PrologueC’était par une nuit sans lune que tout bascula. Ce soir-là, la Confrérie se réunissait pour fêter l’équinoxe de décembre. Et comme chaque fois, la célébration avait lieu dans le château du Comte de Condon.
La bâtisse était vieille, mais entretenue ; la Confrérie y veillait, tout comme elle veillait à ses intérêts de par le monde. Rien que le droit d’entrée permettait la réfection de l’une ou l’autre pièce du prestigieux édifice.
Il se trouvait au milieu de bois giboyeux, l’idéal pour des sacrifices sanguinaires, quelque part entre Reims et Soissons.
N’en déplaise aux plaisantins et autres petits curieux, le château avait disparu de tout catalogue touristique.
Si par chance, vous arriviez à le trouver, la seule indication était le parc commun avec une Abbaye, suivant une longue et sinueuse allée bordée d’arbres centenaires. Celle-ci vous amenait aux abords de la grande bâtisse majestueuse apparaissant tout à coup au détour d’une épaisse haie : couverture parfaite pour une secte satanique.
Le corps de logis principal vous semblera massif, avec sa tour à l’anglaise, son porche roman en plein cintre et les dépendances efflanquées comme d’anciens donjons, le tout en grosses pierres du pays, et encore percé de quelques meurtrières, insignifiantes à présent…
Dehors, des lumières blafardes illuminaient la façade, et des flambeaux parsemaient la grande terrasse d’honneur de l’entrée.
Décor impressionnant, à moins d’être un habitué des lieux, comme le jeune Simon, prêtre de la Confrérie, arrivant à vive allure.
Il arrêta sa Jaguar entre une Rolls et une Ferrari, et se précipita en haut du perron, où deux géants, semblables à des catcheurs sur le retour, lui ouvrirent les portes en le saluant bien bas.
Simon ne prenait pas le temps d’admirer les tapisseries et les décorations de style moyenâgeux, encore moins le majestueux grand escalier baroque desservant la salle d’apparat ; le jeune homme se dirigeait droit sur la gauche, vers une petite porte massive en chêne, avec de lourdes charnières en métal épais et des clous carrés. Il descendit une longue volée de marches glissantes, en colimaçon, prenant garde de ne pas se brûler aux différentes torches encastrées dans le mur le long du chemin. Plus il s’approchait, plus il entendait distinctement la musique lourde et grave, faisant penser au thème général du film « le Seigneur des Anneaux », couverte par des chants latins. La moiteur des lieux commençait à être palpable.
Simon arrivait maintenant dans un très large corridor surplombé d’un haut plafond. Au fond de celui-ci, deux autres gardes, cette fois vêtus de toges noires bordées de deux liserés rouges en bas, et couverts d’une énorme capuche cachant leur visage. Ils ne participaient pas à la célébration, mais se devaient d’empêcher quiconque d’entrer durant l’offrande. Après quelques palabres, ils écartèrent tout de même la lourde tenture pour laisser entrer Simon.
Le spectacle qui s’offrait aux yeux du témoin non averti pouvait, sans aucun doute, le pétrifier : dans une salle gigantesque, éclairée par des lustres ancestraux et d’énormes chandeliers où flambaient de grandes et grosses bougies rouges, une orgie de corps mélangés à même le sol donnait tout d’abord une impression de malaise. De part et d’autre de la salle, des sodomites, un gang-bang endiablé et des amas de corps s’enchevêtrant de manière bestiale, desquels dépassaient de temps à autre un membre, un dos, des fesses, une capuche noire… Le tout dans un gémissement commun qui ferait rougir n’importe quel débauché de la première heure.
Le regard de Simon, maintenant habitué, ne regardait plus ce spectacle avec l’excitation du début, lorsque sa mère l’avait emmené pour la première fois, du haut de ses quinze ans, pour son initiation. Cette première expérience l’avait marqué à vie. Il se remémorait la scène : il se tenait debout, nu, sur l’estrade, sous les yeux de l’assistance, tandis que les siens étaient bandés. Il pouvait encore sentir la fraîcheur des voûtes sur ses épaules, et la chaleur animale émanant des hommes et femmes le dévorant de leur regard lubrique. Il avait dû piétiner une bible et un crucifix avant d’uriner dessus. Puis il renonça à Dieu, au Christ et au Saint-Esprit, à la Vierge Marie, aux Anges et à tous les Saints, pour ensuite signer de son sang un parchemin, vendant ainsi son âme au Diable. À l’époque, encore puceau et innocent, il avait connu ses premiers ébats avec plusieurs femmes à la fois, partageant même certaines avec d’autres hommes en même temps. Il prit son pied à chaque fois, surtout lorsque le Mage lui intima l’ordre de prendre sa mère, tout en se faisant lui-même s*******r par le doyen de la Confrérie.
