La performance du danger-2

2007 Words
La culture rend peut-être l’agonie plus intelligente… Mais je me ressaisis. La force du désespéré est parfois fantastique. Je parviens à me débarrasser de mes liens. Fuir. Il faut fuir au plus vite. Tout à coup, apparaît une jolie fille accoutrée en Mexicaine. Ce n’est pas l’ange de la mort. Elle n’est pas hostile et m’abreuve d’une eau fraîche. Elle m’emmène carrément. Qui est-elle ? Simplement la sœur des quatre types qui veulent ma peau et dont elle désapprouve les méthodes expéditives. Tant mieux… Elle m’indique un endroit où je peux me faire soigner. J’ai presque oublié qu’une blessure me transperce. Je parviens à quitter ce décor d’Ouest kitsch. Mais puis-je réellement sortir d’un plus vaste théâtre grimaçant ? Je gagne l’hôpital, du moins un bâtiment qui en tient lieu. Des vigiles m’invitent à entrer et appellent le médecin de garde. J’attends dans une salle vitrée. Je suis visible de l’extérieur. Suis-je surpris ? Même pas, pourtant l’adrénaline remonte : dehors, armés, deux des frères parlent avec les gardiens. Je pensais tout de même être à l’abri plus longtemps… Menace. Protection. Un imprévisible déclic dans le temps et dans l’espace. Une chose étrange, si tant est que vivre parfaitement et être perforé, troué, ne soient pas antinomiques et relèvent du normal. Trois personnages vont dorénavant m’assister, surgis de nulle part. Ou surgis d’un territoire inexploré de moi-même. Deux filles et un petit garçon : âgés de plus ou moins quatorze quinze ans pour elles, environ huit pour lui. Le gamin porte une casquette. Je le verrai toujours à l’envers, suspendu dans un ébrasement de porte. Telle une toile de Georg Baselitz. Il se montre jusqu’aux épaules et de profil. Jamais de face. Les adolescentes, elles, sont en pied, bougent, habillées d’un T-shirt et d’un short, coiffées au carré de cheveux mi-longs très noirs. Une pensée, un claquement de doigts, et ils apparaissent ! Certains repères se brouillent à mon plus grand profit : si je vois ces personnages en trois dimensions, lors d’un danger mortel, les filles se muent en images, en aplats qui se collent à moi, telle une armure inviolable. Je suis donc assis dans cette salle d’attente, pétochard, en attendant le toubib. Les frères sont parvenus à soudoyer les gardiens. Ils sont en train de rentrer dans la clinique. Ils se dirigent aussitôt vers moi et me canardent avec des Winchesters. Je reste figé mais indemne de nouvelles blessures : les Syntomatiques m’ont recouvert – les filles s’entend – prévenues sans doute par le gamin, immobile et télépathe. Les Lucky Luke de cauchemar, découragés par ma résistance, stupéfaits par sa forme étrange, finissent par s’en aller. Mais ils sont tenaces… Le médecin arrive enfin, un certain docteur Koeren. J’ose espérer que ce médecin n’existe pas car je lui ferais une très mauvaise réputation, bien involontairement, du reste. Il m’ausculte rapidement et dit : - Bon, j’ai beaucoup de travail ; on verra ça demain. Puis il me plante là. Surpris par son diagnostic mais confiant, je n’ai d’autres mots que ceux de salutations mornes. Ce type me paraît néanmoins inquiétant. Que faire ? Je n’ai même pas de chambre réservée. Je décide d’investiguer l’endroit. J’y ressens, malgré moi, une atmosphère bizarre… Et après tout, je suis un patient dont personne n’assure la charge cette nuit. Un rez-de-chaussée des plus conventionnels. Ayant eu mon lot d’étages, je décide de m’intéresser au sous-sol. Des portes ouvertes ou fermées. J’en pousse encore une. Et là, le choc, l’horrible découverte… : ce n’est pas une salle d’opération mais un atelier de découpe pareil à celui d’un abattoir. Immobile sur le seuil, j’entrevois le chirurgien-boucher qui vidange des viscères humains. Plusieurs carcasses sont pendues près d’un quai d’embarquement, bientôt chargées dans des camions frigorifiques. Un monde cannibale. Je décarre fissa, paniqué, sortant de ce funeste édifice, allant en tous sens pour disparaître de cette ville prédatrice. Je déambule, perdu mais toujours accompagné – je le sens – de mes gardes du corps. Fuyant le terrible hôpital, j’en viens même à négliger mes premiers prédateurs. C’est fait ! J’ignore comment ils ont procédé mais me voilà enlevé par les quatre frères. Seules les balles ne peuvent plus m’atteindre… Un long voyage : en effet, de retour dans le sud, je suis enfermé dans la ferme familiale. J’y rencontre le père, un homme dur. Est-ce lui qui a passé le coup de fil initial ? Je comprends mieux l’attitude de ses fils. Rien ne me rassure, même si je ne crains plus de mourir