IX
Alors qu’Omwana réalisait petit à petit, que même si sa vie n’avait tourné qu’autour de ses parents, d’autres, parmi les membres de sa nombreuse famille tenaient à lui plus qu’il ne se l’imaginait. Son quotidien avec Alene n’était toujours pas la rivière tranquille qu’il désirait, et cela toujours à cause des mêmes. Un soir qu’il était rentré un peu tard, en revenant de faire une course pour sa chère et tendre, il la trouva en larme. Alene était assise dans le salon et tremblait de colère. L’homme sentit son cœur se fendre à l’intérieur de lui et une sombre fureur monter en lui. A l’extérieur de la maison le ciel s’était obscurcit de façon significative. Il alla prendre place aux côtés de la jeune femme, et après avoir déposé un b****r sur son front, il la força à le regarder dans les yeux :
- Je ne voulais pas que tu me trouve en train de pleurer encore, je suis désolée, fit la jeune femme
- Dis-moi ce qui ne va pas Alene, ordonna l’homme sur un ton qu’elle ne lui connaissait pas
Alene hésita tout d’abord à répondre, Omwana avait les yeux d’un noir profond, et son visage d’habitude impassible exprimait quelque chose qu’elle avait du mal à décrire :
- C’est Engoung… répondit-elle en s’essuyant les yeux, il est passé ici en fin d’après-midi, il y avait du monde à la boutique et il a insinué que j’étais une sorcière qui avait usé de sortilège pour t’avoir et que c’était pour cela que tu m’étais si attaché, et que tu étais incapable de me quitter et de sortir avec une autre que moi
- Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? S’enquit encore l’homme
- Ensuite il m’a traité de p… de prostituée qui… qui se vendait pour de l’argent au plus offrant, ajouta-t-elle en versant encore quelques larmes
L’homme se leva. Après avoir déposé sur la table à manger les courses qu’il avait faites pour elle, il monta dans leur chambre. Alene avait maintenant un peu de regret de lui avoir raconté cela, elle se souvenait des paroles de leur voisin lorsqu’il avait failli se fâcher contre la jeune Itsiembou. Au moment où elle voulue aller le rejoindre dans la chambre elle entendit la voix d’Engoung à l’extérieur. Le type était ivre encore une fois et hurlait des injures à son encontre. Lorsqu’Omwana sortit de la chambre, il était torse nu et portait autour des reins un pagne blanc par-dessus son pantalon. Il était pieds nus et tenait dans sa main gauche un énorme coquillage qui ressemblait à une carapace de Bernard l’Hermite et était percé d’un trou à son autre extrémité.
Il sortit de la maison ainsi « vêtu », et se tint sur le pas de la porte en silence le temps que l’autre homme se rende compte de sa présence. Puis, il porta le coquillage à ses lèvres et souffla dedans à plein poumon. Le son émit par le coquillage résonna dans l’air comme un appel, puis le tonnerre gronda comme lors d’une violente tornade. Alene sortie dans la cours et le spectacle qui s’offrit à elle lui coupa le souffle. Omwana se tenait au milieu de la cours torse nu sous une pluie battante et en face de lui se tenait une femme d’une rare beauté toute habillée de blanc. Ses longs cheveux noirs lui tombaient sur les hanches, et ses yeux semblaient jeter des étincelles. La jeune femme tomba à genou et baissa la tête incapable de fixer ses deux-là longtemps.
Engoung était allongé par terre, sur le chemin devant le portail de la jeune femme. Et avait l’air d’avoir rendu le contenu de son estomac sur la route. Il sentait dans tout son corps une douleur indescriptible, comme si l’eau qui tombait du ciel était en fait des milliers d’aiguilles qui le transperçaient de toutes parts. Il tentait de se redresser mais s’était peine perdu. On aurait dit qu’une force surnaturelle le maintenait à terre. Il restait donc allongé là, hurlant de douleur et de… terreur. Omwana et la dame en blanc discutaient sous la pluie battante sans être gênés par les trombes d’eau que déversait le ciel, et semblaient ignorer la présence de l’homme couché à quelques pas, dans la boue. Au bout d’un moment la femme s’évanouie dans l’air et Alene se redressa. Elle courut vers Omwana, mais l’homme fit un geste vers elle, et soudain, elle se senti soulever de terre, et l’instant d’après elle se retrouva dans le salon et la porte qui donnait sur la cours s’était refermée violemment.
