Chapitre 4

1464 Mots
Vers minuit, elle cliqua sur un lien enfoui dans un vieux forum d’urbanisme crypté. Un utilisateur anonyme y évoquait un détournement de fonds sous couverture d’un chantier pilote, impliquant une entreprise que Lev aurait conseillé sur l’un de ses projets. Le message avait été supprimé trois jours après sa publication, mais le cache du site l’avait conservé. Aliona resta figée. C’était peut-être une première faille. Elle recula, se frotta les tempes, puis sourit sans joie. — Bienvenue dans la partie, Lev Volkov. Elle se leva pour se servir un verre d’eau, mais ses doigts tremblaient. La tension accumulée, la fatigue, l’excitation… tout pesait sur elle d’un seul bloc. Appuyée contre le comptoir de sa minuscule cuisine, elle fixait le fond du verre, sans vraiment le voir. Lev Volkov. Elle l’avait observé quelques heures plus tôt, souriant sous les flashs, saluant des officiels, posant devant son œuvre comme s’il n’était qu’un simple artiste, un architecte au talent bourgeois, bien né, bien élevé, bien lavé de toute salissure. Mais rien n’était jamais propre dans l’entourage de Viktor Volkov. Et s’il ne savait rien ? S’il n’avait jamais posé les yeux sur les documents classifiés, s’il ignorait les crimes camouflés par son père, les morts effacées, les mères assassinées dans le silence ? Aliona secoua la tête. Ce genre de doute, c’était pour les faibles. Pour ceux qui pouvaient se permettre d’hésiter. Elle, elle n’avait plus ce luxe. Elle souffla longuement, puis quitta la cuisine pour retourner dans son bureau. Elle referma la porte derrière elle, par réflexe, comme si cette pièce était un sanctuaire. Elle s’y sentait protégée, concentrée, coupée du monde. À peine eut-elle posé la main sur la souris que son téléphone vibra près du clavier. Un message s’afficha. C’était You. J’ai trouvé quelqu’un à la mairie. Pas encore sur Lev, mais sur un appel d’offres où son nom revient. J’vais creuser. On lâche rien. Elle tapota rapidement une réponse brève, un simple OK, suivie d’un point. Ce n’était pas de la froideur, c’était du focus. Sa tête tournait déjà à mille à l’heure. Mais une seconde notification fit vibrer le téléphone. D’ailleurs… je suis invité à une soirée privée demain soir. Un truc huppé, pour célébrer l’inauguration de leur foutu bâtiment là, celui de cet après mide. Lev sera sûrement là. Tu veux venir ? Voir le terrain de l’ennemi de plus près ? Aliona resta immobile un instant. L’idée était risquée. Mais l’occasion… précieuse. Elle leva les yeux vers la fenêtre. Saint-Pétersbourg s’éteignait lentement sous un ciel de cendres et d’or. L’air vibrait encore du tumulte du jour. Là-bas, de l’autre côté de la Neva, les puissants se réuniraient demain, verre à la main et secrets aux lèvres. Elle n’avait pas peur de s’approcher. Pas cette fois. Ses doigts tapèrent calmement sur l’écran : J’y serai. Son cœur battait un peu plus fort. Mais son esprit, lui, restait d’une froideur clinique. Elle allait s’habiller pour la guerre. Elle resta là, un moment, les yeux fixés sur l’écran noir, comme si elle espérait encore qu’un indice puisse y surgir par miracle. Mais rien. Juste le silence pesant de la pièce close, la lueur faible de la lampe de bureau et le bourdonnement de ses pensées. Elle réfléchit à tout et à rien. Aux failles du système, aux sourires des assassins, au regard de Lev à travers la foule. Puis, dans un soupir, elle se leva lentement, referma la porte de la pièce, glissa la clé dans la serrure et verrouilla à double tour. Ce sanctuaire n’était pas un bureau, c’était une armoire funéraire. Elle y enfermait ses douleurs, ses questions, et surtout, ses vérités à demi trouvées. Elle rejoignit sa chambre, ôta ses vêtements sans un bruit, et se laissa tomber dans le lit. Son sommeil fut lourd et sans rêve. Le lendemain matin, elle se réveilla tôt, un peu engourdie, mais déterminée. Après une douche rapide et un petit déjeuner à base de café noir et de pain sec qu’elle n’avait pas eu le courage de toaster, elle attrapa son sac et sortit dans les rues animées de Saint-Pétersbourg. Elle n’avait pas pour habitude de flâner dans les boutiques de vêtements, mais aujourd’hui était une exception. Il lui fallait une robe. Pas pour séduire, pas pour se faire voir. Pour infiltrer. S’adapter. Observer. Elle rentra une heure plus tard, des sacs à la main, son manteau trempé par la bruine. Et là, dans