Chapitre 2 "Une voix du Passé"15 ans plus tard...
Kyoko fit un arrêt devant la porte du bureau, ne souhaitant pas y entrer. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours vécu au pensionnat de jeunes filles et aussi loin que portait sa mémoire, être convoquée dans le bureau de Madame Merde n'avait jamais été une bonne chose. La phrase "Oh Merde" prenait une toute nouvelle signification.
"Entrez, Hogo." Même en étant quelque peu étouffée car provenant de l'autre pièce, la voix féminine semblait dure et inflexible, le genre de voix qui tapait sur les nerfs.
Kyoko eut un mouvement de recul, se demandant comment la vieille dame pouvait savoir qu'elle se tenait là. Elle regarda à nouveau autour d'elle, cherchant des yeux une caméra espion qu'elle n'avait jamais découvert puis haussa les épaules et ouvrit la porte.
En voyant que la directrice n'était pas seule dans son bureau, Kyoko se mit à déplacer son poids d'une jambe vers l'autre nerveusement en se demandant ce qu'elle avait bien pu faire cette fois pour se trouver dans les ennuis. Puisque l'école se situait au milieu de nulle part et que les garçons n'y étaient pas admis, elle n'avait jamais été dans la même pièce qu'une personne du sexe opposé et détourna instantanément son regard de lui.
"Prenez un siège, Mademoiselle Hogo, nous avons plein de choses à discuter." Madame Merde avait dit cela avec toute la condescendance dont elle était capable. Même elle, semblait secouée par le fait que sa très digne école ai été envahie par un homme. "Voici Monsieur Sennin, un avocat en charge des affaires de votre famille depuis que vous avez été placée dans notre école. Il vient de m'informer que sa mission touche à sa fin et que tous les droits liés à la succession vous reviennent à partir de ce soir, minuit."
Kyoko cligna des yeux plusieurs fois, dans sa grande confusion. La quoi de sa famille ? On lui avait toujours dit qu'elle était une pupille de l'école et elle avait cru que cela signifiait qu'elle était orpheline. Son anniversaire était le lendemain mais... Kyoko s'arracha à ses pensées lorsque Madame Merde se leva brusquement et se dirigea vers la porte du bureau.
La vieille femme avait le dos raide comme une planche et ses talons cliquetaient bruyamment sur le bois du parquet. Son regard baissé descendant le long de son nez par delà les embarrassantes lunettes qui pendait au bout. "Je laisse le soin à Monsieur Sennin de vous expliquer le reste." La porte se referma avec un claquement sonore, laissant Kyoko en compagnie de l'homme, seule dans le bureau.
"Puis-je vous appeler Kyoko ?" Monsieur Sennin demanda poliment. Personnellement, il était bien aise que la vieille carne les ai laissés seuls.
Dans sa voix éraillée résonnait le poids des ans mais elle était douce et calme à la fois, ce qui décida enfin Kyoko à relever ses yeux d'émeraude au niveau des siens. Il portait le costard cravate typique d'un avocat, mais son sourire était celui d'un gentil grand-père car il remontait jusqu'à ses yeux gris pétillants. Elle hocha la tête, prenant un moment pour retrouver la parole.
"Vous connaissez ma famille ?" Kyoko posa la seule question à laquelle elle pensait ne jamais obtenir de réponse.
"Je les ai très bien connu. Votre grand-père était mon meilleur ami." Il soupira alors qu'il tirait la chaise de Madame Merde pour l'approcher de celle de Kyoko de l'autre côté du bureau. Votre grand-père vous a amenée à moi lorsque vous n'aviez que trois ans avec des instructions très précises et un testament. Il est mort dans un étrange accident à peine quelques heures après avoir quitté mon cabinet."
Le vieil homme pris une grand inspiration comme si le souvenir lui causait une grande souffrance, puis il commença son explication. "Votre grand-père vint à moi en toute confiance. Il me raconta que chacun dans votre famille était en danger. Vos parents venaient juste de décéder dans de mystérieuses circonstances et il craignait pour votre vie... Craignant sans doute que vous soyez la prochaine, je suppose."
Il s'agita comme si une lutte interne l'empêchait de poursuivre. "Voyez-vous... Votre mère et votre père furent retrouvés dans le salon de votre maison de famille, ils semblaient avoir été déchiquetés par un animal non identifié. " Ses yeux s'assombrir à cette pensée." Mais il n'y eut jamais aucune preuve de la présence d'animaux dans la maison."
