De ce jour, les révoltes de la rue et les colères du moment prirent un plus large caractère et une plus longue durée ; ce ne fut plus une émeute isolée qui souleva une cité, ce fut une conflagration générale qui enflamma le Midi, et l’insurrection monta au rang de guerre civile.
Cet état de choses dura sept ou huit ans : pendant sept ou huit ans, Rohan, abandonné par Châtillon et La Force, qui payaient de leur défection le bâton de maréchal, pressé par Condé, son ancien ami, et par Montmorency, son éternel rival, fit des prodiges de courage et des miracles de stratégie. Enfin, sans soldats, sans munitions, sans argent, il était encore tellement redoutable à Richelieu, que le ministre lui accorda les conditions qu’il demandait, c’est-à-dire la garantie de l’édit de Nantes, la restitution des temples aux réformés, et une amnistie générale pour lui et ses partisans. En outre, chose inouïe jusqu’alors, il obtint trois cent mille livres comme indemnité de l’argent qu’il avait dépensé pendant sa rébellion ; il en abandonna deux cent quarante à ses coreligionnaires, ne gardant, pour rebâtir ses châteaux et remettre sur pied sa maison entièrement délabrée, qu’une somme de soixante mille livres, c’est-à-dire le quart à peine de ce qu’il avait reçu. Cette paix fut signée le 27 juillet 1629.
Le duc de Richelieu, à qui rien ne coûtait pour parvenir à son but, y était enfin arrivé ; il achetait la paix quarante millions à peu près ; mais la Saintonge, le Poitou et le Languedoc étaient soumis : Les La Trimouille, les Condé, les Bouillon, les Rohan et les Soubise avaient traité ; enfin les grandes oppositions armées avaient disparu, et le cardinal-duc regardait de trop haut pour apercevoir les oppositions particulières. Il laissa donc Nîmes faire ses affaires intérieures comme elle l’entendait, et tout y rentra bientôt dans l’ordre ou plutôt dans le désordre accoutumé. Enfin Richelieu meurt, Louis XIII le suit à quelques mois de distance, et les embarras de la minorité donnent aux protestants et aux catholiques du Midi liberté plus entière que jamais de continuer ce grand duel qui n’est pas encore terminé de nos jours.
Seulement, chaque flux et reflux porte de plus en plus le caractère particulier du parti qui triomphe : si ce sont les protestants qui sont vainqueurs, la vengeance est brutale et colère ; si c’est le parti catholique, les représailles sont hypocrites et sordides.
Les protestants jettent bas les églises, rasent les couvents, chassent les moines, brûlent les crucifix, détachent quelque malfaiteur de la potence, clouent le cadavre en croix, lui percent le côté, lui mettent une couronne sur la tête, et vont le planter sur la place du marché, pour parodier Jésus au Calvaire.
Les catholiques imposent des contributions, reprennent ce qu’on leur a pris, exigent des indemnités, et, ruinés à chaque défaite, se retrouvent plus riches à chaque victoire.
Les protestants procèdent au grand jour, et, au son de la caisse, fondent publiquement les cloches pour faire des canons, v*****t les signatures, se chauffent dans les rues avec le bois des chanoines, affichent leurs thèses sur les portes de la cathédrale, battent les curés catholiques qui vont porter le Saint-Sacrement aux moribonds, et enfin, pour comble d’insulte, transforment les églises en abattoirs et en voiries.
Les catholiques, au contraire, marchent dans la nuit, rentrent, par les portes entr’ouvertes, plus nombreux qu’ils n’ont été chassés, font l’évêque président du conseil, mettent les jésuites en possession du collège, achètent les conversions avec l’argent du fisc, et comme ils ont toujours un appui dans la cour, ils commencent par faire exclure les calvinistes des grâces, en attendant qu’ils puissent les faire exclure de la justice.