le salon, elle sursauta. — Qu’est-ce que tu fous là ? lança-t-elle en voyant Iouri assis sur le vieux canapé, les pieds croisés, l’air nonchalant. — Bonjour à toi aussi. J’ai toujours les clés, tu te souviens ? répondit-il avec un sourire amusé. Sauf celle de ta pièce de sorcière. Promis, j’ai rien touché. Elle fronça les sourcils mais n’ajouta rien. Elle posa les sacs près du fauteuil et s’assit à son tour, un peu agacée. — Personne ne rentre là-bas, murmura-t-elle, presque pour elle-même. — Message reçu. C’est quoi tous ces sacs, au fait ? — Une robe, répondit-elle simplement. You haussa les sourcils, puis se mit à sourire franchement. — Eh ben. À fond dans ta mission, hein ? On dirait une espionne du FSB en couverture de gala. Elle leva les yeux au ciel, mais ne put retenir un sourire discret. — Tu veux me dire ce que t’as trouvé, ou t’es juste venu pour juger mes fringues ? — J’ai fouiné un peu. Des trucs publics surtout… pas grand-chose de neuf. Lev a signé comme consultant sur quelques projets d’urbanisme, notamment celui d’hier. Rien d’illégal. Rien de sale. Officiellement, il est clean. Mais j’ai contacté un gars à l’administration, il continue à creuser. Aliona ne dit rien. Elle avait appris à se méfier des apparences. Ce n’était pas parce qu’un dossier était vide qu’il n’y avait rien dessous. You se leva, attrapa sa veste. — Bon, j’te laisse. Faut que j’aille chercher mon invitation pour ce soir. Je passe te prendre. Aliona hocha la tête, les bras croisés. — T’as intérêt à pas être en retard. — Toi non plus, Princesse Hacker. À ce soir. Il sortit en claquant doucement la porte derrière lui. Elle resta là un instant, le regard perdu, puis se leva et partit ranger ses sacs dans sa chambre. Ce soir, elle entrerait dans la gueule du loup. Mais cette fois, elle n’était pas l’agneau. Le reste de l’après-midi s’étira en lenteur. Aliona tourna en rond dans l’appartement, incapable de se concentrer. Elle avait essayé d’ouvrir un vieux projet codé, de déchiffrer des pistes dans ses dossiers numériques, mais rien n’y faisait. L’image de Lev son calme, son regard sans soupçon, son sourire propre occupait chaque recoin de son esprit. Elle finit par se lever. Le jour commençait à décliner derrière les fenêtres, peignant la ville d’une teinte gris bleuté. Elle se rendit dans la salle de bain, se lava le visage longuement, comme pour s’ancrer dans le réel. Une heure plus tard, elle était debout devant la glace. La robe noire qu’elle avait choisie était sobre, élégante, presque sévère. Satinée, longue et fluide, au col américain qui dévoilait ses épaules avec élégance. La coupe épousait son corps sans excès, soulignant sa silhouette avec une sobriété tranchante. Un choix stratégique : discrète, mais inoubliable.  Elle ouvrit le tiroir du buffet près de la cuisine. Sortit un petit couteau suisse qu’elle glissa dans la doublure de son manteau. Puis un micro-enregistreur discret, qu’elle activa avant de le cacher dans la pochette de sa robe. Pas parce qu’elle s’attendait à des révélations explosives. Mais parce qu’elle avait appris à ne jamais se pointer quelque part sans arme. Le téléphone vibra. Un message de You : Devant chez toi dans 5 minutes. Prête à jouer les invités distingués ? Elle souffla. Son cœur battait vite, mais ses gestes restaient calmes. Elle attrapa son manteau, éteignit les lumières, jeta un dernier regard vers la porte verrouillée du bureau. Le passé attendrait encore un peu. Elle descendit les marches. You l’attendait déjà près de sa voiture, une vieille Lada maquillée à l’intérieur comme une planque de journaliste. Il la détailla du regard et haussa un sourcil, faussement impressionné. — Wow. Madame est prête à infiltrer la haute. T’as même pas l’air dangereuse. — C’est le but. Ils montèrent dans la voiture. La nuit tombait sur Saint-Pétersbourg, et les premières lumières des réverbères se reflétaient sur les pavés humides. Ils roulaient en silence, chacun perdu dans ses pensées. Ce soir, le jeu commençait vraiment. La voiture s’arrêta devant l’entrée illuminée du palais d’un ancien hôtel particulier reconverti en lieu d’événement huppé. Un tapis noir bordé de lampes dorées menait aux grandes portes vitrées, où se pressait déjà une foule élégante. Des flashes éclataient par instants, des rires flottaient dans l’air tiède de la nuit. A suivre
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