Chapitre 2
La faible braise qui réchauffait encore l’âme de Sabrina se dissipa en un souffle. Comment pouvait-il rechercher son corps s’il n’avait jamais voulu de son cœur ? Le dégoût qu’il semblait éprouver pour elle n’empêchait pourtant pas ses visites nocturnes. Puisqu’il avait déjà décidé de l’effacer de son avenir, elle n’allait plus lui offrir la moindre facilité.
« Je veux mettre fin à ce mariage, Robin. Je refuse de cohabiter avec une autre femme sous le même toit. »
L’annonce le prit au dépourvu, bien que son visage demeura inexpressif. Il connaissait l’attachement profond de Sabrina, si bien qu’il n’aurait jamais imaginé la voir choisir la rupture. Pourtant, malgré tout ce mépris qu’il s’efforçait de lui infliger, quelque chose en elle l’avait toujours attiré, comme une force qu’il haïssait autant qu’il la subissait.
Il prétendait rester avec elle pour honorer les souhaits de son père, mais même cela n’était qu’un mensonge commode. Désormais, il avait Zayla, la femme qui avait un jour arraché sa vie à la mort, la seule devant qui il s’était juré d’être fidèle. Sabrina ne lui manquerait pas ; il voulait un héritier, et Zayla représentait à ses yeux une promesse que son épouse légitime n’avait jamais su incarner.
« Très bien. Je t’accorderai deux demeures, deux voitures et deux cents millions de livres sterling. Considère cela comme un règlement confortable. »
« Je ne veux rien de tout cela », déclara Sabrina d’une voix étrange, presque absente.
Les sourcils de Robin se froncèrent. Il se rendit compte qu’il ne savait presque rien de cette femme avec laquelle il partageait pourtant sa vie. Quelle autre motivation aurait-elle eue pour l’épouser que la richesse ? En lui donnant une fortune, il pensait soulager sa propre culpabilité.
« Sans argent, que comptes-tu devenir ? Je n’ai pas envie d’apprendre que mon ex-femme vit dans la misère », lança-t-il d’un ton venimeux, voulant la réduire en poussière.
Elle ne désirait rien de lui puisqu’il lui refusait l’unique chose qu’elle avait espérée : son amour. Malgré tout, elle n’avait jamais failli à la promesse faite au père de Robin. Pas encore.
« Je veux seulement cette villa. C’est tout. Je rédigerai les papiers demain. »
Pourquoi sa poitrine se serrait-elle autant ? Quinze ans à aimer un homme, trois ans à partager son nom… pour finir ainsi, ignorée, rejetée. Elle n’avait pourtant que vingt-cinq ans. Peut-être était-il temps de reconstruire ce que la douleur avait piétiné. Robin, lui, resta bouche close.
La villa valait soixante millions. Robin jugea absurde qu’elle renonce à tout le reste pour ces murs. Peut-être faisait-elle honneur à la mémoire de son père, songea-t-il. L’homme âgé avait vécu ici six mois, persuadé que Sabrina ne connaîtrait jamais le bonheur auprès de son fils. Cette maison avait été son refuge, la raison pour laquelle elle avait refusé de retourner chez ses parents malgré leur insistance.
« Es-tu certaine que cette villa te suffira ? » demanda Robin, la voix lourde.
Il la croyait naïve, inconsciente des réalités d’une vie sans argent. Il se disait qu’elle reviendrait tôt ou tard implorer son aide et qu’il pourrait alors lui imposer n’importe quelle condition… notamment s’occuper de Zayla et de l’enfant à venir. Sabrina avait toujours eu le cœur trop tendre.
Aucun des deux ne remarqua le visage crispé de Zayla. La jeune femme comprit immédiatement que Robin allait accepter la requête de Sabrina, et cela la dévora.
« Chéri, j’aimerais offrir cette villa à ton futur enfant. Elle est si chaleureuse », susurra-t-elle avec une douceur calculée.
Sabrina se figea. Les paroles du père de Robin, prononcées la veille de sa mort, résonnèrent dans sa mémoire.
