6Lucas n’osa pas se relever tout de suite. Il resta longtemps prostré, jusqu’à une nouvelle tombée de la nuit. Il se mit à espérer, pour la première fois depuis son départ, que ses parents viendraient le chercher, comme lorsqu’il était tout petit, chez la nourrice, le soir après le travail ; il rêvait d’un chocolat chaud, d’un mercredi après-midi devant la télévision. Il pensa à sa mère, toujours occupée. Il y avait tant de choses à faire dans une maison, ne pouvait-il pas comprendre à la fin ? Il imaginait souvent que sa prof de français l’emmenait avec elle, qu’il serait le bonheur de ses jours et le centre de ses pensées. Mais malgré toute sa gentillesse, qu’est-ce qu’elle en avait à faire de lui, au fond ? Le soir pensait-elle à lui ? Sûrement pas, trop occupée avec sa propre famille. Lui, quand il retrouvait ses parents, à la fin de la journée, il avait l’impression d’être une corvée de plus sur la liste. Se dépêcher de manger, aller au lit. Fatigue immense. Ensuite, toute la vie durant, tu cours après l’amour et il se dérobe. Et personne ne s’en aperçoit. Tu fais désormais partie de la foule des anonymes et des moches qui soupirent après l’amour, crèvent de passer à côté en voyant s’écouler les jours et la vie ; tu embrasses des filles, mais ce ne sont que des baisers furtifs ; parfois, ça marche un temps, mais elles finissent par te quitter et, succombant sous le poids des remords, tu te trouves décidément trop méchant et trop con pour avoir su garder la femme de ta vie ; tu n’es qu’un pauvre type qui n’a que ce qu’il mérite. Mais Lucas était encore trop jeune pour avoir entamé la danse circulaire du malheur. Il pouvait encore rêver que sa mère viendrait le chercher, qu’elle aurait la tête d’Angélique marquise des anges et une poitrine moelleuse sur laquelle il poserait sa tête ; et ses larmes se transformeraient en une joie miraculeuse.