. Je me fais mes propres analyses cliniques et je choisi toujours les hypothèses qui semblent les moins pires. Bien sûre, mes analyses sont parfois erronés par mes émotions. Il y a moins d'observation objective. C'est difficile d'essayer de faire une observation clinique avec les yeux mouillés de gouttes de larmes. Quelqu'un a frappé à notre porte, on m'a livré une enveloppe. Ce sont les résultats des analyses. Mais je ne peux pas l'ouvrir c'est réservés aux médecins traitant prescripteurs. Je suis allé descendre dans les bureaux pour la donner aux chefs de services. J'avais hâte de savoir. En même temps la boule au ventre mais il faut respecter l'hiérarchie. Quelle attente angoissante. Attendre les résultats de chaque bilan c'est comme attendre les résultats des examens de passage à la faculté de médecine. Heureusement, je pouvais toujours remarquer mon nom de loin dans la liste des admises. Un nom très long et compliqué parmi d'autre noms ne pouvait être que le mien. Chaque année d'étude, chaque réussite, je remerciais ma maman. Non seulement pour la longueur de mon nom qui avait facilité chaque lecture des résultats mais aussi pour ses prières et sa foi en moi. Son amour. Maintenant qu'est ce que je peux faire pour elle? Je suis Médecin cardiologue et la voir malade me brise le cœur. "Soyez patient!" Avec fierté, assurance et détermination je disais souvent ces mots à mes patients au stage , à l'internat. Facile à dire. Etre patient au chevet de sa tendre mère malade, c'est tout simplement impossible et pénible. Comment apprendre aux patients de patienter? Leur dire "soyez patient" ne suffit pas. J'aurai aimé d'abord qu'on me prévienne à quel point ça va être difficile et en même temps me promettre positivement que tout ira bien. Maintenant je comprends.