Chapitre 5

2168 Mots
5 Nora À mon réveil, j’ai l’esprit parfaitement clair. Je me souviens de tout, et j’ai envie de hurler. En me levant d’un bond, je m’aperçois que je porte encore le peignoir d’hier soir. Et en faisant ce geste brusque je me rends compte que quelque chose me fait mal au plus profond de moi et mon bas-ventre se contracte au souvenir de ce qui a provoqué cette douleur. J’ai l’impression qu’il est encore en moi et ce souvenir me fait frissonner. Je me dégoûte et je me répugne. Comment ai-je pu faire une chose pareille ? Comment ai-je pu rester là et laisser Julian me faire l’amour ? Comment ai-je pu trouver du plaisir dans ses étreintes ? D’accord, il est beau, mais ça n’est pas une excuse. Il me veut du mal. Je le sais. Je l’ai senti depuis le début. Sa beauté apparente dissimule des forces obscures. J’ai le sentiment qu’il commence tout juste à me révéler sa véritable nature. Hier, j’avais trop peur, j’étais trop traumatisée pour prêter attention à l’endroit où je me trouvais. Comme je me sens bien mieux aujourd’hui j’examine attentivement la chambre. Elle a une fenêtre. Cette fenêtre est masquée par une épaisse persienne couleur ivoire, mais je peux quand même deviner la lumière du jour. Je m’y précipite, j’ouvre la persienne et tout à coup une brillante lumière m’éblouit. Après quelques secondes nécessaires pour que mes yeux s’y habituent je regarde au-dehors. Et je n’en crois pas mes yeux. La fenêtre n’a aucune fermeture d’aucune sorte. En fait, j’ai l’impression de pouvoir l’ouvrir facilement et de sortir par là. La chambre est au deuxième étage, je pourrais peut-être même atteindre le sol sans rien me casser. Non, ce n’est pas la fenêtre qui pose problème. C’est la vue qu’on aperçoit au-dehors. Des palmiers et une plage de sable blanc. Plus loin une vaste étendue d’eau, bleue et scintillante sous un soleil éclatant. Un beau paysage tropical. Aussi différent que possible de ma petite ville du Midwest des États-Unis. De nouveau, j’ai froid. Si froid que je grelotte. Je sais que c’est à cause du stress parce qu’il doit faire plus de vingt-cinq degrés. J’arpente la chambre en m’arrêtant de temps en temps pour regarder par la fenêtre. À chaque fois, j’ai l’impression de recevoir un coup de pied dans le ventre. Je ne sais pas ce que j’espérais. Franchement, je n’ai pas eu le temps de me demander où j’étais. En fait, je supposais qu’il me gardait prisonnière quelque part près de chez moi, peut-être à proximité de Chicago où nous nous étions rencontrés pour la première fois. Je pensais que pour m’échapper il suffirait de trouver un moyen de m’enfuir de chez lui. Et maintenant, je m’aperçois que c’est beaucoup plus compliqué. J’essaie une nouvelle fois d’ouvrir la porte. Elle est fermée à clé. Il y a quelques minutes, j’ai découvert une petite salle de bain attenante à la chambre. J’y suis allée pour faire mes besoins et me laver les dents. Une agréable distraction. Et depuis je fais les cent pas comme un animal en cage, et à chaque minute qui passe ma colère et ma terreur s’intensifient. Finalement, la porte s’ouvre et une femme entre dans la chambre. Je suis tellement stupéfaite que je me contente de la fixer des yeux. Elle est assez jeune, une trentaine d’années sans doute, et elle est jolie. Elle porte un plateau avec de la nourriture et elle me sourit. Elle est rousse et bouclée, et ses yeux sont marron clair. Elle est plus grande que moi d’environ une dizaine de centimètres et bien bâtie. Elle a des vêtements de plage, un short en jean, un débardeur blanc et des tongs. Je me demande