par leurs armes. Ils le savent tous. Le père parle d’argent. De beaucoup d’argent. Captif, je veux être de bonne composition. Qu’il me laisse contacter ma famille, mes amis, afin de réparer le préjudice. Les jours passent et je suis à leur merci. Libre de mes mouvements jusqu’à un certain point. Je passe beaucoup de temps avec un des frères : celui qui m’a informé de la folie meurtrière des autres sur le belvédère. Nous avons l’un pour l’autre une réelle empathie. Il veut me faire découvrir son art, des sculptures en cuir durci, des bas-reliefs. De purs chefs-d’œuvre ! Je ne tente pas de le manipuler. Je suis sincère. Je lui apprends combien je porte aussi cet art en moi. Le courant passe. Il me raconte des histoires de famille. Notamment à propos de sa sœur enceinte : très malade, elle risque de ne pas s’en sortir. Ma fille est aussi enceinte… Je chope la balle au bond ! Je suis le détenteur d’un certain pouvoir de guérison. Je peux essayer. Il est tout ouïe. Après tout, je suis un mortel hors du commun. Gravement blessé, je vis ; je lui parle. Hormis le premier, dans la ruelle nocturne, les tirs à bout portant de ses frangins ne peuvent plus m’atteindre. Il a tôt fait d’en parler à sa famille. Soulager la sœur, peut-être la guérir. - Si tout se passe bien, tu seras sauf et quitte de tout, enfin libre, me déclare peu de temps après mon interlocuteur privilégié. Un soir, contre toute attente, il m’invite même dans ce fameux restaurant champêtre, objet de mes spéculations hôtelières. L’établissement est rouvert et pimpant. Je n’y suis pour rien… Tout se passe bien. Trop bien, peut-être. Car des chasseurs arrivent. Le père est parmi eux. Il a bu. Il boit encore, sait que je suis là. Puis pète un câble : saisissant son fusil, il me tire dessus. C’est décidément une manie familiale. Illico, les Syntomatiques me secourent, déjouent ses noires intentions. Son fils intervient, discute avec lui, parvient à le calmer. Il comprend enfin que, lui non plus, ne peut rien contre moi. Nous rentrons au bercail dans un lourd climat. De nouveau, je suis installé dans une espèce de chambre obscure, petite semble-t-il, sans confort. Mais une des filles de la maison vient me retrouver – la Mexicaine. Nous parlons longuement. Une nouvelle fois, elle propose de m’aider. Comment ? Je lui demande simplement son portable, pour passer un coup de fil à une amie médecin. Miracle du réseau ! Elle est aussitôt en ligne : je lui explique la situation, du moins l’explicable, et lui précise l’endroit où je suis retenu prisonnier. Elle connaît la tribu, me met en garde. Est-ce bien utile ? - Il faut que tu puisses déguerpir, s’inquiète-t-elle. Facile à dire… - Retiens l’adresse d’une copine chirurgienne. Elle t’accueillera volontiers. Tiens-moi au courant… Henry, le frère aîné, le tueur, m’apprend que sa sœur va très mal, qu’une complication l’affecte. Pourtant, mon intervention n’est pas réclamée. En fait, il me prépare une nouvelle épreuve. Deux jours plus tard, il m’emmène sous un chapiteau, dressé à quelques kilomètres de la ferme. S’y produit un cirque équestre sédentaire dont il est le boss. La répétition d’un futur spectacle est programmée. Dans celui-ci, un truand condamné doit être exécuté. Ce rôle m’est attribué. Aucun doute : je demeure l’objet de morbides machinations. Installé sur le toit rétréci d’une diligence postale, lié, mon corps dépasse des bords plats. La corde a du mou pour me permettre de bouger. En dessous, un figurant – plutôt un complice – manie une lance en bois garnie à son extrémité d’une lame tranchante. Manie une sorte de hache géante. Le supplice commence. Sans vraiment me voir, l’exécuteur essaie de m’atteindre, de me couper en deux par des mouvements balancés, par des oscillations vives. J’esquive les coups tranchants encore et encore, jusqu’à épuisement. Les Syntomatiques peuvent-ils cette fois m’aider ? Rien n’est moins sûr… Soudain, déboule mon amie médecin, sans doute prévenue par l’aimable sœur. Vive les téléphones mobiles ! - Stop ! s’écrie-t-elle, vous êtes dingues… - On répète un spectacle, répond, placide, Henri-le-pervers. La mise en scène macabre s’arrête enfin. La toubib réussit à grimper sur mon autel sacrificiel. - Cet homme est mourant, lance-t-elle d’un ton sec. Il faut l’hospitaliser. Les traits figés, mes bourreaux ne regimbent pas. Ma copine a bien préparé son coup : une ambulance est déjà là. J’y suis porté sans ménagement par des bras hostiles. Suis-je enfin en sécurité ? Le trajet n’est ni court ni long. Il est… presque irréel. Une certitude cependant : je suis transféré dans une