Le trajet de retour semblait interminable dans l’éclat métallique de sa décapotable flambant neuve. Atlas gardait les mâchoires serrées, les doigts crispés sur le volant. La colère battait encore dans ses veines — il avait cédé à l’impulsion, éliminant un informateur précieux dans un accès de rage. Une erreur. Une erreur qu’il ne pouvait plus réparer. Il accéléra doucement, essayant de dissiper l’agitation en lui.
À sa surprise, les rues de Palerme étaient presque désertes. C’était rare. La ville avait cette réputation d’être imprévisible, sujette à des embouteillages absurdes à toute heure du jour ou de la nuit. Le calme inattendu avait quelque chose de presque apaisant.
Son téléphone vibra sur le tableau de bord. Il jeta un rapide coup d’œil à l’écran, ses yeux toujours à moitié rivés sur la route. « Tu rentres ? ;) » Un sourire en coin. Elle était encore chez lui.
« J’arrive », répondit-il d’un pouce distrait.
Il savait très bien à quoi s’en tenir. Elle n’était là ni pour lui ni pour ses beaux yeux. C’était l’argent. Et il s’en moquait. Il n’avait ni le temps ni l’envie de s’attacher. Elle avait été invitée pour combler une solitude physique, pas émotionnelle. Pourtant, voilà qu’elle s’installait, comme si elle faisait déjà partie de sa routine. Il n’avait pas protesté. Il n’en voyait pas l’intérêt.
Un éclat rouge traversa son champ de vision, et il freina violemment. Les pneus hurlèrent contre l’asphalte. Juste devant lui, une silhouette s’écroula, les bras levés en bouclier, le souffle coupé.
Elle resta figée, s’attendant visiblement à mourir sur place.
Mais rien.
Encore vivante.
Elle rouvrit les yeux, haletante, et leurs regards se croisèrent.
Un instant suspendu.
Le temps, les bruits, tout sembla s’effacer.
Ses sacs de courses étaient éventrés sur la chaussée, des livres éparpillés entre ses jambes tremblantes. D’ordinaire, il n’aurait même pas ralenti. Il aurait reculé, tourné le volant, et continué sa route. Mais ce soir-là, quelque chose l’en empêcha.
Il descendit de voiture, lentement, presque à contre-cœur, et s’approcha d’elle. Sans un mot, il se pencha et commença à ramasser les livres.
— Je suis désolée, je suis désolée, répétait-elle en se courbant plusieurs fois.
— Ce n’est rien, répondit-il calmement.
Mais alors qu’il allait lui tendre un ouvrage, elle le lui arracha vivement des mains, poussant un cri nerveux avant de fourrer précipitamment le reste dans son sac.
— Euh… ok ? fit-il, haussant un sourcil.
— Tu… tu as vu ? demanda-t-elle, sa voix un murmure presque inaudible.
Il s’interrompit.
Il y avait dans ce timbre quelque chose d’étrangement familier. Quelque chose qui lui hérissa les sens.
— C’est un livre érotique, hein ? Je crois que j’ai vu…
Elle plaqua ses mains contre sa bouche, secouant vigoureusement la tête.
Il la fixa. Quelque chose en elle… il n’aurait su dire quoi. Elle n’avait rien de remarquable : une queue de cheval banale, des lunettes discrètes, une peau claire et un visage doux, mais sans éclat particulier. Pourtant, il ne parvenait pas à détourner les yeux.
Elle se tenait là, vulnérable, tremblante, les lèvres encore couvertes par ses doigts. Et lui, impassible, ne la repoussa pas quand ses mains s’approchèrent trop. Au contraire, dans un geste totalement inattendu, il passa la langue sur sa paume.
Elle bondit en arrière, scandalisée.
— Pourquoi vous avez fait ça ?! cria-t-elle.
Il la regarda longuement, goûtant encore son empreinte sur ses lèvres.
— Monsieur ? Monsieur ?! répéta-t-elle en claquant des doigts devant ses yeux.
Il cligna, comme réveillé d’un rêve étrange.
— Pardon… Fais attention quand tu traverses la route, dit-il simplement en se redressant.
— Merci, murmura-t-elle avant de filer en courant, sans oser se retourner.
Franchement, elle n’était pas son genre.
Et pourtant…
Lorsqu’il poussa la porte de son appartement, il savait déjà qu’il trouverait Mia en cuisine. Elle était toujours là.
— Tadaaa ! annonça-t-elle joyeusement, dévoilant le plat du soir.
— Tu t’es surpassée, dit-il en s’installant.
Le riz sauté aux champignons shiitakés et aux châtaignes d’eau était savoureux. Mia cuisinait bien. Mieux que toutes ses précédentes conquêtes, en tout cas. Celles-là ne savaient à peine faire bouillir de l’eau. Il s’en fichait habituellement. Il avait les moyens de se payer un chef personnel. Mais il fallait l’admettre : c’était agréable de manger quelque chose préparé avec soin.
Malgré tout, c’était l’autre fille qui occupait ses pensées.
Pourquoi ? Pourquoi elle ?
Après le dîner, il s’allongea sur le lit, bras derrière la tête, les yeux perdus dans le plafond. Impossible de l’oublier. Sa banalité, justement, le hantait. Elle ne méritait même pas qu’il se souvienne d’elle. Et pourtant…
— Tu penses à quoi ? demanda Mia en sortant de la salle de bain, ses cheveux encore humides.
Il la regarda, analysant son visage, ses courbes. Elle avait un joli corps, une peau plus dorée. Mais son visage… Il n’y trouvait pas ce qu’il cherchait.
Il se leva, alla à la commode, en sortit une paire de lunettes et la lui tendit.
— Mets ça.
Elle haussa les sourcils, intriguée, mais s’exécuta.
— Comme ça ?
Ce n’était pas exactement ce qu’il voulait, mais ça ferait l’affaire pour l’instant.
— Bien. Monte sur le lit, dit-il en commençant à déboutonner sa chemise.
Mia ne protesta pas. Elle connaissait la chanson. Atlas revenait parfois de ses rendez-vous d’affaires avec ce besoin d’intimité charnelle, un réconfort brutal pour chasser les cauchemars qui venaient le hanter la nuit.
Alors qu’il posait ses mains sur elle, son téléphone vibra à nouveau.
Un message.
Une connaissance. Quelqu’un à qui il devait une faveur.
« Le poste de secrétaire est toujours libre ? »