L’homme se dressait maintenant de tout son long au-dessus d’Engoung toujours maintenu au sol. Le regard qu’il posait sur l’homme, ne présageait rien de bon. Il allait lentement dans sa direction, alors que l’autre était toujours incapable de bouger :
- Je pense qu’il est temps pour toi de faire ma connaissance, petit inconscient, dit Omwana lentement, je suis Omwana Obota, celui que l’on confie à une mère et qui possède tout pouvoir sur les éléments, les grands initié des hommes de la côte me nomme « fils de la nature », je t’ai prévenu de rester loin de celle qui est mienne et tu n’as pas tenu compte de mes avertissements, tu subiras donc les conséquences de ton entêtement,
Encore une fois, l’homme porta le coquillage à ses lèvres et souffla dedans. Les trombes d’eau venues du ciel s’arrêtèrent comme elles avaient commencées. Les longs cheveux d’Omwana étaient étincelants malgré qu’ils fussent imbibés d’eau, son regard sombre était posé sur l’homme allongé sur la route et au-dessus duquel il se tenait désormais. Engoung sentit une pression plus importante comme s’il allait être aplati sur le goudron puis, Omwana fit un geste dans sa direction et l’homme put enfin se lever et respirer. Omwana l’observait alors que l’homme se redressait en tentant de faire bonne figure. Une fois debout, il voulut s’en aller mais Omwana s’adressa à lui de nouveau :
- Désormais plus rien de ce qui était à toi ne l’est plus, alors au lieu de faire le fier, tu devrais profiter de tout cela tant que tu le peux encore, mais je suppose que tu ne comprends toujours pas ce dont je parle, c’est dommage ! Mais il y a tout de même une chose que j’espère que tu comprendras, je ne veux plus jamais que tu t’adresses à ma compagne, tu m’entends ?
- Oui, répondit Engoung en tremblant sans se tourner vers son interlocuteur
- Que t’importe à toi ce qu’elle pourrait faire pour me garder, ou alors si elle vend ses faveurs au plus offrant ? Je suis celui qu’elle a choisi et toi, tu es et ne seras jamais rien de plus qu’un caillou dans sa sandale, le sale type qui lui fait de l’ombre, alors sors de sa vie une bonne fois pour toute, sinon, la prochaine fois, tu me supplieras de te tuer quand j’en aurais terminé avec toi
Engoung s’éloigna sans plus rien dire, ses vêtements étaient souillés, trempés, couverts de boue et de vomi. Une chance qu’à cause de la pluie, personne n’avait pu sortir, et donc le voir dans cet état. Il alla directement chez lui, en se promettant d’arrêter de boire. Malheureusement pour lui, les bonnes résolutions arrivaient un peu tard. Quelle ne fut pas sa surprise en arrivant devant chez lui, de trouver assemblés dans son salon, les parents de sa jeune compagne ainsi que son oncle paternel, le jeune frère de son père qui lui aussi vivait à Port-Gentil. Sa jeune compagne et ses enfants étaient habillés pour un départ imminent et leurs bagages étaient à leurs pieds, il n’avait été attendu que pour être informé, la jeune femme ne voulant pas qu’il y ait de mal entendu concernant son départ de chez lui.
Le frère ainé de cette dernière fut le premier à prendre la parole :
- Je suis heureux de constater, que ma sœur ne nous a pas menti Engoung, tu continu de boire plus que de raison, sans garder le moindre sous pour prendre soin de ta famille, depuis que ma sœur vit avec toi, c’est moi qui m’occupe d’elle et de ses enfants, alors lorsqu’elle m’a encore appelé pour me dire que tu continuais à harceler votre jeune voisine malgré le fait que la pauvre petite vivait, depuis un bon moment déjà, avec un homme, je me suis dit que tu devenais certainement fou, alors j’ai contacté notre père afin que nous venions la chercher, avoir des enfants avec un homme ne signifie pas qu’il a le droit de nous humilier comme si nous étions une esclave qu’il s’était achetée, alors elle repart avec nous et tu auras le champ libre pour faire de ta vie ce que tu voudras, j’ai parlé
L’homme se tenait là, devant le petit comité réunit chez lui, en silence. Qu’aurait-il pu dire ? Comment pouvait-il justifier son comportement ? Son oncle quant à lui, précisa qu’il n’était venu que pour prendre connaissance du problème, afin de remonter l’information à son père qui lui, vivait dans le nord du pays. Il s’offusquât de le voir en si piteux état :
- J’ai appris, ajouta-t-il, que tu es encore allé chez cette jeune fille, et que tu l’as injuriée et humiliée devant les clients de sa petite échoppe, mais Engoung est-ce que tu te rends seulement compte que tu as une fille toi aussi, et si un homme se comportait ainsi avec elle ? Nous n’allons pas rester là plus longtemps,
L’oncle de l’homme fouilla ses poche et en sortit une enveloppe qu’il tendit à sa jeune belle-fille :
- Chez nous on dit que l’union qui a été bénie avec des enfants ne finit pas, cela signifie que nous resterons une famille, si tu as besoin de quoique ce soit, appelles-moi ma fille tu entends ? Dit l’homme, c’est un peu d’argent deux cent mille CFA que son père a envoyé pour toi, nous avons le devoir de continuer de nous occuper de toi tu as nos enfants avec toi,
- Merci papa, répondit la jeune femme, je n’ai jamais rien eu à vous reprocher, c’est Engoung qui se comporte comme s’il vivait avec moi contraint et forcé,
- Je te comprends vas en paix, conclut l’homme
La jeune femme et ses parents s’en allèrent sans plus un regard pour le malheureux Engoung. Ne dit-on pas que « c’est par orgueil que l’on atteint ses limites ». Et voilà que notre bon homme, comprenait que sa compagne n’était avec lui que par amour et non pas par obligation. Cette nuit-là, fut le commencement de la fin pour lui, car quelques semaines plus tard il perdit aussi son emploi, certains de ses collègues avaient eu l’imprudence de critiquer sa conduite, envers la jeune Alene, un jour sur son lieu de travail, et l’information était parvenue aux oreilles de son patron. Une chance qu’il ait été propriétaire de sa maison, ce qui ne l’empêcha tout de même pas de subir quelques revers de ce côté-là aussi. Un jour qu’il avait entreprit de faire des travaux en pleine nuit, on ne sait pourquoi. Une partie de la toiture qui couvrait le bâtiment se souleva et se retrouva dans son jardin.
