Chapitre 9

2574 Mots
9 Nora Je me réveille lentement, progressivement. D’abord, je sens mes cheveux me chatouiller le visage. Puis la chaleur du soleil sur mon bras dénudé. Pendant un instant, mon esprit flotte dans cet état intermédiaire et doux entre le sommeil et la veille, entre les rêves et la réalité. Je garde les yeux fermés, refusant de me réveiller complètement parce que c’est tellement agréable. Alors je sens l’odeur des crêpes qu’on prépare dans la cuisine. Mes lèvres esquissent un sourire. C’est le week-end, ma mère a encore décidé de nous faire plaisir. Elle fait des crêpes les jours de fête et quelquefois sans raison particulière. Mes cheveux me chatouillent de nouveau et je bouge le bras à regret pour me dégager le visage. Maintenant, je suis presque tout à fait réveillée et l’agréable sensation que j’avais est remplacée par une peur implacable. Non, pourvu que ce ne soit qu’un rêve. Pourvu que ce ne soit qu’un mauvais rêve. J’ouvre les yeux. Ce n’est pas un rêve. Je sens toujours l’odeur des crêpes, mais ça ne peut pas être ma mère qui les prépare. Je suis sur une île au milieu de l’océan Pacifique, retenue en captivité par un homme qui prend plaisir à me faire souffrir. Je m’étire consciencieusement pour vérifier l’état de mon corps. À part une légère irritation du derrière, ça m’a l’air d’aller assez bien. Il ne m’a prise qu’une fois la nuit dernière et je lui en suis reconnaissante. Je me lève et je vais me voir toute nue dans la glace pour regarder mon dos. J’ai des petits bleus sur les fesses, mais rien de grave. C’est l’un des avantages d’avoir une peau dorée, elle résiste aux hématomes. Dès demain, tout sera guéri. Finalement, je semble avoir survécu à une autre nuit dans le lit de mon ravisseur. En me lavant les dents, je repense à hier soir. Le dîner, mon plan ridicule pour le séduire, mon impression d’avoir été trahie par ce qu’il m’a fait… Je n’arrive pas à croire que j’ai pu commencer à lui faire confiance, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Les hommes normaux n’enlèvent pas de jeunes filles dans les parcs. Ils ne leur donnent pas de somnifères pour les conduire sur des îles désertes. Les hommes qui aiment faire l’amour par consentement mutuel ne gardent pas les femmes en captivité. Non, Julian n’est pas normal. C’est un sadique obsédé par la volonté de puissance et il ne faut jamais plus l’oublier. Peu importe qu’il ne m’ait encore pas vraiment fait mal. À n’importe quel moment, il risque de me faire subir quelque chose de terrible. Il faut m’échapper avant et je ne peux pas prendre tout mon temps pour séduire Julian. Il est bien trop dangereux, bien trop imprévisible. Il faut que je trouve un moyen de m’enfuir de cette île. Après m’être lavé les dents et avoir pris une douche, je descends prendre le petit déjeuner. Beth a dû venir dans ma chambre parce qu’il y a des vêtements propres qui sont prêts. Un maillot de bain, des tongs et une autre robe de plage. Elle entre d’ailleurs dans la cuisine en apportant les crêpes dont j’ai senti le parfum tout à l’heure. Quand j’arrive, elle me sourit, elle semble avoir oublié les tensions d’hier. ― Bonjour, dit-elle gaiement. Comment te sens-tu ? Je la regarde d’un air étonné. Elle sait ce que Julian m’a fait subir ? ― Oh, très bien, je réponds d’un ton sarcastique. ― C’est parfait. Elle feint de ne pas avoir remarqué le ton de ma voix. Julian avait peur que tu aies un peu mal ce matin, il m’a laissé une pommade spéciale au cas où. Elle sait ce qui s’est passé. ― Comment peux-tu te regarder dans la glace ? lui ai-je demandé avec une vraie curiosité. Comment une femme peut-elle savoir qu’une autre femme a été battue et ne rien faire ? Au lieu de me répondre, Beth pose une grande crêpe bien moelleuse sur une assiette et me l’apporte. Sur la table, il y a aussi une mangue en tranches et du sirop d’érable. ― Mange, Nora, me dit-elle avec bienveillance. Je la regarde avec amertume et je commence à manger. La