Nous marchâmes un long moment en silence avant que je n’en puisse plus :
« Audrey a accouché récemment.
-Je sais.
-Le petit Marcus nous donne du fil à retorde.
-Tu ne dors pas beaucoup. »
Je levais la main à mes cernes sans le vouloir.
« Et c’est dans cet état que tu veux t’entraîner ? »
Je faisais comme si elle n’avait rien dis et continuais :
« Audrey est vraiment inquiète. Marcus refuse de boire son lait. Je ne sais plus quoi faire. »
Soudain la Duchesse fit demi-tour et se mit à marcher vers le château. J’ignorais ce qu’il lui avait pris mais elle ne s’arrêta qu’une fois dans la chambre d’Audrey. Elle ne toqua pas, pas du tout soucieuse du sommeil de la jeune mère et alla droit au bébé.
Audrey sauta sur ses pieds affolée prête à tout pour protéger son bébé mais je lui fis signe de se calmer.
La Duchesse s’arrêta en face du berceau et observa le nouveau-né qui réveillé par son arrivée se mit à hurler. Sans attendre la Duchesse prit le petit être dans ses mains et le serra contre elle tandis qu’Audrey la regardait faire tremblante.
Marcus se calma dans les secondes suivantes et se rendormit profondément. Nous fixions la Duchesse surpris repensant à ces longues heures passées à essayer de le calmer en vain.
Après avoir reposé le bébé la Duchesse se tourna vers Audrey et lui asséna une gifle puissante. Audrey tomba sur le lit la main à la joue tandis que j’attrapais le bras de la Duchesse pour l’empêcher de lui faire plus de mal. Mais c’était comme si je n’existais pas. La Duchesse n’avait de yeux que pour Audrey qui reprit ses esprits petit à petit et leva les yeux vers la femme qui venait de la frapper.
« Reprends-toi. C’est ta faute si ce bébé a faim. »
Je voulus la faire taire mais j’étais complètement ignoré.
« Quand tu es arrivée ici je t’ai demandée si tu voulais garder le bébé. Malgré l’identité de son père tu as choisi de l’aimer. Alors je te repose la question. Est-ce que tu veux que je le fasse disparaitre et que je lui trouve une famille aimante ou est-ce que tu vas arrêter de te lamenter et tu vas prendre soin de ton enfant ? »
Je regardais à tour de rôle Audrey et la Duchesse ne sachant quoi faire. La Duchesse était beaucoup trop froide et honnête pour Audrey. Je la voyais trembler et se ratatiner devant tout ce pouvoir.
« Choisis. Est-ce que tu l’aimes ? »
Audrey se mit à pleurer à chaudes larmes.
« Oui…
-Personne n’a dis que ce serait facile mais je vais t’envoyer toutes les personnes possibles pour t’aider. Tu n’es pas seule alors arrête tout de suite. Tu m’as comprise ? »
Audrey hocha doucement la tête. Sur ce la Duchesse sortit. Quant à moi je me jetais à sa poursuite :
« Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Audrey est épuisée et tu l’as giflée sans aucune raison. Tu te prends pour qui ? »
Elle se tourna de nouveau vers moi avec une vitesse déconcertante.
« Reprends-lui le couteau à ma place veux-tu. »
Je restais figé ne sachant de quoi elle parlait et une fois la Duchesse disparue de mon champ de vision je retournais voir Audrey. Cette dernière était tombée au sol secouée par ses larmes et je l’aidais à se relever. Je la serrais dans mes bras jusqu’à ce qu’elle se calme et lui caressais le dos.
Une fois calmée, Audrey leva doucement ses yeux vers moi mais les fit retomber dès que nos regards se croisèrent honteuse.
« Tu n’as pas à avoir honte. Tu n’as rien fais de mal. C’est la Duchesse qui est intenable. »
Mais elle étouffa un pleur en secouant la tête. Comme je ne comprenais pas elle alla à son coussin et sortit d’en dessous un couteau de cuisine. Elle me le tendit les mains toujours tremblantes et je le prenais perplexe.
« J’ignore comment la Duchesse est au courant mais je suis allée en cuisines pour voler ça récemment.