si je pourrais me battre contre elle. C’est une femme et je pourrais avoir une petite chance d’avoir le dessus. Avec Julian, ce serait impossible. Elle sourit de plus belle, comme si elle devinait ce que je pense. ― Il ne faut pas me sauter dessus, dit-elle d’une voix moqueuse. Je t’assure que ça ne servirait à rien. Je sais que tu veux t’enfuir, mais tu n’irais nulle part. Nous sommes sur une île déserte au milieu de l’océan Pacifique, une île privée. Je suis atterrée. ― Elle appartient à qui, cette île ? ai-je demandé alors que je connais déjà la réponse. ― Eh bien à Julian évidemment. ― Mais qui est-il ? Et qui êtes-vous tous ? Quand je lui parle, ma voix ne tremble pas trop. Elle ne m’intimide pas autant que Julian. Elle pose le plateau. ― Tu en sauras davantage le moment venu. Je suis ici pour m’occuper de toi et de la maison. Au fait, je m’appelle Beth. Je respire profondément. ― Pourquoi suis-je ici, Beth ? ― Tu es ici parce que Julian veut que tu sois à lui. ― Et ça ne te gêne pas ? J’entends une nuance d’hystérie dans ma voix. Je ne comprends pas comment cette femme peut accepter les ordres de ce fou, pourquoi elle fait comme si ça allait de soi. Elle hausse les épaules. ― Julian fait ce qu’il veut. Je n’ai pas à juger. ― Pourquoi pas ? ― Parce qu’il m’a sauvé la vie, dit-elle sérieusement et elle sort de la pièce. Je mange ce que Beth m’a apporté. C’est assez bon, même si ce n'est pas ce qu’on mange d’habitude au petit déjeuner. Il y a du poisson grillé avec une sauce aux champignons, des pommes de terre sautées et de la salade en garniture. Et pour le dessert, une mangue toute préparée. Sans doute un fruit d’ici. Malgré mon très grand désarroi, je réussis à tout manger. Si j’étais moins lâche, je lui résisterais en refusant de manger ce qu’il me donne, mais j’ai aussi peur d’avoir faim que j’ai peur de souffrir. Pour le moment, il ne m’a pas encore vraiment fait souffrir. C’est vrai qu’il m’a fait mal en me pénétrant, mais il n’a pas fait exprès d’être brutal. J’imagine que ça fait toujours mal la première fois, quelles que soient les circonstances. La première fois. Tout à coup, je me rends compte que c’était ma première fois. Je ne suis donc plus vierge. Bizarrement, je n’ai pas l’impression d’avoir perdu quelque chose. Cette fine membrane qui était en moi n’a jamais eu de signification particulière à mes yeux. Je n’ai jamais eu l’intention d’attendre de me marier pour perdre ma virginité ou ce genre d’idées. Je regrette de l’avoir perdue avec un monstre, mais ne plus être vierge ne me fait pas de peine. Si seulement l’occasion s’était présentée, j’aurais été heureuse que ce soit avec Jake. Jake ! Encore un coup en plein ventre. Je n’arrive pas à croire que je n’ai plus repensé à lui depuis que Julian m’a dit qu’il était sain et sauf. Dans les bras de mon ravisseur, je n’ai jamais eu la moindre pensée pour celui dont je suis folle depuis des mois. Je brûle de honte. N’aurais-je pas dû penser à Jake la nuit dernière ? N’aurais-je pas dû imaginer sa réaction quand Julian me caressait comme il l’a fait ? Si j’avais vraiment envie de Jake, n’est-ce pas à lui que j’aurais dû penser quand Julian m’a forcée à faire l’amour ? Tout à coup, je suis pleine de haine et d’amertume envers celui qui m’a fait ça, envers cet homme qui a brisé mes illusions sur la vie et sur moi-même. Je n’ai jamais eu l’occasion de penser à ce que je ferais si j’étais enlevée ni de me demander comment je réagirais. Ce ne sont pas des choses auxquelles on pense. Mais il me semble avoir toujours imaginé que je serais