Monsieur Sennin fronça les sourcils, "Lorsque la police est arrivée, elle a cherché votre jeune frère Tama, mais il avait disparu sans laisser de traces. Vous vous trouviez avec votre grand-père à la foire du comté au moment de la mort de vos parents. Mais lorsque les enquêteurs ont fouillé la maison, c'est dans votre chambre qu'ils ont trouvé le plus de dégâts. C'est alors que votre grand-père vous a amenée à mon bureau."
"Ils sont tous morts ?" Kyoko se senti comme aveuglée par des phares de voiture... Apprendre dans la foulée qu'elle avait une famille et qu'elle l'avait perdue. "Personne ne m'a jamais rien dit de tout ceci. On m'a toujours dit que j'étais une pupille de l'école, c'est tout. On ne m'a jamais autorisée à quitter l'enceinte de l'école. "Elle cligna des yeux en se demandant si elle n'aurait pas mieux fait de ne rien savoir.
Monsieur Sennin hocha la tête, "Mes instructions étaient de vous envoyer dans un pensionnat isolé aussi éloigné que possible de votre maison familiale, puis de n'avoir aucun contact avec vous sous aucune forme jusqu'à votre dix-septième anniversaire. J'ai toujours réglé vos frais de scolarité depuis un compte offshore pour éviter qu'on établisse un lien."
Il balaya la pièce du regard semblant regretter son isolation. "La seule raison de mon choix est que ce lieu est sur une terre sacrée... Bénie par les moines qui vivent dans le monastère au sommet de la montagne. Leur lignée et leurs traditions sont parmi les plus vieilles au monde... Et les plus puissantes. J'ai aussi demandé qu'on ne vous autorise jamais à quitter l'enceinte de l'école. Voyez-vous, votre grand-père était convaincu que si vous n'étiez pas dissimulée quelque part... Que les démons vous trouveraient."
La surprise provoqua chez Kyoko un mouvement de recul. " Les démons ?" C'était cela, son secret et elle ne l'avait jamais révélé à personne. Ses camarades de chambre l'avaient toujours questionnée à propos de ses cauchemars lorsqu'elle se réveillait en hurlant, mais elle leur répondait simplement qu'elle ne se rappelait pas des rêves. Elle baissa les yeux de crainte qu'il ne lise la peur dedans.
Kyoko essaya d'écarter les visions qui tentaient de se former dans son esprit. L'image mentale du portrait de famille qu'elle avait secrètement porté dans son Cœur était à présent recouverte de sang. Clignant des yeux pour chasser cette vision jusqu'à ce que tout ce qu'elle puisse voir soit le brave homme qui lui avait parlé si franchement lorsqu'elle avait posé la question :
"Il se passera quoi, ce soir à minuit ? Madame Merde dit..."
"Madame Merde," Monsieur Sennin rit puis s'éclaircit la gorge. "Vous devez admettre que ce nom lui convient parfaitement."
Il partagèrent un sourire puis il plaça son dossier rempli de paperasse sur le bureau devant Kyoko. "Il y a une maison assez grande et une somme d'argent encore plus grande qui doivent vous revenir ce soir à minuit. Vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le désirez, ou vous pouvez rentrer chez vous dans la maison ou vous êtes née et y terminer votre dernière année de lycée."
Les lèvres de Kyoko s’entrouvrirent et la taille de ses yeux émeraude avait doublé à mesure qu'il parlait. "J'ai une maison ?" Il avait l'air un peu contrit lorsqu'il répondit. "Oui. Elle est située à la bordure de la ville et la terre qu'on peut voir derrière est à vous aussi loin que porte le regard. Il y a même une piscine chauffée creusée dans le sol au milieu des jardins fleuris à l'arrière de la maison, qu'on ne peut apercevoir depuis la route. Vous aurez toute l'intimité que vous pourrez souhaiter."
La voyant se mordre la lèvre inférieure, il tenta d'apaiser ses craintes. "La maison n'est pas au milieu de nulle part comme cette école. Il y a une énorme maison de l'autre côté de la rue et il y a toujours beaucoup d'allées et venues. Je l'ai remarqué car ma femme et moi avons été dans votre maison une fois par mois afin de faire un peu de nettoyage pendant ces quinze dernières années. Nous l'avons même réapprovisionnée récemment pour le cas où vous souhaiteriez d'y venir."