clinique digne de ce nom. La doctoresse m’a accompagné et, demeurée à mes côtés, me propose de rédiger un faux certificat de décès. - Je pense que c’est la seule manière d’échapper à ces monstres… Quelques heures plus tard, je ressors donc de l’hosto en corbillard pour rejoindre un funérarium. Me voici cadavre consentant et exposé. Dans la salle froide, une autre dépouille est couchée, un homme très âgé que veille sa fidèle épouse. Pas facile de faire le mort. Je suis très mal à l’aise – si j’ose dire – lors des visites éplorées. En outre, j’ai l’impression que la vieille dame me jette souvent des regards suspicieux. Pourtant, je respire à peine pour ne pas éveiller les soupçons. Ma famille est au courant de ce subterfuge. J’ignore que mon prédateur se trouve dans un énorme tracteur, sur le terrain contigu. Il ne croit pas au décès. La seconde nuit dans ce lieu de recueillement devient pesante. Heureusement, je ne suis assailli par aucun besoin naturel… Nous sommes entre macchabées ; je peux bouger. Le tracteur a l’air vide de sa substance agressive. Une nouvelle évasion est possible. Un petit engin de chantier se trouve devant la morgue. Chance ou destin ? Non, mon frère avec lequel j’ai un rendez-vous non loin ! Une simple voiture stationnée longtemps aurait davantage attiré l’attention, même un corbillard. Je connais la conduite de ce solide véhicule, souvenir d’une autre vie. Je sors silencieusement du bâtiment et m’installe aux commandes de l’engin. Incognito, seul dans le noir, je vais démarrer, enfin m’en aller. Un éblouissement. Je grimace en jurant : deux énormes phares se sont braqués vers moi, entraînant l’énorme tracteur. Son bord est éclairé. Une femme déterminée – son visage le prouve, la mère des dingues, avance pour m’écraser. Les femmes étaient plutôt secourables jusqu’ici… J’ai emprunté une sorte de bobcat, pas un cercueil. Je claque dans les doigts : à l’instant même apparaissent Sandra et Alexandra qui changent de rôle et repoussent le monstre de métal. Je me barre sans chercher à comprendre. Mon frère m’attend et m’embarque à bord de son bolide pour rejoindre, une fois encore, un centre médical ! Suis-je à l’abri ? Je n’en sais rien d’autant que le directeur de ce nouvel hôpital juge mon cas si grave qu’il impose un transfert… Je roule, encore étendu dans une ambulance. Henry et Harry, toujours à l’affût, auront tôt fait de la détourner. Les revoir de près me réjouit très modérément. - Tu n’es pas un surhomme. Cette fois tu vas déguster. On te promet une belle aventure finale… me susurrent-ils à tour de rôle, presque délicats. Je suis maintenant trimbalé en camion. Une fameuse trouille me reprend : la réception familiale n’augure que des emmerdes. La sœur qui souffre et que je pourrais aider ? Plus personne n’en parle. Je demande alors au père de pouvoir téléphoner à mon frère et à son collègue, tous deux mes patrons, pour une ultime négociation pécuniaire. Oui. Mes deux secours se pointent même et négocient longuement avec mes bourreaux. Tout s’arrange ? Non. Echec. Ma blessure m’empêche-t-elle de descendre du camion ? Ils me descendent manu militari. Pédagogiques, mes tourmenteurs m’expliquent alors le sort qu’ils me réservent : me traîner derrière une voiture jusqu’à dislocation du corps. Départ sur une couche de sable étalée en travers d’un chemin forestier, ce chemin nu puis rhabillé de cailloux, avant une vieille route tarmacadamisée afin d’achever le travail. Je suis épouvanté et conjure mes avocats, toujours là mais impuissants, de me sortir de cette folie, de donner l’argent réclamé. Je suis emmené à l’orée d’un bois. Ils ne m’ont pas tout dit. Leur projet est davantage machiavélique. Ils vont d’abord « jouer » avec moi… Sur place, des voitures, des camions, des grues. Un décor semblable aux exhibitions de cascades automobiles. Aurai-je mal ? Les souffrances promises me toucheront-elles ? Je n’ai pas envie d’en faire l’expérience. Les protagonistes de ce drame à la petite semaine – bien que j’y risque ma peau – sont de nouveau réunis. J’interviens : j’offre au père mon petit cabriolet bleu. Mon patron et mon frère renchérissent en proposant une forte somme d’argent. D’accord. L’histoire en reste là. Tout le monde rentre chez lui. Sauf qu’Henry, le plus ravagé des neurones, ne l’entend pas de cette oseille. Il m’embarque violemment dans son 4X4. Nous traversons les bois à vive allure. Au loin apparaît une cabane en bois, sans doute un abri de chasseurs. Nous descendons. Ordre m’est donné de boire en avalant quelques pilules.
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