courageuse et que je me battrais jusqu’au dernier souffle. N’en est-il pas toujours ainsi dans les livres et dans les films ? On se bat, même si ça ne sert à rien, même si l'on doit en souffrir. C’est ce que j’aurais dû faire aussi ? C’est vrai qu’il est plus fort que moi, mais je n’aurais pas dû m’avouer vaincue aussi facilement. Il ne m’a pas attachée ; il ne m’a menacée ni d’un couteau ni d’un fusil. Il s’est contenté de me poursuivre quand j’ai essayé de prendre la fuite. Pour le moment, je ne lui ai résisté qu’en tentant de fuir. J’ai du mal à reconnaître celle qui s’est résignée si facilement. Et pourtant je sais que c’est moi. Une part de moi que je ne connaissais pas. Une part de moi que je n’aurais jamais découverte, si Julian ne m’avait pas enlevée. C’est tellement pénible d’y penser qu’à la place je pense à mon ravisseur. Qui est-ce ? Comment quelqu’un peut-il être assez riche pour posséder une île déserte ? Comment a-t-il sauvé la vie de Beth ? Et surtout qu’a-t-il l’intention de faire de moi ? J’imagine des millions de scénarios possibles, et chacun d’entre eux est pire que le précédent. Je connais l’existence des trafics d’êtres humains. C’est quelque chose qui arrive tout le temps, surtout aux femmes des pays pauvres. Est-ce le sort qui m’attend ? Est-ce que je vais me retrouver dans un bordel, bourrée de drogue et livrée quotidiennement à des douzaines d’hommes ? Est-ce que Julian se contente de vérifier la marchandise avant de la faire parvenir à sa destination finale ? Avant de m’abandonner à la panique, je respire profondément et j’essaie de réfléchir logiquement. L’hypothèse du trafic est possible, mais elle ne semble pas vraisemblable. D’abord, Julian semble très possessif avec moi, bien trop possessif pour quelqu’un qui se contenterait de vérifier la marchandise. Et d’ailleurs, pourquoi m’avoir amené ici, dans cette île déserte s’il a seulement l’intention de me vendre ? Il m’a appelé mon petit chat. Est-ce que c’est seulement un petit nom sans signification particulière ou bien est-ce ainsi qu’il me considère ? Est-ce qu’il a un fantasme concernant les femmes en captivité ? J’y pense un moment et je décide que c’est sans doute le cas. Sinon, pourquoi un bel homme fortuné comme lui agirait-il de la sorte ? Il n’a évidemment aucun mal à faire des rencontres. Finalement, j’aurais pu sortir avec lui si je n’avais pas eu cette impression bizarre à la boîte de nuit. S’il ne m’avait pas touchée comme si je lui appartenais. C’est ça qui l’excite ? La domination ? Est-ce qu’il veut une esclave sexuelle ? Et si oui, pourquoi m’avoir choisie ? Est-ce à cause de ma réaction à son égard à la boîte de nuit ? Est-ce qu’il a deviné ma lâcheté, est-ce qu’il savait que je le laisserais faire tout ce qu’il voudrait ? Finalement, est-ce que c’est de ma faute ? Cette idée me répugne tellement que je n’y pense plus et que je me lève décide à poursuivre l’exploration de ma prison. La porte a été refermée à clé ce qui ne m’étonne pas. Par contre, je peux ouvrir la fenêtre et un air chaud, un air marin emplit la chambre. Mais je ne peux ouvrir la persienne. Il faudrait y parvenir pour sauter par la fenêtre. D’ailleurs, je ne m’acharne pas. À en croire Beth, m’enfuir de cette pièce ne servirait à rien. Je cherche quelque chose qui pourrait me servir d’arme. Il n’y a pas de couteau, mais il y avait une fourchette avec mon repas. Si je la cache, Beth s’en apercevra sans doute. Mais je cours ce risque et je la cache derrière une pile de livres sur une grande bibliothèque qui est le long d’un mur. Ensuite, je pars