-Pourquoi ? »
Le visage d’Audrey se tordit de douleur mais elle n’avait plus de larmes pour pleurer.
« Parce que j’étais désespérée. Je pensais que ce bébé allait être un bonheur inconditionnel mais je n’arrive même pas à le nourrir.
-Ce n’est pas ta faute. »
Elle hocha frénétiquement la tête.
« Je sais, je sais. »
Elle soupira un grand coup avant de s’assoir sur le lit. Je m’assis en face d’elle et pris sa main dans la mienne.
« Je suis tombée enceinte alors que j’étais sur un bateau de marchandises. »
Elle sourit impuissante et je sentais ce qu’il allait venir mais en même temps je n’arrivais pas à le concevoir.
« Je lui ai dis non. Mais étant un objet je n’avais pas le luxe de choisir avec qui je couchais et quand. Comme l’a dis la Duchesse, à mon arrivée elle a tout de suite deviné l’origine de cet enfant et elle m’a demandée si je voulais le faire disparaitre. Si savoir qui était son père ou comment je l’avais eu me donnait envie de ne plus jamais le revoir. Je n’aurais jamais pensé qu’elle me proposerait de choisir. Je n’en avais pas l’habitude. Je ne savais pas quoi dire. A vrai dire je n’y avais même pas vraiment réfléchi. J’étais persuadée que mon enfant allait être vendu et je ne m’étais même pas imaginée l’élever moi-même. Alors elle m’a laissée réfléchir et je me suis rendu compte que j’étais heureuse à l’idée d’avoir cet enfant près de moi. Je voulais le rencontrer et cela malgré le passé. Pour moi ça n’avait aucune importance. »
Elle se tut un instant.
« Et puis j’ai accouché. C’étaient les heures les plus douloureuses de toute ma vie mais je m’accrochais sachant ce qui m’attendait à la fin. Quand je l’ai vu la première fois j’ai été envahie d’un bonheur incomparable à ceux que j’ai pu ressentir auparavant. Mais ce sentiment s’est très vite estompé et a été remplacé par de la honte. De la culpabilité, de l’incompréhension… Je ne savais pas quoi faire ni comment. J’étais dépassée par les événements et le pire était que je n’avais pas l’impression que le bébé voulait de moi. Toutes ces heures passées à essayer de le calmer, je n’avais pas l’impression qu’il était heureux d’être dans mes bras. Il ne voulait même pas boire de mon lait. »
Elle se pinça les lèvres avant de désigner le couteau.
« Alors j’ai pensé à tout abandonner. »
Je ne me rendis pas compte que je secouais frénétiquement la tête. Je ne pouvais pas perdre Audrey. Non. Je ne pouvais plus perdre personne. Je ne l’aurais pas supporté.
« Ne t’inquiète pas je ne le ferai pas. La gifle que j’ai reçue m’a remis les idées en place. Je ne peux pas abandonner aussi facilement. Et puis je ne suis pas seule. »
Elle serra ma main et me sourit avec douceur.
« Je te promets que tout va bien à présent.
-Tu es sûre ? »
Elle hocha doucement la tête et je lui embrassais le front.
« Je vais aller ramener ce couteau en cuisine. Toi tu n’as pas intérêt à bouger d’ici. Je vais envoyer quelqu’un surveiller le bébé. Tu devrais te reposer. D’accord ?
-D’accord. »
Sur ce je la laissais se reposer. Je la croyais quand elle disait qu’elle n’allait plus tenter d’en finir mais au cas où je n’allais pas la laisser seule pendant un moment. Tandis que j’allais ranger le couteau j’envoyais Jean lui tenir compagnie ce qui me rassura et je décidais de passer par le couloir secret.
Je ne fus pas du tout surprit quand en poussant la porte, cette dernière céda.
La Duchesse était assise à son bureau et ne leva pas la tête en m’entendant entrer. Je me positionnais devant elle et attendais un moment avant de parler :
« Merci pour Audrey. Tu lui as sauvé la vie. »
La Duchesse ne dit rien plongée dans ses papiers alors je soupirais.
« Tu as fais une bonne action aujourd’hui tu peux être fière de toi.
