Chapitre 6

1300 Words
Chapitre 6 — Assis sur le banc, Atlas avait le dos cintré comme une interrogation sans réponse. Un gobelet de cristal entre les doigts, parfumé d’un mélange de citron et de menthe, perlait silencieusement sur le bois poli ; il le porta à ses lèvres avec la paresse d’un homme qui savoure le calme après la tempête. L’eau fraîche glissa dans sa gorge, réveillant un appétit plus ancien que la faim : celui du pouvoir, un désir de s’imposer au monde, pas seulement d’y survivre. — Sansa, appela-t-il d’une voix qu’il voulait douce et qui restait coupante, comme du verre. Tu me sauves la mise, dit-il, moitié ironique, moitié sincère. La boisson claqua contre son ventre vide, un rappel physiologique et symbolique que la reconstruction exigeait du carburant. Puis, comme à chaque fois qu’il sentait sa volonté s’animer, il appela le système. Atlas laissa échapper un ricanement bas, qui flotta dans l’air comme un défi. Les chiffres dansaient devant lui, tentateurs. Plus encore que la puissance brute, ce qui l’obsédait c’était la possibilité d’atteindre ce qu’il appelait la « classe cachée » — une promesse de capacités hors du commun, une ascension possible hors du rôle qui lui était assigné. Il pensa tout haut, comme pour tester l’écho de ses propres idées : « Est-ce si fou d’envisager d’exploiter la colère, le vide, le désespoir ? » Les émotions, réalisa-t-il, n’étaient pas de simples réactions ; elles pouvaient se convertir, se concentrer, propulser l’action. Là était le véritable secret : transformer la douleur en combustible pour le changement. Un frisson parcourut l’air, subtil comme l’odeur du métal chauffé. Quelqu’un observait. Atlas ne se retourna pas ; il savait mieux que de se laisser surprendre à regarder par derrière. La rancœur émanait des murs, palpable comme une chaleur oppressante. Un son de porcelaine qui se brise déchira le calme — un domestique maladroit, un vase trop près d’un pas, qu’importe — et Atlas sourit, un sourire long et fin. La peur qui se répandit dans la pièce lui fit comme un cadeau : la confirmation que ses mouvements dérangeaient la cour. Il caressa l’anneau au doigt, la bague royale lui procurant une sensation d’équilibre et de menace à la fois. La pierre semblait vibrer légèrement ; le métal réchauffait sa peau. Il prononça, pour lui-même : « Tout commence maintenant. Je les ferai plier. Lentement, jusqu’à ce qu’ils n’aient plus d’autre choix que de céder. » Dans le grand salon, Isabella éclata. Sa colère fut un orage concentré : elle arrachait objets et porcelaines comme si les traits d’une famille entière se retrouvaient fracassés dans chaque débris. Les vases s’effondraient, des tableaux glissaient et se déchiraient, et la pièce se transforma en paysage de ruine domestique. Sa chevelure verte flottait autour d’un visage constellé de fureur et de poudre ; elle se laissa tomber dans un fauteuil en cuir, haletante, ses gestes d’une violence contenue. — Comment ose-t-il encore… se demanda-t-elle à haute voix, les dents serrées. Comment subsiste-t-il, quand tout a été ourdi pour qu’il disparaisse ? Autour d’elle, la servitude se pressa, les épaules rentrées, les yeux baissés. On les sentait prêts à ramper pour un regard plus clément, pour un mot de grâce qui ne viendrait pas. Isabella, souveraine et prévisible dans son venin, reprit son masque de calme précieux et se maquilla comme pour sceller une blessure apparente. — Personne ne le savait, hein ? marmonna-t-elle au miroir, incrédule. Sa propre voix tremblait d’un mélange d’orgueil et d’effroi : « Pourquoi ses nerfs de mana ne sont-ils pas taris comme prévu ? » Les domestiques sursautèrent ; un d’eux laissa choir un pinceau, cherchant à faire bonne figure. Elle le mit à la porte du regard, et la pauvre âme s’évanouit en courant. Les murmures pleuvaient autour d’elle, chacun cherchant à s’acheter une échappatoire. Isabella leva la main, et deux claquements secs résonnèrent dans la salle : le signal muet de la déchéance. Les nobles, qui avaient encore l’air noble malgré