crêpe est délicieuse. Il me semble que Beth a dû mettre une banane écrasée dans la pâte qui est sucrée. Il n’y a même pas besoin d’ajouter du sirop d’érable même si je mange aussi quelques tranches de mangue pour plus de goût. Beth sourit encore une fois et retourne s’affairer à la cuisine. Après le petit déjeuner, je sors de la maison et je pars seule à l’exploration de l’île. Beth ne m’en empêche pas. Je suis toujours aussi étonnée qu’on me laisse partir comme ça à l’aventure. Ils doivent être vraiment certains qu’il est impossible de s’enfuir. Et pourtant j’ai l’intention de trouver comment faire. Je marche inlassablement pendant des heures sous un soleil brûlant jusqu’à ce que j’aie une ampoule à cause de mes tongs. Je reste près de la plage dans l’espoir de trouver un bateau amarré quelque part, peut-être dans une grotte ou dans un lagon. Mais je n’en trouve pas. Comment suis-je donc arrivée ici ? En avion ou en hélicoptère ? Hier, Julian m’a dit qu’il avait découvert cette île en y arrivant par avion. C’est peut-être comme ça qu’il m’y a amenée, à bord de son propre avion ? Ce qui ne serait pas bon signe. Même si je retrouvais l’avion quelque part, comment pourrais-je le piloter ? J’imagine que ça doit être pour le moins compliqué. Pourtant, avec suffisamment de motivation, je serais peut-être capable d’y parvenir. Je ne suis pas idiote et piloter un avion, ce n’est pas sorcier. Mais je ne trouve pas non plus d’avions. Il y a bien un terrain plat, un pré, de l’autre côté de l’île, avec un bâtiment au bout, mais ce bâtiment est vide. Complètement vide. Je suis fatiguée, j’ai soif, l’ampoule que j’ai au pied me gêne à chaque pas et je rentre à la maison. ― Julian est parti il y a deux ou trois heures, me dit Beth dès que j’arrive. Stupéfaite, je la fixe des yeux. ― Comment ça, il est parti ? ― Il devait s’occuper d’une affaire urgente. Si tout se passe bien il devrait revenir dans une semaine. Je hoche la tête en essayant de ne rien laisser transparaître de mes émotions et je monte dans ma chambre. Il est parti ! Mon bourreau est parti ! Maintenant, il n’y a plus que Beth et moi ici. Personne d’autre. La tête me tourne en pensant à tout ce qui va être possible. Je peux voler un couteau de cuisine et en menacer Beth jusqu’à ce qu’elle m’indique un moyen de m’enfuir. Il y a probablement l’internet ici et je vais pouvoir entrer en contact avec le monde extérieur. Je suis tellement excitée que j’ai envie de crier. Ils pensent vraiment que je suis inoffensive ? Est-ce que mon comportement docile leur a fait croire que j’allais continuer à être une gentille captive bien obéissante ? Eh bien ! ils se sont vraiment trompés. C’est de Julian dont j’ai peur, pas de Beth. Quand ils étaient ici tous les deux, il aurait été inutile et dangereux de m’attaquer à Beth. Mais maintenant, elle est à ma merci. Une heure plus tard, je me glisse discrètement dans la cuisine. Comme je m’y attendais, Beth n’y est pas. C’est trop tôt pour préparer le dîner et trop tard pour le déjeuner. Je suis pieds nus pour faire le moins de bruit possible. Je regarde prudemment autour de moi, j’ouvre un des tiroirs et j’en sors un grand couteau de boucher. En l’essayant sur le doigt, je vérifie qu’il coupe bien. Une arme. Parfait ! La robe de plage que je porte possède une petite ceinture à la taille, j’y fais un nœud pour m’attacher le couteau dans le dos. C’est très rudimentaire, mais ça maintient le couteau en place. J’espère ne pas me couper le derrière avec la lame nue, mais même si ça arrivait, le risque en vaut la peine. Ensuite, je prends un grand vase en céramique. Il est si lourd que j’ai du mal à le soulever à bout de bras. Je ne pense pas qu’un crâne d’homme ou de femme puisse y résister. Maintenant que j’ai ces deux choses, je pars à la recherche de Beth. Je la trouve sur la véranda, installée confortablement sur une chaise longue avec un livre, elle profite du grand air et de la magnifique vue sur l’océan. Quand je