-Si c’est tout ce que tu voulais dire tu peux y aller. »
J’esquissais un rire irrité par cette femme.
« Je veux juste savoir comme tu l’as su.
-Décidément tu veux savoir beaucoup de choses à mon sujet.
-Tu as beaucoup de secrets.
-Pas vraiment.
-Alors ? »
La Duchesse posa enfin la lettre qu’elle était en train de déchiffrer et me regarda.
« Que veux-tu que je te dise ?
-Comment tu as su qu’elle voulait se suicider ?
-Pourquoi est-ce que c’est important ?
-Simple curiosité.
-Dommage que je ne sois pas là pour satisfaire ta curiosité. »
Elle me désigna la porte mais je ne bougeais pas.
« Je n’avais rien remarqué… J’étais avec elle tout le temps et pourtant je n’ai même pas remarqué qu’elle n’allait pas bien. »
La Duchesse se redressa dans un soupire.
« La plupart du temps, les personnes au plus bas paraissent normales à des yeux étrangers.
-Mais je ne suis pas étranger. J’aurais dû savoir.
-Non.
-C’est tout ? Non ? Tu n’es pas des plus fortes pour rassurer les autres.
-Personne n’aurait remarqué.
-Mais toi tu savais.
-Qu’est-ce que tu essayes de me faire dire ? »
Je voulais qu’elle se confie sur son passé. Je voulais qu’elle parle de ses douleurs. Je voulais savoir comment remarquer ce genre de choses pour être là pour Audrey. Je voulais des réponses n’importes lesquelles.
La Duchesse sourit en entendant mes pensées.
« Je me demande pourquoi est-ce que Missy te fait tant confiance.
-Je me demande la même chose à ton sujet. »
Elle rit.
« Touché. Mais si ce que tu voulais étais une conversation touchante au sujet de mon passé alors tu es mal tombé. Je ne parle pas de cette période.
-Peut-être qu’en parler te ferait du bien. »
Elle rit de nouveau.
« Serait-ce ce que tu désires ? Me faire du bien ?
-Pas vraiment. Mais je veux discuter.
-Je ne vais pas me répéter.
-Tu peux choisir. Parle moi de la manière dont tu as tué ton père, de la raison pourquoi les esclaves disparaissent d’ici au bout d’un an ou de comment tu as su pour Audrey. Alors de quoi veux-tu parler ? »
J’aurais pensé que la Duchesse se serait plongée de nouveau dans sa lettre mais elle ne me quittait pas des yeux.
« Je n’aime pas cette confiance que tu as développé. »
J’émis un petit rire.
« Moi j’aime bien. Je trouve que ça me correspond. Alors ? Ou si tu préfères nous pourrions parler de ta cousine ou des personnes qui sont venues te visiter récemment. Je ne savais pas que tu avais des amis. Tu ne m’as pourtant pas l’air des plus amicales.
-Je me suis désinfecté les plaies.
-Quoi ?
-Tu voulais une réponse.
-Ce n’était pas sur la liste mais bon.
-Et en ce qui concerne Audrey, ce n’est pas une compétition. Ce qui compte est qu’elle ne l’a pas fait. »
Je hochais doucement la tête.
« J’ai une autre question.
-Pourquoi ne suis-je pas surprise.
-Si tu avais été à sa place. Tu l’aurais fait ?
-Je crois que tu connais déjà la réponse.
-Oui…
-Alors à ce soir. »
Je relevais les yeux vers la Duchesse surprit.
« Nous reprenons les entraînements ?
-Je ne suis pas occupée ce soir. »
Elle attendit un moment avant d’ajouter :
« Et à ce que je vois tu en as plus besoin que je n’aurais pensé.
-Disons que ce n’est pas inutile.
-Disons cela. »
Je me mis à marcher vers le passage secret quand j’entendis la Duchesse ajouter :
« Je vois que ton premier réflexe n’était pas de vouloir tuer toutes les personnes impliquées dans la capture d’Audrey. Tu évolues.
-Je ne suis pas une bête intenable. »
Je ne l’entendis pas répondre mais j’aurais juré la voir sourire. Quoi que de dos c’était assez difficile à voir.