à l’exploration de la salle de bain dans l’espoir de trouver de la laque en vaporisateur ou quelque chose du même genre. Mais il n’y a que du savon, du shampoing et du démêlant, tous de bonnes marques, des produits de luxe. Visiblement, mon ravisseur ne regarde pas à la dépense. Mais évidemment, le propriétaire d’une île déserte peut se permettre d’acheter du shampoing à cinquante dollars. Il pourrait même se permettre d’acheter du shampoing à mille dollars si ça existait. Je n’en reviens pas de penser à ça. Est-ce que je ne devrais pas plutôt hurler et pleurer ? Mais c’est ce que j’ai fait hier. Il y a une limite à la quantité de larmes qu’on peut verser. J’ai dû épuiser mes réserves, en tout cas pour le moment. Après avoir exploré chaque recoin de ma chambre, je commence à m’ennuyer et je prends l’un des livres de la bibliothèque. C’est un roman de Sidney Sheldon, l’histoire d’une femme trahie qui essaye de se venger de ses ennemis. C’est assez captivant pour me permettre d’oublier ma prison pendant deux ou trois heures. Beth arrive et m’apporte à déjeuner. Elle m’apporte aussi des vêtements bien pliés. Je suis contente. J’ai passé toute la matinée en peignoir et j’aimerais bien m’habiller normalement. Quand elle pose ces vêtements sur la commode, je repense de nouveau à m’attaquer à elle et à essayer de m’enfuir. Peut-être en la blessant avec la fourchette que j’ai dissimulée. ― Nora, donne-moi la fourchette, dit-elle. Je sursaute et je la regarde d’un air surpris. Est-ce qu’elle lit dans mes pensées ? Et puis je m’aperçois qu’elle s’est contentée de regarder le plateau vide et constater que la fourchette avait disparu. Je décide de faire l’idiote. ― Quelle fourchette ? Elle pousse un soupir. ― Tu sais bien de quelle fourchette il s’agit. Celle que tu as cachée derrière les livres. Donne-la-moi. Encore une de mes suppositions qui s’avère être fausse. Je ne sais pas pourquoi j’avais imaginé avoir la moindre intimité. Je lève les yeux vers le plafond, je l’examine attentivement, mais je n’arrive pas à voir où sont les caméras. ― Nora… insiste Beth. Je prends la fourchette et je la lui jette. Secrètement, j’espère sans doute lui crever un œil. Mais Beth l’attrape au vol et hoche la tête comme si elle était déçue par mon comportement. ― J’espérais que tu ne te conduirais pas comme ça, dit-elle. ― Comment ? Comme la victime d’un enlèvement ? J’ai vraiment très très envie de la frapper en ce moment. ― Non, comme une enfant gâtée, précise-t-elle en mettant la fourchette dans sa poche. Tu penses que c’est vraiment affreux d’être ici sur cette belle île déserte ? Tu penses que tu es malheureuse parce que tu es dans le lit de Julian ? Je la fixe des yeux comme si elle était folle. Est-ce qu’elle croit vraiment que je vais accepter cette situation ? Que je vais être douce comme un agneau, sans jamais laisser échapper la moindre plainte ? À son tour, elle me regarde fixement, et pour la première fois je discerne quelques rides sur son visage. ― Tu ne sais pas ce que ça veut vraiment dire de souffrir, ma petite fille, dit-elle d’une voix douce. Et j’espère que tu n’auras jamais l’occasion de le découvrir. Sois gentille avec Julian et tu pourras peut-être continuer à mener la vie de château. Elle sort de la pièce et j’avale ma salive parce que j’ai la gorge sèche. Sans savoir pourquoi ce qu’elle vient de me dire me fait trembler.
Lecture gratuite pour les nouveaux utilisateurs
Scanner pour télécharger l’application
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Écrivain
  • chap_listCatalogue
  • likeAJOUTER