passe la tête par la porte, elle ne lève pas les yeux et je rentre vite à l’intérieur pour essayer de décider de la suite des évènements. Mon plan est simple. Il faut la prendre de surprise et l’assommer avec le vase. Peut-être la ligoter. Ensuite, avec le couteau, je pourrais la menacer pour la forcer à me laisser entrer en contact avec le monde extérieur. De cette manière, je pourrais être sauvée et attaquer Julian en justice avant son retour. Il suffit de trouver l’endroit idéal pour me mettre en embuscade. En regardant autour de moi, je remarque un petit recoin vers l’entrée de la cuisine. En venant de la véranda, comme le fera vraisemblablement Beth, on ne voit pas ce qu’il y a dans ce recoin. Ce n’est pas l’endroit rêvé pour se cacher, mais c’est mieux que de s’attaquer à elle en terrain découvert. J’y vais et je me plaque contre le mur après avoir posé le vase sur le sol à côté de moi pour pouvoir l’attraper facilement. En respirant profondément, j’essaie d’empêcher mes mains de trembler. Je ne suis pas violente, et pourtant me voilà prête à le lui fracasser sur la tête. Je ne veux pas y penser, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer son crâne béant avec du sang partout comme dans un film d’horreur. Cette image me donne la nausée. Je me dis que ça ne va pas se passer comme ça et qu’elle aura sans doute un gros bleu ou une légère commotion cérébrale. L’attente me semble interminable. Elle n’en finit pas, chaque seconde semble durer une heure. Mon cœur bat à tout rompre et je suis en sueur même s’il fait beaucoup moins chaud dans la maison qu’au-dehors. Finalement, après ce qui m’a semblé une éternité, j’entends les pas de Beth. J’attrape le vase, je le soulève soigneusement à bout de bras et je retiens mon souffle quand elle arrive par la porte d’entrée en venant de la terrasse. Au moment où elle me passe devant je serre le vase de toutes mes forces et je l’abaisse vers sa tête. Mais je manque mon but. Au dernier moment, Beth a dû m’entendre bouger parce qu’à la place le vase l’atteint à l’épaule. Elle pousse un cri de douleur et se frotte l’épaule. ― Quelle s****e ! J’en ai le souffle coupé, mais j’essaie de lever de nouveau le vase sur elle. C’est trop tard. Elle s’en saisit et il tombe par terre, se brisant en dizaine de morceaux à nos pieds. Je bondis en arrière, ma main droite cherche désespérément le couteau. Merde, merde, merde ! Je parviens à en saisir le manche et je le brandis, mais avant de pouvoir faire quoi que ce soit, elle me prend le bras, rapide comme l’éclair. Son emprise est comme un étau autour de mon poignet droit. Elle est toute rouge et ses yeux brillent, elle me tord le bras en arrière et me fait mal. ― Jette ce couteau, Nora, m’ordonne-t-elle brutalement, elle est vraiment furieuse. Je panique et j’essaie de la frapper de l’autre main, mais elle réussit aussi à l’attraper. Visiblement, elle sait se battre, et visiblement, elle est plus forte que moi. Mon bras droit me fait terriblement mal, mais j’essaie de lui donner un coup de pied. Il faut que je reprenne le dessus. C’est l’occasion ou jamais de m’échapper. Mon pied atteint ses jambes, mais je n’ai pas de chaussures et je me fais plus de mal qu’à elle. ― Jette ce couteau, Nora, ou je te casse le bras, siffle-t-elle, et je sais qu’elle a vraiment l’intention de le faire. J’ai l’impression que mon épaule va se disloquer et je suis aveuglée par une vague de douleur qui court le long de mon bras. Je tiens bon encore une seconde de plus et mes doigts laissent échapper le couteau. Il tombe bruyamment sur le sol. Beth me lâche immédiatement pour s’en emparer. Je recule, j’ai du mal à respirer, des larmes de souffrance et de frustration me coulent des yeux. Je ne sais pas ce qu’elle a l’intention de me faire et je n’ai pas envie de le savoir. Alors je m’enfuis. Je cours vite, je suis vraiment en forme. J’entends Beth courir derrière moi et m’appeler, mais ça m’étonnerait qu’elle ait fait de l’athlétisme. Je