leur peur, furent sommés de supplier. Certains se jetèrent à genoux, d’autres proposèrent des complots, des solutions, des mercenaires. La reine sourit, lente et acide. — House Creed, dit-elle d’un ton tranchant, votre rang sera abaissé dès demain. La vieille dame tomba à genoux, le souffle coupé, implorant, mais la sentence était déjà tombée. Isabella savourait la liesse du chaos qu’elle provoquait : le désordre, la rivalité, la terreur étaient des instruments qu’elle maniait avec délectation. Chaque supplication, chaque larme, alimentait sa percussion ; elle façonnait la panique en spectacle, et le spectacle en contrôle. Au fond d’elle, pourtant, une colère froide bouillonnait. Atlas n’était pas censé survivre : tout avait été arrangé pour l’écraser. Et voilà qu’il prospérait, qu’il s’érigeait malgré les efforts de la reine. Cela l’humiliait. Il fallait qu’on remette l’ordre, et si la main courtoise des lois ne suffisait pas, elle nommerait des coupables elle-même et ferait pleuvoir sa justice à sa façon. Pendant ce temps, Atlas s’était levé. Il n’était plus l’enfant écrasé par l’indifférence ; il était une force qui avait appris à transformer la douleur en ressource. Les destructions qu’il avait provoquées volontairement — un vase, un cadre, la querelle mise à feu — n’étaient que le prélude d’un plan plus vaste. Il avait l’intention d’attaquer, d’ébranler les hiérarchies, de s’engouffrer dans ces failles de pouvoir que seule la peur ouvrait. Sansa, discrète, regardait la scène depuis l’angle le plus sûr. Neuf années de service n’avaient pas émoussé son regard. Elle voyait autrement ; elle voyait la persistance, la ténacité. Devant le prince en lambeaux, elle éprouvait une loyauté qui n’était ni douceur ni faiblesse, mais une conviction que cet homme pouvait renaître autrement. Ses mains blanches serraient son tablier ; elle souffla, presque comme une prière : « Bientôt, Votre Altesse. » Le monde continua de tourner sur ses intrigues. Isabella nommait, réattribuait, punissait ; la cour s’étranglait dans ses propres complots. Atlas, quant à lui, résumait son intention en une devise simple et implacable : attaquer. Sans cesse. Jusqu’à ce que sa présence ne puisse plus être ignorée, jusqu’à ce que ses ennemis comprennent que l’échec de leur plan n’était pas un accident mais une stratégie contrariée. Puis vint l’heure du coup d’éclat : il brisa, non par hasard mais par calcul, des objets précieux, provoquant un effondrement symbolique. Les éclats de porcelaine tombaient comme des pièces d’un vieux testament qu’il venait réduire en poussière. Chaque craquement alimentait sa rage, mais aussi sa foi en la transformation : le désespoir qu’on lui avait imposé devenait matière première du renouveau. Trois jours plus tard, la cour était saturée d’une tension nouvelle. Atlas s’était épuisé, poussé jusqu’à la limite, mais la limite avait cédé. Au cœur de cette fatigue surgit la récompense : — Compétence acquise : Décomposition de la Mort. — Bonus : apprentissage anticipé, +15 points. La notification traversa son esprit comme un éclair. Il se sentit vide, puis plein d’une joie sauvage qui le fit hurler — un cri libérateur, presque inhumain. Kury, si prompte à le ramener à l’ordre, le frappa une dernière fois pour lui rappeler qu’il devait rester humble devant l’artifice du pouvoir. Allongé sur la terre, le souffle court, Atlas sourit malgré la douleur. Il tenait maintenant quelque chose qu’on ne lui avait jamais accordé autrement que comme un privilège : un talent qui le plaçait au même niveau que l’héroïne. Mais il ne voulait pas seulement égaler Lara. Il voulait la dépasser, remodeler le récit, s’imposer comme l’ombre la plus dense de ce royaume. Alors qu’il laissait le sang, la poussière et la sueur se mêler, une évidence se formait. Le désespoir n’était pas la fin ; il était l’étincelle qui, si l’on savait la nourrir, enflammerait une ambition capable de consumer les anciens armures et de forger une nouvelle destinée.
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