Atlas la vit sourire, et tout son être s’en trouva ébranlé. Une sensation brutale, inattendue, presque étrangère, comme si un organe oublié se réveillait dans sa poitrine. Cette femme, devant lui, n’avait pourtant rien d’extravagant. Et pourtant, il ne parvenait pas à détacher son regard. Vêtue d’une robe bleu nuit sobre, qui s’arrêtait juste au-dessus des genoux, elle avait relevé ses cheveux noirs en un chignon élégant, laissant paraître la douceur de sa nuque. De petites boucles de perles pendaient à ses oreilles. Tout en elle contrastait avec l’image qu’il gardait d’elle la veille. Elle semblait… métamorphosée.
Son visage avait une beauté calme, presque irréelle. Sans fard, à l’exception d’un rouge à lèvres écarlate, elle dégageait une fraîcheur brute, déconcertante. Ses joues, légèrement rosées, évoquaient le contraste délicat d’un crépuscule sur un champ enneigé. Ses lunettes à monture épaisse glissaient légèrement sur l’arête courte et fine de son nez, ajoutant à son charme une note intellectuelle inattendue. Il plongea dans ses yeux, à travers les verres, et fut saisi. Un brun doré, lumineux, comme des noisettes baignées de lumière d’automne. Ils étaient d’une clarté troublante, vibrants de naïveté, d’enthousiasme, mais… il savait. Il savait que les regards les plus limpides cachaient parfois les abîmes les plus insondables.
Il scruta son visage, descendit jusqu’à la courbe douce de ses épaules, la ligne discrète de sa poitrine, puis ses lèvres pleines qu’elle mordillait avec nervosité. Un désir sauvage, presque interdit, le traversa, implacable. Elle nouait les doigts de ses mains, trahissant son malaise. Il la rendait nerveuse. Et l’idée même de cette influence sur elle fit naître un feu doux mais tenace dans ses veines.
« Monsieur ? » La voix de la réceptionniste coupa net le fil de ses pensées.
Il sursauta intérieurement, se racla la gorge et réalisa qu’il lui tenait encore la main. Il la relâcha aussitôt. Les joues de la jeune femme se teintèrent d’un rose tendre.
Elle est adorable, pensa-t-il, avec une pointe d’agacement envers lui-même.
« Je suis désolée d’interrompre, Monsieur, mais M. Miles souhaite savoir si vous accepterez de le rencontrer aujourd’hui. »
Depuis qu’il avait congédié son ancienne assistante pour avoir divulgué ses données personnelles, cette réceptionniste, discrète mais efficace, s’occupait de son emploi du temps. Atlas passa une main lasse sur sa nuque. Il était exténué. La direction de son entreprise, conjuguée à l’enquête personnelle qu’il menait sur l’accident de son frère, le vidait lentement de toute énergie.
Il soupira longuement. « Oui. Mais uniquement lui. Libérez le reste de ma journée. J’ai besoin de repos. »
L’idée même de voir John Miles le répugnait. Cet homme était une vipère déguisée en bienfaiteur. Sans l’aide qu’il avait un jour apportée à son père, il ne lui aurait jamais accordé ce rendez-vous.
Atlas se tourna vers elle. « Mademoiselle ou Madame ? »
Elle cligna des yeux, surprise, avant de répondre timidement : « Mademoiselle, s’il vous plaît. »
Il hocha la tête. « Est-ce que vous avez un petit ami ? »
La question la prit visiblement de court. Il vit l’ombre d’un trouble dans son regard, mais il avait besoin de savoir. Si elle appartenait déjà à quelqu’un, il était prêt à effacer ce rival. La seule idée qu’un autre homme puisse poser la main sur elle faisait grimper sa colère en flèche.
« N-non. »
Il esquissa un sourire en coin. « Très bien. Mademoiselle Rossi, je vous ai observée. J’espère que mes questions ne vous gênent pas trop, mais j’ai besoin de m’assurer que ce travail sera votre priorité. Aucun homme ne viendra perturber votre concentration, n’est-ce pas ? »
Elle hocha la tête sans dire un mot. Il aurait préféré qu’elle réponde à voix haute. Il voulait entendre ce timbre qu’il avait deviné soyeux, presque fragile. Mais il savait qu’elle était réservée. Bientôt, elle s’ouvrirait à lui. Elle deviendrait sienne.
Ils traversèrent le couloir jusqu’à son bureau, sans échanger un mot. Lorsqu’ils entrèrent, il désigna l’espace en face du sien. « Ton bureau est juste là. Tu organiseras mes rendez-vous, répondras au téléphone, gèreras mes dossiers. Et surtout… tu me prépareras mon café. Tu sais faire du café, Mademoiselle Rossi ? »
Elle répondit d’un ton doux : « Oui, Monsieur. Comment l’aimez-vous ? »
Il s’arrêta net, se retourna vers elle avec un éclat malicieux dans les yeux. « Je le veux fort, noir, intense, sans sucre ni crème. Brut. »
Elle détourna le regard, rougissante. Son trouble n’échappa pas à Atlas. Il esquissa un sourire amusé.
« Pourquoi rougissez-vous, Mademoiselle Rossi ? Vous savez que je parle de café… n’est-ce pas ? »
« Je… je… oui, bien sûr. Je sais que… que vous parlez de café. Rien d’autre. »
Il la fixa en silence, son regard effleurant chaque contour de son corps. Elle tortillait de nouveau son doigt gauche. Il nota ce tic. Une marque de nervosité récurrente. Une faiblesse qu’il saurait exploiter.
« Très bien. » Il s’installa dans son fauteuil, derrière son bureau d’ébène, et l’invita d’un geste à s’asseoir. Elle s’exécuta avec discrétion.
« Parlez-moi de vous. Pourquoi postulez-vous ici ? Et surtout, pourquoi devrais-je vous embaucher ? »
Elle inspira profondément, rassemblant visiblement son courage. Son hésitation trahissait son inconfort, mais elle se lança : « Je suis Meredith Rossi. J’ai vingt-quatre ans. »
Il la fixait, sans la quitter des yeux. Vingt-quatre ans, vraiment ? Elle en paraissait à peine dix-huit. Toute cette candeur… Elle éveillait en lui des désirs plus sombres.
« J’ai un petit frère. Il s’appelle Aaron. Il a douze ans. Il est au collège… »
Il l’interrompit doucement. « Et tes parents ? »
Un voile passa sur son visage, éteignant l’éclat de ses yeux. Elle blanchit presque instantanément. Il venait de toucher une corde sensible.
Il n’insista pas. Ce n’était pas encore le moment. Elle finirait par tout lui dire. Il aurait ses réponses, tôt ou tard.
Et il aurait aussi tout le reste.