sors de la maison en courant et je descends vers la plage. Des cailloux, des brindilles et du gravier me rentrent dans le pied, mais je m’en rends à peine compte. Je ne sais pas où je vais, mais il ne faut pas que Beth réussisse à me rattraper. Je ne veux pas être enfermée dans la chambre ou encore pire. ― Nora ! Merde, elle aussi elle court vite ! J’accélère encore, et tant pis si j’ai mal aux pieds. ― Nora, ne fais pas n’importe quoi ! Tu ne pourras pas t’enfuir ! Je sais que c’est vrai, mais je ne peux plus accepter d’être une victime et rester sans rien faire. Je ne peux plus rester docilement dans cette maison, manger ce que Beth me prépare et attendre le retour de Julian. Je ne peux plus lui permettre de me faire souffrir et accepter que mon corps le désire. Les muscles de mes jambes sont douloureux et j’ai du mal à respirer, mais je surmonte ces sensations pénibles en faisant comme si je participais à une compétition et que la ligne d’arrivée ne soit plus qu’à une centaine de mètres. J’ai l’impression de courir depuis des heures. Quand je jette un coup d’œil en arrière je m’aperçois que Beth est de plus en plus loin derrière. Alors je ralentis un peu. Impossible de continuer à ce rythme. Sans trop réfléchir, je me dirige vers la côte rocheuse de l’île, là où je pourrai grimper dans les rochers et disparaître dans l’épaisse forêt qui les surplombe. Il me faut encore dix minutes pour y parvenir. À ce moment-là, je ne vois plus Beth derrière moi. Je ralentis et je grimpe dans les rochers. Maintenant que j’ai échappé au danger le plus pressant, je sens les coupures et les bleus sur mes pieds nus. L’ascension est longue et pénible. Mes jambes tremblent, je n’ai pas l’habitude de faire de tels efforts et maintenant que le flot d’adrénaline ne coule plus la fatigue arrive. Malgré tout, j’arrive en haut des rochers et je pénètre dans la forêt. La végétation tropicale, abondante et luxuriante me cache des regards. Je m’enfonce dans la forêt en cherchant un endroit propice pour m’effondrer d’épuisement. Ce ne sera pas facile de me trouver ici. D’après mes souvenirs, pendant mon exploration, cette forêt recouvre une grande partie de ce côté de l’île. Pour le moment, je devrais être en sécurité ici. Alors que la nuit tombe, je me réfugie sous un grand arbre sous lequel les taillis sont particulièrement impénétrables. J’en dégage un petit coin pour m’y mettre en m’assurant que je ne suis pas à proximité d’une fourmilière ou d’autres insectes qui pourraient me piquer. Puis je me couche en ne prêtant pas attention à mes pieds en sang qui me font vraiment mal. Ce n’est pas la première fois de ma vie que je suis reconnaissante envers mon père qui m’emmenait faire du camping quand j’étais petite. Grâce à tout ce qu’il m’a appris, je suis à l’aise dans la nature à l’état sauvage. Les insectes, les serpents, les lézards, rien ne me fait peur. Je sais qu’il faut être prudent avec certaines espèces, mais en général je n’en ai pas peur. J’ai bien plus peur des monstres qui m’ont emmené dans cette île. Maintenant que je suis loin de Beth, je peux réfléchir avec un peu plus de lucidité. Ce n’est pas en faisant un peu d’exercice à la salle de sport et du yoga qu’elle a obtenu un corps mince et musclé comme le sien. Elle est forte, probablement aussi forte que certains hommes, et beaucoup plus forte que moi. Et elle semble avoir appris certaines techniques de combat. Peut-être les arts martiaux ? Il est clair que j’ai commis une erreur en essayant de la faire prisonnière. J’aurais dû lui planter le couteau dans le dos quand elle ne me regardait pas. Mais ce n’est pas trop tard. Je peux retourner en catimini à la maison et la prendre par surprise. J’ai besoin d’avoir accès à l’internet et j’en ai besoin tout de suite, avant le retour de Julian. Je ne sais pas ce qu’il me fera pour m’être attaquée à Beth et je n’ai certainement pas envie de le découvrir.
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