« Sabrina, promets-moi que cette villa ne quittera jamais tes mains, quoi qu’il advienne entre toi et mon fils. Ce lieu est un héritage. Si une autre femme y pose sa main, tout sera perdu. »
Elle se revit protester, affirmant que ses propres parents étaient capables de lui offrir bien plus. Il avait simplement fermé les yeux, épuisé, et murmuré que la fragilité de Robin finirait par tout détruire. Il lui avait demandé cette promesse comme un dernier souffle. Elle l’avait acceptée pour apaiser son âme, sans jamais imaginer que cela deviendrait un fardeau brûlant.
« Cette maison porte l’empreinte de ton père, Robin. Il m’a accueillie comme une fille. Je veux que cela ne change jamais », dit Sabrina, retenant de justesse ses larmes.
Les yeux de Zayla prenaient une teinte étrange, oscillant entre la jalousie et l’avidité. Elle savait ce que cette villa renfermait. Son retour n’était pas dû au hasard : elle était partie autrefois parce que le père de Robin menaçait de dévoiler ses secrets. Maintenant qu’il était mort, elle revenait s’installer là où elle n’avait jamais réussi à mettre le pied.
« Donne-lui plutôt le penthouse, chéri. C’est un merveilleux endroit pour élever un enfant », minauda-t-elle, agrippant le t-shirt de Robin.
Il tenta de garder une posture équitable.
« Sabrina a été une épouse irréprochable. Elle ne demande que cette villa. Toi, tu as déjà… moi. »
Le regard qu’il posa sur Zayla la força à détourner les yeux. Elle craignait qu’il ne découvre l’envers de ses sourires. Elle se contenta d’un murmure :
« Oui, tu as raison… mais je ne veux pas dîner au restaurant ce soir. »
Elle lança à Sabrina un regard chargé de mépris. Dans l’esprit de Zayla, Sabrina devait la servir. C’était la seule façon pour elle de se sentir supérieure, malgré la fortune colossale de la famille James. Mais Robin interpréta ce « oui » autrement.
« Sabrina, puisque tout est réglé, va nous servir le repas. »
Elle ne répondit pas. Le téléphone collé à son oreille attira aussitôt l’attention de Robin. Elle ne recevait jamais d’appel, et ce léger sourire qu’elle affichait… il ne l’avait jamais vu ainsi. Sa beauté avait une douceur nouvelle, presque troublante. Quelle idée absurde. Il n’avait jamais désiré Sabrina. Il couchait avec elle par devoir, rien de plus. Il n’avait jamais utilisé de protection avec elle, pourtant avec toutes les autres femmes, il en mettait toujours. Avec Zayla, ce n’était arrivé qu’une seule fois, dans une ivresse partagée.
Sabrina raccrocha.
« Vous avez dit quelque chose ? »
« Le repas », répéta Robin sèchement.
Elle cligna des yeux. Une pensée cruelle lui traversa l’esprit. Robin ne mangeait bien qu’à la maison, et toujours ce qu’elle préparait. Le voir affamé en présence de Zayla lui donna une idée.
« Margaret ! »
La première femme de chambre accourut aussitôt.
« Oui, madame ? »
« Va chercher le dîner, s’il te plaît. »
Le sourire en coin de Zayla se fit triomphant. Robin déglutit, impatient. Il se demanda pourquoi Sabrina ne servait pas elle-même le plat comme d’habitude. Peut-être la présence de Zayla la blessait-elle. Il allait dire quelque chose, mais l’odeur du plat envahit la pièce avant même que Margaret ne l’ait posé.
« Pas là », lança soudain Sabrina, arrêtant la servante net.
Margaret demeura figée. Robin et Zayla levèrent brusquement la tête.
« Que dois-je en faire, madame ? »
« Toi et les autres pouvez le manger. Il est pour vous », répondit Sabrina avec un calme déconcertant.
La servante hésita, les mains tremblantes.
« Vous… êtes certaine ? »
« Je l’ai préparé moi-même. Alors mangez, toutes. »
Le sourire qui étira ses lèvres fit blanchir Zayla et crispa Robin.
« Sabrina, qu’est-ce que cela signifie ?! »
Elle ne le laissa pas terminer. Elle prit le plat des mains de Margaret et l’incita à partir.
« Tu as désormais une femme qui t’accompagne partout, Robin. La cuisine est juste à côté. Rien ne l’empêche de te préparer ce que tu veux. »