Cette nuit-là, en revenant dans le salon, Omwana trouva Alene allongée dans le canapé, endormie. Il rentra se changer et prendre une douche avant de revenir la porter, pour l’emmener dans leur chambre. Pendant qu’il la portait elle se réveilla et le regarda un peu inquiète :
- Tu vas mieux ? Lui demanda Omwana
- Oui, mais dis-moi, tu l’as tué ? Interrogea-t-elle
Il sourit en déposant un b****r sur son front :
- Non ma chérie, il est rentré chez lui sain et sauf, mais j’espère que cette fois il a compris, répondit-il
- Moi aussi, murmura Alene en se blottissant dans les bras de son compagnon
- Tu as eu peur de moi dis ? Demanda Omwana anxieux
- Non, mais je n’ai pas aimé te voir en colère, fit Alene, je ne veux pas que quelqu’un d’autre te mette dans cet état une autre fois, sinon, cette fois c’est moi qui le tuerais,
L’homme sourit, décidément cette petite, elle ne cesserait jamais de l’étonné. Elle s’en faisait pour lui au lieu de s’inquiéter pour le malheureux qui allait subir ses foudres :
- Si j’avais su que cela te mettrais tellement en colère je crois que je ne te l’aurais pas raconté ce soir, j’aurais attendu demain ou un autre jour, dit-elle également
- Ah oui ? (elle hocha la tête) Et tu penses que j’aurais été moins en colère ? Questionna-t-il en souriant
- En y repensant, je n’en suis plus si sûre, conclut-elle avant de fermer à nouveau les yeux et de se rendormir dans les bras de l’homme
Omwana la garda un moment dans ses bras, en la fixant amusé. Il se demandait si toutes les femmes de ce monde aimaient leurs hommes ainsi. En tout cas avec elle, il était bien tombé. Elle l’avait accepté tel qu’il était et ne s’étonnait de rien, cependant, elle tentait à sa façon de le protéger des dangers de ce monde, ce danger que représentait les autres, sans réaliser que c’était lui qui la protégeait et que rien venant des hommes ne l’effrayait, ni ne saurait venir à bout de lui.
Il l’allongea sur le lit mais ne ferma pas l’œil lui-même, il passa la nuit à aller et venir dans la pièce en pensant à cet homme qui allait se retrouver sans rien, à cause de son entêtement à convoiter ce qui ne lui appartenait pas. Il se demandait ce qui motivait ce type. Il savait depuis longtemps, avant son arrivée dans la vie de la jeune femme, qu’elle ne voulait pas de lui. En la persécutant ainsi que comptait-il obtenir ? Pensait-il qu’il l’aurait à l’usure ? Cela n’avait pas de sens, en tout cas pas pour lui, Omwana. S’obstiner à harceler une personne avec ses sentiments, fussent-ils réels, ne pouvait aboutir qu’à l’en dégouter à la longue.
Au petit matin, ce fut lui qui cette fois alla réceptionner la livraison de pain. Alene avait besoin de se reposer. Le livreur l’ayant déjà vu une ou deux fois ne s’étonna pas, et ils firent les comptes ensemble. Une fois terminé, Omwana referma la boutique et retourna au chevet de sa belle. Cette fois, il s’allongea à ses côtés et, après l’avoir prise dans ses bras, il ferma les yeux et s’endormit. Sans avoir été témoin de la scène qui s’était déroulé la veille, plusieurs des voisins étaient au courant que le sieur Engoung avait encore fait des siennes dans la soirée après s’en être prit publiquement à Alene, plutôt dans la journée, en l’absence de son compagnon. Personne ne s’étonna donc de voir Omwana ouvrir la boutique tout seul et y passer la matinée.
