Chapitre 8

3561 Mots
je suis content d’avoir une opinion autorisée. elle me paraissait jouer avec beaucoup de goût mais, tout en étant moi-même très amateur de musique, je ne me sens pas le droit de porter un jugement sur un exécutant. j’ai souvent entendu louer son style et je me rappelle avoir remarqué qu’un homme très compétent, amoureux d’une autre femme, fiancé même, ne demandait jamais à celle-ci de s’asseoir au piano si la jeune fille dont nous parlons était présente. cette préférence me paraît être concluante. – on ne peut plus ! dit emma très amusée. alors m. dixon est très musicien ? nous allons en savoir plus long sur leur compte après une demi-heure de conversation avec vous, que nous en eussions appris au bout d’une année, à l’aide des révélations de mlle fairfax. – Vous l’avez deviné, c’est bien à M. Dixon et à Mlle Campbell que je faisais allusion. – À la place de Mlle Campbell je n’aurais pas été flattée de voir mon fiancé témoigner d’un goût plus prononcé pour la musique que pour ma personne ; cette hypertrophie du sens de l’ouïe au détriment de celui de la vue ne m’eut pas agréée ! Comment Mlle Campbell paraissait-elle accepter cette option ? – Il s’agissait, vous le savez, de son amie intime. – Triste consolation ! dit Emma en riant ; on aimerait mieux voir préférer une étrangère : on pourrait espérer alors que le cas ne se représenterait pas, mais quelle misère d’avoir une amie toujours à portée pour faire tout mieux que soi ! Pauvre Mme Dixon ! Eh bien vraiment, je suis contente qu’elle soit allée s’établir en Irlande. – Sans doute, ce n’était pas flatteur pour Mlle Campbell, mais elle ne semblait pas en souffrir. – Tant mieux pour elle ou tant pis ! Il est difficile de discerner le mobile de cette résignation : douceur de caractère ou manque d’intelligence, vivacité d’amitié ou apathie. De toute façon, Mlle Fairfax devait se sentir extrêmement gênée. – Je ne puis pas dire si… – Oh ! ne croyez pas que j’attende de vous une analyse des sensations de Mlle Fairfax ! Elle ne fait de confidences à personne ; mais le fait d’accepter de se mettre au piano, toutes les fois que M. Dixon le lui demandait, prête à des interprétations objectives. – Il paraissait y avoir entre eux une si parfaite entente, reprit-il avec vivacité ; puis se ravisant, il ajouta : Naturellement il m’est impossible d’apprécier dans quels termes ils étaient réellement, ni ce qui se passait dans les coulisses : extérieurement tout était à l’union. Mais vous, Mademoiselle Woodhouse, qui connaissez Mlle Fairfax depuis son enfance, vous êtes à même de connaître la façon dont elle se comporterait dans une situation difficile. – Nous avons grandi ensemble, en effet, et il eût été naturel que des relations d’intimité se fussent établies entre nous. Il n’en fut jamais ainsi, je ne sais trop pourquoi ; sans doute un peu par ma faute ; je me sentais mal disposée pour une jeune fille qui était de la part de sa famille et de son entourage l’objet d’une véritable idolâtrie. En second lieu l’extrême réserve de Mlle Fairfax m’a toujours empêchée de m’attacher à elle. – Rien de moins attirant en effet ; on ne peut aimer une personne réservée. – Non jusqu’au moment où cette réserve se dissipe vis-à-vis de soi et alors c’est un attrait de plus. Mais il me faudrait être tout à fait sevrée d’affection pour prendre la peine de conquérir de vive force une âme si bien défendue ! Il n’est plus question d’intimité entre moi et Mlle Fairfax. Je n’ai aucune raison d’avoir mauvaise opinion d’elle ; toutefois une si perpétuelle prudence en paroles et en actes, une crainte si excessive de donner un renseignement ne sont pas naturelles : on ne se tient pas à ce point sur ses gardes, sans raison. Ils demeurèrent d’accord sur ce sujet comme sur les autres. Frank Churchill ne répondait pas exactement à l’idée qu’Emma se faisait de lui : il s’était révélé moins homme du monde d’un certain côté, moins enfant gâté de la fortune, qu’elle n’avait anticipé. Elle fut particulièrement frappée du jugement qu’il porta sur la maison de M. Elton, dont on lui avait fait remarquer l’apparence modeste et le maigre confort. « À mon avis, avait-il dit, l’homme appelé