Un sourire gagna lentement les lèvres de Kyoko comme elle tendait la main vers l'unique chose qu'elle avait toujours voulu. A l'intérieur du dossier se trouvait la photo d'une vaste maison avec un jardin fleuri bien entretenu et une longue allée. Chez elle... Elle avait un foyer, un lieu ou sa famille avait jadis vécu et connu le bonheur.
Levant les yeux à nouveau vers Monsieur Sennin, elle sourit une fois de plus et lui donna sa réponse. "Quand pourrons-nous partir ?"
*****
Kyoko se tenait sur la pelouse à l'avant, les yeux levés vers la maison dans laquelle Monsieur Sennin lui disait qu'elle avait vécu avec sa famille. La maison possédait deux étages, d'un blanc pur, elle avait d'immenses colonnes se dressant jusqu'au toit du porche avant qui s'étalait sur toute la façade de la maison. Elle était restée debout là pendant près de dix minutes occupée uniquement à absorber tout cela, mais le soleil disparaissait rapidement et elle concentra son attention sur la porte d'entrée.
Cela l'avait rendue nerveuse, de quitter le pensionnat de filles et de prendre l'avion pour traverser l'océan, mais à présent elle était chez elle, une discrète sérénité s'était emparée d'elle. Monsieur Sennin avait vraiment été d'une grande aide, faisant livrer ses bagages à l'avance par l'intermédiaire de sa femme. Il avait même fait transférer son dossier scolaire vers le lycée de la ville de manière à ce que tout ce qu'elle ai à faire le lendemain soit de se rendre en classe.
En voyant la lumière de phares se déplacer sur toute la façade de sa maison, Kyoko jeta un œil par dessus son épaule vers la résidence de l'autre côté de la petite rue à deux voies.
C'était une maison d'environs la même surface que la sienne, mais c'était différent. Chaque pièce de l'autre maison avait la lumière allumée et il y avait tant de voitures dans l'allée... Elle semblait pleine de vie. Les deux maisons étaient construite en bordure de route avec uniquement du terrain autour aussi loin que porte le regard. C'était comme si c'était les seules construites à la lisière de la forêt à proximité des montagnes.
Les phares en question provenaient d'une Jeep qui freina dans un crissement de pneus pratiquement en face de la porte de l'autre maison. Elle entendit le grincement mécanique juste avant de voir la portière s'ouvrir. Se retournant vers sa propre maison, elle comprit à quel point cette maison était véritablement solitaire.
Entendant claquer la portière de la Jeep, elle monta rapidement les marches clé en main et se dépêcha de refermer la porte derrière elle avant même d'avoir allumé la lumière.
Sans trop savoir pourquoi, elle sentait qu'elle n'était pas prête à rencontrer les voisins et leur joyeuse famille et leur vie ordinaire. En appuyant sur l'interrupteur, Kyoko expira, réalisant soudainement qu'elle avait retenu son souffle de façon involontaire.
*****
Toya gara négligemment la Jeep et s'en extirpa en jetant un regard à la maison d'en face. Il aurait pu jurer qu'il venait d'y voir quelqu'un dans la cour devant l'entrée. Un sourcil sombre se dressa sous sa frange alors que de la lumière apparaissait dans la pièce principale. Il s'appuya contre la Jeep en se demandant qui pouvait bien se trouver dans la maison des Hogo.
"T'as ramené de la pizza ?"
Toya sursauta violemment lorsque la voix de Kamui s'éleva à un peu moins d'un mètre derrière lui.
Putain, Kamui ! Un de ces jours j'aurais le temps de t'arracher la tête avant de savoir que c'est toi qui est en train de te glisser en douce dans mon dos !
Kamui grimaça, " Me tuer une fois ne t'as donc pas suffi ? " Ses yeux couleur de poussière d'étoiles s'illuminèrent lorsqu'il vit les boîtes de pizza étalées sur le siège arrière. Connaissant la façon de conduire de Toya, c'était un miracle qu'elles aient survécu au trajet. Les ramassant, Kamui commença à retourner vers la maison quand il se rendit compte que Toya n'avait pas bougé d'un pouce.