Il était assis à une des tables installées devant l’échoppe, lorsque l’un des anciens du quartier, un vieil homme nommé Anda, vint le trouver et lui demanda s’il pouvait lui tenir compagnie :
- Je vous en prie vieil homme, répondit Omwana surprit, je vous sers quelque chose à boire, ou à manger ? Je demande parce que j’allais me faire un sandwich et un verre de lait
- Oui, un sandwich et un verre de lait ça m’ira très bien merci, dit le vieil homme, votre compagne ne nous rejoint pas ? Se risqua-t-il
- Non, elle est un peu souffrante, et avec ce qui s’est passé hier je préfère qu’elle reste tranquillement à la maison, répondit Omwana pendant qu’il servait la collation pour lui et le vieil homme
Monsieur Anda observait le jeune homme s’affairer, puis lorsqu’il revint prendre place près de lui, il relança la discussion en espérant que ce grand gaillard, d’habitude si silencieux, accepterait de répondre à ses questions :
- Justement en parlant d’hier, fit le vieil homme en fixant Omwana qui lui ne le regardait pas, puis-je savoir ce qui s’est passé ? Interrogea l’homme en fixant son jeune hôte, espérant une réponse
Le jeune homme resta silencieux, comme s’il n’avait pas entendu la question de l’homme. Par respect pour son hôte, le vieil Anda ne répéta pas sa question, se contentant de goûter au petit déjeuner qu’il venait de lui servir. Ils mangèrent en silence un long moment avant qu’Omwana se décide à s’adresser à l’homme assis à côté de lui :
- Vous vivez dans ce quartier depuis longtemps dites-moi ? Questionna Omwana
- Oh oui, mon père à acheter le terrain sur lequel je vis alors qu’il n’y avait encore que du sable et des marais partout, tout le monde à l’époque l’avait pris pour un fou
- C’est sûr que lorsqu’on est le premier à faire une chose, on a toujours l’air un peu dérangé aux yeux des autres, commenta Omwana
- Oui, mais regardes ce que cet endroit est devenu, mon père aurait été heureux de voir ça
- Je suppose que oui, reprit Omwana, en rentrant de faire une course pour ma compagne hier en fin d’après-midi, je l’ai trouvée recroquevillée dans le canapé en larme… aucun homme ne devrait être confronté à un tel spectacle,
Le vieil homme soupira et baissa la tête. Aucun homme digne de ce nom n’aurait supporté ça sans réagir, alors que dire de cet homme qu’il soupçonnait d’être bien plus que cela. Il se demandait maintenant comme tout le monde ce que cet entêté d’Engoung pensait obtenir en se comportant de la sorte. Il se cala dans son siège et se racla la gorge :
- Je vois, malheureusement quelques soient les efforts que nous fournissons souvent pour éviter d’avoir des ennuis avec nos voisins ou d’autres personnes, il y en a toujours pour nous forcer à leur montrer le pire qui sommeille en nous, conclut le vieil homme
Omwana ne répondit rien, mais il semblait d’accord avec l’homme assis à ses côtés, il le regardait en silence. Dès qu’ils eurent tous les deux fini de manger, il débarrassa la table et revint s’assoir près du vieil homme. La matinée était calme, et le vent frais qui soufflait semblait inciter les riverains à se cantonner chez eux. Les deux hommes passèrent donc un moment plutôt agréable, sans être dérangé :
- Votre père a eu d’autres enfants ? Demanda encore Omwana au vieil homme
- Non, malheureusement, je suis fils unique du côté de mon père, mais ma mère a eu un autre enfant, une fille, mais ma petite sœur vit à Libreville avec sa famille et je ne la vois que très rarement à cause de son travaille
- C’est dommage,
- Comme vous dites, mais par chance il y a le téléphone, souligna le vieil homme
- Sacré invention ! Avoua Omwana en souriant
Il sembla au vieil homme qu’après tout, ce petit n’était pas un mauvais garçon lorsqu’on prenait la peine de l’aborder avec douceur, et de façon plus respectueuse que cet indélicat d’Engoung. Chacun avait bien le droit d’avoir son caractère, et être introverti ne signifiait pas forcément qu’on avait un sale caractère, ou qu’on n’était pas sociable. Omwana avait été un hôte plus qu’attentionné, le vieux l’avait noté. Il se dit que peut-être, cette distance qu’il mettait entre lui et les autres, c’était pour se protéger du genre de situation dans laquelle leur voisin commun l’avait mis la veille.
Il acheta à Omwana quelques cigarettes, qu’il fuma assis près de lui. Ils restèrent tous les deux le reste de la matinée, assis-là, silencieux le regard sur la route.