à y vivre avec la femme de son choix est un heureux mortel. La maison me paraît suffisamment grande pour tous les besoins raisonnables ; il faut être un sot pour ne pas s’en contenter. » Mme Weston se mit à rire et répondit : – Vous êtes habitué vous-même à un grand train de vie et à une maison spacieuse ; vous avez joui inconsciemment de tous les avantages y afférents et vous n’êtes pas à même de connaître les inconvénients d’une petite habitation. Nonobstant Emma fut satisfaite de cette profession de foi : sans doute il ne se rendait pas exactement compte de l’influence que peuvent avoir sur la paix domestique l’absence d’une chambre pour la femme de charge et l’exiguïté de l’office du maître d’hôtel, mais ce n’était pas moins une bonne note d’avoir conservé au milieu du faste d’Enscombe des goûts simples et un cœur chaud. L’opinion d’Emma sur Frank Churchill se trouva quelque peu modifiée le lendemain : M. et Mme Weston vinrent faire une visite à Hartfield et elle apprit d’eux que le jeune homme était allé à Londres pour se faire couper les cheveux : il avait été pris d’une frénésie soudaine pendant le déjeuner et, ayant commandé une voiture, s’était mis en route avec l’intention de rentrer à l’heure du dîner. Sans doute, cette expédition était en soi assez inoffensive ; mais il s’y mêlait une préoccupation ridicule et enfantine qu’Emma ne pouvait approuver ; cette manière d’agir contrastait singulièrement avec la raison que Frank Churchill mettait dans ses discours, la modération qu’il affectait dans ses goûts et aussi les sentiments désintéressés qu’il professait. La vanité, l’extravagance, l’amour du changement, l’indifférence pour l’opinion des autres, tels étaient les caractéristiques qu’Emma discernait maintenant en lui. M. Weston, tout en traitant son fils de sot, trouvait, en somme, cette équipée assez amusante ; Mme Weston, au contraire, ne l’approuvait nullement : elle passa très légèrement sur le fait et se contenta de dire que les jeunes gens ont tous des lubies ; mais, ce point mis à part, elle fit l’éloge de son beau-fils dans les termes les plus propres à corriger la mauvaise impression de l’instant présent. – Il se montre plein d’attentions et fait preuve d’un aimable caractère ; je ne puis rien trouver à redire aux idées du jeune homme, lesquelles, sur beaucoup de points, méritent même une complète approbation : il semble avoir une véritable affection pour son oncle qui serait, dit-il, le meilleur des hommes s’il ne se laissait pas influencer ; il reconnaît la bonté dont sa tante fait preuve à son égard et parle d’elle avec respect. M. Weston, à son tour, s’efforça de faire apparaître son fils sous un meilleur jour. – Frank vous trouve très belle, dit-il, et vous admire à tous les points de vue. Tout l’ensemble était plein de promesses et, sans cette malheureuse fantaisie de la coupe de cheveux, Emma aurait jugé Frank Churchill tout à fait digne de l’honneur que son imagination lui faisait en le supposant amoureux d’elle ou du moins sur le point de le devenir. Sa propre indifférence (car elle persistait à ne pas vouloir se marier) était sans doute le principal obstacle aux projets matrimoniaux de ses amis de Randalls. Peu après l’arrivée de M. et de Mme Weston, on apporta une lettre à Emma ; c’était une invitation à dîner de la part de M. et de Mme Cole : ces derniers étaient établis à Highbury depuis plusieurs années et ils étaient à la tête d’une importante maison de commerce. Tout le monde s’accordait à les considérer comme d’excellentes gens, obligeants, généreux et sans prétention. Au début, ils avaient vécu sur le pied d’une large aisance, limitant leur hospitalité à quelques amis. Leurs affaires ayant prospéré et leurs moyens s’étant considérablement accrus, ils éprouvèrent bientôt le besoin d’être logés plus grandement et d’étendre leurs relations ; ils ajoutèrent une aile à leur maison, augmentèrent le nombre de leurs domestiques et enflèrent leurs dépenses en général ; ils étaient maintenant, après les châtelains d’Hartfield, ceux qui menaient le plus grand train de vie. La somptueuse décoration de leur nouvelle salle à manger faisait prévoir qu’ils se préparaient à