C’était pervers et immoral, il le savait, et n’en avait que faire.
Toutes les filles qu’il avait abordées auparavant s’étaient toujours moquées de lui. Avant son initiation, il n’avait jamais goûté aux lèvres d’une fille, et n’aurait probablement pas la chance d’en trouver une qui lui laisserait le soin de la dépuceler, ou même juste de lui caresser la poitrine. Jusque-là, à part des rires et des quolibets, il n’avait jamais rien récolté de probant. Alors, se taper une gonzesse, quelle qu’elle soit, même sa propre mère. Il s’en fichait. En ce premier jour de sa nouvelle vie, il avait assouvi tous ses fantasmes, même les plus insoupçonnés. Il n’était même pas dérangé par le souffle rauque du vieux s****e qui le pénétrait : il prenait son pied, oh, oui ! Et tant pis pour la morale, qu’elle aille, elle aussi, se faire foutre !
Depuis, la joie et l’exaltation des débuts étaient retombées, Simon se complaisant dans son rôle de Prêtre et premier assistant du Mage, ce qui le plaçait plus haut dans la hiérarchie que tous ces bourgeois avides de sexe facile. Il avait maintenant du pouvoir, ce qu’il trouvait encore plus jouissif. Donner du pouvoir à un abruti, vous en ferez un parfait dictateur, il balaya du regard la salle, cherchant le chemin le plus direct pour se rendre près du Mage, qui était installé sur une estrade en pierre au fond, couverte de bas-reliefs représentant des scènes de tortures et d’orgies. Celui-ci était plus vautré qu’installé sur son trône doré et rouge sang, enveloppé de sa toge d’apparat, noire et dorée, regardant distraitement cette partouze géante d’un œil blasé et désintéressé.
Il n’aperçut même pas Simon qui s’approchait tant bien que mal, évitant de se faire happer par la vague de gémissements langoureux de femmes se prenant pour ses favorites.
Parvenu au pied de l’estrade, il gravit les quelques marches, s’inclina près de son maître, et lui glissa à l’oreille « Je sais où IL se trouve »…
Il en fallait plus au Grand Mage de la Confrérie, Sidius, communément appelé « Jean » dans la vie de tous les jours, pour le sortir de sa « méditation ».
D’un geste distrait, il fit signe à Simon de s’approcher, et lui demanda de répéter. Le jeune homme s’exécuta, mais son mentor ne semblait toujours pas comprendre. Il soupira même d’ennui. Simon s’excusa une seconde fois et précisa qu’il venait d’être appelé par un certain Valéry, qui lui demandait de transmettre le message : « Je sais où IL se trouve » et que Sidius comprendrait.
Et de fait, il comprit. Ses yeux cherchèrent un instant un point bien réel auquel s’ancrer, essayant de réaliser ce qu’il venait d’apprendre. Il regarda de gauche à droite, l’air de se demander ce qu’il faisait là, et se leva d’un bond, intimant à son jeune protégé de le suivre sans discuter. Promptement, ils descendirent les marches, traversèrent la salle et passèrent la lourde tenture. Dans l’escalier, Jean enleva prestement sa toge de cérémonie, et la jeta au sol dès qu’il fut arrivé dans le hall. Il sortit au grand air de l’hiver tardif et, sans se retourner, fit un geste du bras droit, appelant Piotr, l’un des deux gardiens de l’entrée. Il demanda à ce que sa voiture soit avancée, et ne se soucia plus de la cérémonie à peine entamée. En attendant son véhicule, il expliqua brièvement à Simon que Valéry était un de ses agents cherchant certaines reliques, et que le message signifiait qu’ils approchaient du pendant maléfique du Saint Graal. Là-dessus, ils montèrent à l’arrière de la voiture sombre que Piotr amena, et disparurent dans la nuit profonde.