Enfin, le 31 décembre 1657, une dernière émeute arrive, dans laquelle les protestants ont le dessous, et ne sont sauvés que parce que, de l’autre côté de la France et du détroit, Cromwell s’émeut en leur faveur, et écrit de sa main au bas d’une dépêche relative aux affaires d’Autriche : « J’apprends qu’il y a eu des émotions populaires dans une ville du Languedoc que l’on appelle Nîmes : que tout s’y passe, je vous prie, sans qu’on y verse le sang, et le plus doucement possible. »
Par bonheur pour les protestants, Mazarin avait, en ce moment, besoin de Cromwell : en conséquence, on décommanda les supplices, et on s’en tint aux vexations.
Mais aussi, à compter de ce jour, non-seulement elles n’eurent point de fin, mais pas même de trêve ; toujours fidèle à son système d’envahissement, le parti catholique organisa une persécution incessante, que vinrent bientôt renforcer les ordonnances successives de Louis XIV. Le petit-fils de Henri IV ne pouvait, par respect humain, déchirer d’un seul coup l’édit de Nantes, mais il le lacérait article par article.
Dès 1630, c’est-à-dire un an après la paix signée avec Rohan, et sous le règne précédent, Châlons-sur-Saône avait décidé qu’aucun protestant ne serait admis à la fabrication des produits commerciaux de la ville.
En 1643, c’est-à-dire six mois après l’avènement au trône de Louis XIV, les lingères de Paris dressent un règlement qui déclare les filles et les femmes protestantes indignes d’obtenir la maîtrise de leur respectable profession.
En 1654, c’est-à-dire un an après sa majorité, Louis XIV permet l’imposition sur la ville de Nîmes d’une somme de quatre mille francs, pour l’entretien de l’hôpital catholique et de l’hôpital protestant ; et, au lieu d’imposer proportionnellement chaque culte pour défrayer l’hôpital de sa religion, il ordonne que la taxe sera levée sur tous indifféremment ; de sorte que les protestants, qui sont deux fois plus nombreux que les catholiques, payent deux sixièmes de l’impôt prélevé sur eux à leurs ennemis. Le 9 août de la même année, un arrêt du conseil ordonne que les consuls des artisans seront tous catholiques ; le 16 décembre, un arrêt défend aux protestants de faire des députations au roi ; enfin, le 20 décembre, un autre arrêt décide que les consuls catholiques auront seuls l’administration des hôpitaux.
En 1662, il est enjoint aux protestants de n’enterrer leurs morts qu’au point du jour ou à l’entrée de la nuit, et un article de l’arrêt fixe le nombre de ceux qui pourront suivre le convoi.
En 1663, le conseil d’État rend ses arrêts qui prohibent l’exercice du culte réformé dans cent quarante-deux communes des diocèses de Nîmes, d’Uzès et de Mende ; les mêmes arrêts ordonnent la démolition de leurs temples.
En 1664, cet ordre s’étend aux temples des villes d’Alençon et de Montauban, et au petit temple de Nîmes. Le 17 juillet de la même année, le parlement de Rouen fait défense aux maîtres merciers de recevoir aucun ouvrier ou apprenti protestant, tant que le nombre des protestants dépassera le quinzième du nombre des catholiques ; le 24 du même mois, le conseil d’État invalide toute lettre de maîtrise obtenue ou acquise à quelque titre que ce soit par un protestant ; et enfin, en octobre, réduit à deux seulement les monnayers qui peuvent être de la religion réformée.
En 1665, le règlement fait pour les merciers est étendu aux orfèvres.
En 1666, une déclaration du roi régularise les arrêts du parlement ; décide, article 31, que les charges de greffier des maisons consulaires ou les secrétaires de communautés d’horlogers, portiers ou autres charges municipales, ne pourront être tenues que par les catholiques :
Article 33, que, lorsque des processions dans lesquelles le Saint-Sacrement sera porté passeront devant les temples de ceux de la religion prétendue réformée, ils cesseront de chanter leurs psaumes jusqu’à ce que lesdites processions aient passé ;
Enfin, article 34, que lesdits de la religion réformée seront tenus de souffrir qu’il soit tendu des draps et tapisseries, par l’autorité des officiers de la ville, au devant de leurs maisons et autres lieux à eux appartenant.