donner des dîners ; déjà plusieurs célibataires avaient été conviés. Emma ne pouvait approuver ces velléités ambitieuses : s’étendraient-elles aux premières familles du pays ? Pour sa part, elle était bien décidée à repousser toute avance et elle regrettait que les habitudes bien connues de son père n’enlevassent, le cas échéant, une grande signification à ce refus ; sans doute, les Cole étaient très respectables, mais il convenait de leur montrer qu’il ne leur appartenait pas de modifier les termes de leurs relations avec les familles occupant un rang social supérieur au leur. La leçon serait malheureusement incomplète : elle avait peu d’espoir en la fermeté de M. Knightley, aucun en celle de M. Weston. Emma avait pris position si longtemps à l’avance que le moment venu, ses dispositions s’étaient considérablement modifiées : elle n’était plus bien sûre maintenant de ne pas désirer l’invitation qu’elle redoutait un mois auparavant, mais elle n’avait pas la faculté d’option : les Weston et M. Knightley devaient, en effet, dîner le mardi suivant chez les Cole et ni M. Woodhouse ni sa fille n’avaient été priés. Au cours de leur promenade de la veille, Frank Churchill avait manifesté son désappointement en apprenant que Mlle Woodhouse ne serait pas au nombre des convives. Emma trouvait insuffisante l’explication donnée par Mme Weston : « Ils ne prendront sans doute pas la liberté de vous inviter, sachant que vous ne dînez jamais en ville. » Le splendide isolement auquel sa grandeur la condamnait lui pesait singulièrement. Ce fut donc sans déplaisir qu’Emma prit connaissance de la lettre de Mme Cole ; après avoir mis M. et Mme Weston au courant, elle ajouta : « Naturellement, nous ne pouvons accepter », mais en même temps elle s’empressa de leur demander avis : ils furent tous deux nettement favorables à l’acceptation. Après quelques objections de pure forme, Emma ne cacha pas qu’elle était touchée des égards témoignés à son père et du tact avec lequel la demande était formulée : « Ils auraient déjà sollicité l’honneur de les recevoir, mais ils avaient attendu l’arrivée d’un paravent commandé à Londres : ils espéraient maintenant être en mesure d’éviter à M. Woodhouse toute espèce de courant d’air. » Finalement, elle se rendit aux moyens de concilier l’absence d’Emma avec le confort de M. Woodhouse : il fut convenu qu’à défaut de Mme Bates on prierait Mme Goddard de tenir dîner à Hartfield ce soir là. Emma ne désirait pas, en effet, que son père acceptât personnellement ; les heures ne pouvaient lui convenir et l’assemblée serait trop nombreuse. Il restait à lui faire envisager la possibilité de se séparer de sa fille pendant une soirée : il s’y résigna sans trop de difficultés. – Je n’aime pas dîner en ville, dit-il, ni Emma non plus. À mon avis, il aurait beaucoup mieux valu que M. et Mme Cole fussent venus prendre le thé avec nous, un après-midi pendant la belle saison, en choisissant l’heure de la promenade, il leur eût été facile de rentrer avant l’humidité de soir : je ne voudrais exposer personne aux brouillards d’été ! Néanmoins, puisqu’ils désirent tant avoir Emma à dîner, je ne veux pas m’y opposer, à condition, toutefois, que le temps ne soit ni humide ni froid et que le vent ne souffle pas. Se tournant alors vers Mme Weston avec un air de reproche, il ajouta : – Ah ! Mademoiselle Taylor, si vous ne vous étiez pas mariée, vous m’auriez tenu compagnie ce soir-là ! – Eh bien ! Monsieur, dit M. Weston, puisque je suis responsable de l’e********t de Mlle Taylor, je m’efforcerai de lui trouver une remplaçante : j’irai à l’instant chez Mme Goddard, si vous le désirez. La seule idée qu’on pût tenter une démarche aussi précipitée eut pour effet d’accroître l’agitation de M. Woodhouse. Emma et Mme Weston déclinèrent aussitôt cette offre et firent des propositions plus acceptables, M. Woodhouse se remit rapidement et reprit : – Je serai heureux de voir Mme Goddard et je ne vois pas de difficulté à ce qu’Emma écrive pour l’inviter. James pourrait porter la lettre. Mais, avant tout, ajouta-t-il en se tournant vers sa fille, il faut répondre aux Cole. Vous transmettrez mes excuses, ma chère, avec toute la politesse voulue. Vous ferez allusion à mon état de santé qui ne me permet pas d’accepter leur aimable invitation ; naturellement vous commencerez par présenter mes compliments. Du reste, les recommandations sont inutiles : vous vous exprimerez, sans aucun doute, avec une correction parfaite. Il ne faut pas oublier d’avertir James ; avec lui je n’aurai pas d’inquiétude à votre sujet, bien que nous n’ayions jamais été chez les Cole depuis l’ouverture de la nouvelle route ; il sera prudent de lui donner l’ordre de venir vous prendre de bonne heure ; je suis sûr qu’une fois le thé servi vous serez fatiguée. – Pourtant, papa, vous ne voudriez pas que je m’en aille avant de me sentir lasse ? – Non certainement, ma chérie, mais vous ne tarderez pas à éprouver le désir de rentrer ! l’assemblée sera nombreuse, tout le monde parlera à la fois et vous n’aimez pas le bruit. – Mais, mon cher monsieur, dit M. Weston, si Emma se retire ce sera le signal du départ général. – Je n’y vois aucun inconvénient, reprit M. Woodhouse, le plus tôt les réunions mondaines prennent fin c’est le mieux. – Ne conviendrait-il pas de songer aussi aux maîtres de maison, répondit M. Weston ; partir immédiatement après le thé, ce serait leur faire un affront. Vous ne voudriez pas, Monsieur, désappointer les Cole à ce point : de braves et excellentes gens qui sont vos voisins depuis dix ans ! – Non pour rien au monde, monsieur Weston, et je vous remercie de m’avoir averti. Je serais extrêmement fâché de causer le moindre chagrin aux Cole. Je les tiens en grande estime ; Perry m’a dit que M. Cole ne prenait jamais de liqueur. Ma chère Emma, plutôt que d’offenser M. ou Mme Cole, vous pourriez peut-être vous imposer l’effort de prolonger votre veille. Du reste vous serez entourée d’amis et ils vous feront oublier la fatigue. – Pour ma part, papa, je n’aurais aucun scrupule à rester tard, si je n’avais la préoccupation de vous savoir seul. Tant que vous aurez la compagnie de Mme Goddard je serai parfaitement tranquille sur votre compte : vous aimez jouer au piquet l’un et l’autre ; mais je crains que vous ne demeuriez en bas, après son départ, au lieu d’aller vous coucher à votre heure habituelle ; cette idée me gâterait complètement ma soirée ; promettez-moi de ne pas veiller. Il y consentit en échange d’autres promesses : elle dut s’engager à bien se chauffer avant de monter se coucher et à manger si elle avait faim ; se femme de chambre l’attendrait bien entendu ; Serge et le domestique auraient mission de s’assurer de la fermeture des portes et du couvre-feu général. Frank Churchill revint le soir même ; il arriva un peu en retard à dîner, mais personne n’en sut rien. Mme Weston, en effet, était trop désireuse que son beau-fils ne déméritât pas aux yeux de Mlle Woodhouse pour l’exposer, sauf dans le cas de force majeure, à la moindre critique. Ses cheveux étaient coupés et il se moqua de luimême avec une extrême bonne grâce. Le lendemain il vint à Hartfield : Emma l’observa et ne put distinguer en lui aucun symptôme de gêne. Il avait son entrain habituel. Elle se prit à moraliser à part soi : – Je le constate avec regret ; mais il est certain qu’un acte absurde, dont un être intelligent a l’impudence de revendiquer la responsabilité, perd en grande partie son caractère infamant ; le grelot de la folie, manié par des mains expertes, rend un son particulier ! Dans les paroisses de Donwell et d’Highbury, l’opinion était nettement favorable au nouvel arrivant et, le cas échéant, on eût été tout disposé à faire preuve d’indulgence pour un jeune homme si élégant qui souriait si souvent et saluait avec tant de grâce. Sourires et saluts, pourtant, n’avaient pas réussi à dissiper les préventions de M. Knightley ; en apprenant, la veille, au cours de sa visite à Hartfield, la fugue de Frank Churchill, il ne fit tout d’abord aucun commentaire, il ouvrit un journal et Emma l’entendit murmurer : « C’est bien le jeune fat que je m’étais imaginé ! » Elle s’apprêtait à répondre, mais s’apercevant que M. Knightley n’avait apporté à cette remarque aucun esprit de provocation à son égard, elle ne le releva pas. Le mardi arriva : Emma se sentait toute disposée