En 1669, les chambres de l’édit dans les cours des parlements de Rouen et de Paris sont supprimées, ainsi que les places des clercs et des commis des greffes ; puis, la même année, au mois d’août, comme on commence à remarquer l’émigration des protestants, un édit est rendu, dont voici un des articles :
« Considérant que plusieurs de nos sujets ont passé dans les pays étrangers, y travaillent à tous les exercices dont ils sont capables, même à la construction des vaisseaux, s’engagent dans les équipages maritimes, s’y habituent sans dessein de retour, et y prennent leurs établissements par mariage et par acquisition de biens de toute nature ; » Faisons défense à aucun de la religion prétendue réformée de sortir du royaume sans notre permission, sous peine de confiscation de corps et de biens, et ordonnons à ceux qui ont déjà quitté la France de rentrer dans les limites. »
En 1670, le roi exclut les médecins réformés du décannat du collège de Rouen, et ne tolère à ce collège que deux médecins de la religion.
En 1671, publication d’arrêt qui ordonne que les armes de la France seront enlevées des temples de la prétendue religion réformée.
En 1680, une déclaration du roi interdit aux femmes de la religion réformée la profession de sages-femmes.
En 1681, ceux qui abandonnent la religion réformée sont exempts des contributions et du logement des gens de guerre pendant deux ans, et au mois de juillet de la même année on fait fermer le collège de Sédan, le seul qui reste aux calvinistes dans tout le royaume pour l’instruction de leurs enfants.
En 1682, le roi ordonne aux notaires, procureurs, huissiers et sergents calvinistes de se démettre de leurs offices, les déclarant inhabiles à ces professions, et un arrêt du mois de septembre de la même année restreint à trois mois le terme qui leur est accordé pour la vente de leur charge.
En 1684, le conseil d’État étend les dispositions précédentes aux titulaires des charges de secrétaires du roi, et, au mois d’août, le roi déclare les protestants inhabiles à être nommés experts.
En 1685, le prévôt des marchands de Paris enjoint aux marchands privilégiés calvinistes de vendre leur privilège dans l’espace d’un mois.
Au mois d’octobre de la même année, cette longue suite de persécutions, que nous n’avons point encore exposée tout entière, est couronnée par la révocation de l’édit de Nantes. Henri IV, tout en prévoyant ce résultat, avait espéré que l’on procéderait autrement, et que les places fortes resteraient à ses coreligionnaires après la révocation de l’édit ; mais tout au contraire, on avait commencé par prendre les places fortes, et révoquer l’édit ensuite ; de sorte que les calvinistes se trouvèrent entièrement à la merci de leurs ennemis mortels.
Dès 1669, et lorsque Louis XIV menaçait de porter un des coups les plus funestes à la garantie des droits civils des réformés, en abolissant les chambres mi-parties, diverses députations lui avaient été envoyées, pour qu’il arrêtât le cours de ses persécutions ; et pour ne lui donner aucune arme nouvelle contre le parti, ces députations s’étaient adressées à lui avec une soumission dont le fragment de discours suivant pourra offrir un exemple.
« Au nom de Dieu, sire, écoutez, disaient les protestants au roi, écoutez les derniers soupirs de notre liberté mourante ; ayez pitié de nos maux, ayez pitié de tant de pauvres sujets, qui ne vivent presque plus que de leurs larmes : ce sont des sujets qui ont pour vous un zèle ardent et une fidélité inviolable ; ce sont des sujets qui ont autant d’amour que de respect pour votre auguste personne ; ce sont des sujets à qui l’histoire rend témoignage d’avoir contribué notablement à mettre votre grand et magnanime aïeul sur son trône légitime ; ce sont des sujets qui, depuis votre miraculeuse naissance, n’ont jamais rien fait qui puisse attirer aucun blâme sur leur conduite ; nous pourrions même en parler d’une autre manière, mais votre majesté a eu soin d’épargner notre pudeur et de louer dans des occasions importantes notre fidélité en des termes que nous n’aurions point osé prononcer5 ; ce sont encore des sujets qui, n’ayant que votre sceptre seul pour appui, pour asile et pour protection sur la terre, sont obligés par leur intérêt, aussi bien que par leur devoir et leur conscience, de se tenir invariablement attachés au service de votre majesté. »