à passer une agréable soirée : elle ne voulait pas se souvenir que six semaines auparavant, à l’époque même de la faveur de M. Elton, une des principales faiblesses qu’elle discernait en lui était précisément une fâcheuse propension à dîner chez les Cole ! Le confort de M. Woodhouse était amplement assuré : Mme Bates et Mme Goddard étaient toutes deux à leur poste. Le dernier soin d’Emma avant de quitter la maison fut d’entrer au salon pour présenter ses respects aux amies de son père ; elles finissaient de dîner. M. Woodhouse contempla affectueusement sa fille et la complimenta sur sa jolie toilette ; pendant ce temps celle-ci s’efforça, en servant aux dames de grands morceaux de gâteau, d’apporter une compensation aux privations qu’elle supposait leur avoir été imposées, au nom de l’hygiène, pendant le repas. même temps que celle d’Emma une autre voiture s’arrêta devant la porte de M. Cole ; elle fut agréablement surprise en reconnaissant le coupé de Knightley ; ce dernier n’avait pas de chevaux à lui et faisait rarement atteler : il se plaisait à affirmer son caractère indépendant et venait la plupart du temps à pied chez ses amis. Selon l’estimation d’Emma cette manière d’agir ne convenait en aucune façon au propriétaire de Donwell Abbey. Aussi quand M. Knightley s’approcha pour l’aider à descendre, s’empressa-t-elle de lui faire part de son approbation. – Voilà l’équipage dans lequel il sied à un homme comme il faut de se rendre en soirée. Je vous fais mes compliments. Il la remercia et ajouta : – Comme c’est heureux que nous soyions arrivés au même moment ! Si nous étions, de prime-abord, rencontrés dans le salon, vous n’auriez sans doute pas remarqué que j’avais l’air particulièrement distingué, ni deviné comment j’étais venu. – Vous vous trompez, je m’en serais certainement aperçue. Lorsque vous avez conscience d’avoir employé un moyen de locomotion non conforme à votre rang, vous affectez un air de bravade et d’indifférence. Aujourd’hui, au contraire, vous n’avez aucun effort à faire ; vous ne craignez pas que l’on suppose que vous avez honte ; vous n’avez pas besoin de redresser votre taille. Je serai fière d’entrer avec vous dans le salon. « Vous êtes absurde ! » fut la réponse, faite sans mauvaise humeur. Emma fut reçue par les Cole avec une respectueuse cordialité et on lui donna toute l’importance désirable. Mme Weston l’accueillit de son regard le plus tendre ; Frank Churchill s’approcha avec un empressement significatif ; à dîner il était assis auprès d’elle et Emma soupçonna que les places n’avaient pas été assignées sans préméditation. L’assemblée comprenait, en outre, une famille des environs moins immédiats, très bien placée socialement et M. Cox, l’homme d’affaires d’Highbury, accompagné de son fils. Les dames Cox, Mlle Fairfax, Mlle Bates et Mlle Smith devaient venir après dîner. Vu le nombre des convives, une conversation générale n’était pas possible, aussi, pendant que l’on causait politique et que l’on discutait les projets de M. Elton, Emma put-elle sans inconvénient se consacrer à son voisin. À un moment pourtant elle entendit prononcer le nom de Mlle Fairfax et elle prêta l’oreille : Mme Cole racontait un fait qui paraissait exciter un vif intérêt. – J’ai été aujourd’hui, disait-elle, faire une visite à Mlle Bates et, en entrant dans le salon, mon attention fut immédiatement attirée par l’adjonction au mobilier d’un piano, un magnifique demi-queue ; je me suis empressée de complimenter Mlle Bates ; celle-ci me donna aussitôt toutes les explications possibles : le piano était arrivé la veille de chez Broadwood ; personne ne s’y attendait ; Jane elle-même n’y comprenait rien ; elles sont maintenant persuadées que c’est un cadeau du colonel Campbell. Pour ma part, je n’ai aucun doute touchant la provenance de ce piano et leur hésitation m’a surprise ; mais Jane avait, paraît-il, reçu une lettre des Campbell tout dernièrement ne faisant aucune allusion de ce genre ; sans doute elle est à même de connaître leur manière d’agir, pourtant il me semble que leur silence peut s’expliquer par le désir de lui faire une surprise.
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