Chapitre 2

2002 Mots
2 NIKOLAI Ma sœur m’arrête dès que je sors de la chambre de Chloé. Elle a dû rester dans le couloir pendant tout ce temps. — Comment va-t-elle ? — Elle survivra, mais pas grâce à toi. Mon intonation est sèche, mais je n’en ai rien à faire. C’est la faute d’Alina si nous sommes dans ce pétrin. C’est elle qui a dit à Chloé que j’avais tué notre père. Elle lui a même donné les clés de la voiture, lui permettant de s’enfuir. À ces mots, Alina tressaille, mais elle ne flanche pas. Son visage est toujours blême et bouffi, pourtant ses yeux verts étincellent et elle n’empeste plus la drogue. — Non, je veux dire, quel est son état ? Qu’a dit le médecin ? Je soupire en me passant une main dans les cheveux. — Elle a eu de la chance. La balle a traversé son bras, effleurant à peine l’os. Elle a perdu une bonne quantité de sang, mais pas suffisamment pour exiger une transfusion. Elle a aussi une entorse à la cheville. À part ça, juste des hématomes et des éraflures un peu partout. — Kolya... Je n’ai jamais vu ma sœur aussi piteuse. — Je suis vraiment désolée. Je ne savais pas pour le... — Ça suffit. Je ne suis pas d’humeur à écouter ses excuses et ses justifications. Elle ne savait peut-être pas que des tueurs pourchassaient Chloé, mais cela n’excuse pas ce qu’elle a fait. Pas plus que son état, sous l’emprise de la drogue. Avant de dire quelque chose que je risquerais de regretter, je demande : — Où est Slava ? — Lyudmila l’a emmené voir les gardes. Je lui ai demandé de le tenir à l’écart pour le moment, étant donné... enfin, tu sais, conclut-elle en désignant la porte de Chloé. — C’est bien. Je sais que je ne devrais pas trop choyer mon fils, mais je suis étrangement réticent à l’exposer aux réalités brutales de notre existence, comme mon père l’a fait avec moi. La chasse et la pêche sont une chose – je suis heureux que Pavel enseigne ses techniques à Slava, ainsi que d’autres compétences nécessaires à la survie –, mais j’aimerais mieux lui éviter de voir sa préceptrice en sang. Il finira par apprendre ce qu’être un Molotov signifie, mais pas tout de suite. Alina semble soulagée par ma réaction. — Alors, que s’est-il passé ? demande-t-elle en me suivant dans ma chambre. Qui a envoyé les assassins sur elle ? — C’est une longue histoire. Une histoire que je suis encore en train de digérer. — Disons simplement qu’elle est toujours en danger. Alina m’attrape la manche, me forçant à m’arrêter. — Alors, tu n’as pas... ? — Si. J’ai collé une balle dans le cerveau de l’un des assassins et blessé l’autre assez gravement pour que la mort s’ensuive – mais pas avant d’avoir obtenu un nom de sa part. Un nom dont j’essaie toujours de me faire à l’idée. Ma sœur me regarde en fronçant les sourcils. — Mais tu penses que d’autres vont arriver. — J’en suis sûr. — Pourquoi ? Qui est cette fille, Kolya ? — C’est ce que j’ai l’intention de découvrir. Me dégageant de sa poigne, j’entre dans ma chambre et referme la porte. * * * Même si Chloé est toujours sous anesthésie, j’ai hâte de la retrouver. Je prends une douche rapide et me change, puis j’envoie un message à Konstantin pour lui annoncer ce que j’ai appris et demander à son équipe de hackers de se pencher sur l’homme que l’assassin a désigné comme son employeur. Tom Bransford. Le candidat à la présidence, qui pourrait bien être le père de Chloé. Elle ne connaît pas encore cette dernière information, et je ne sais pas si je dois lui faire part de mes soupçons avant d’avoir des preuves plus tangibles. Pour l’instant, ce ne sont que de fortes présomptions, et si je me trompe, Chloé aura encore plus de raisons de me prendre pour un monstre pervers. Ce que je suis, bien évidemment. Seulement, je ne veux pas qu’elle pense cela de moi. Mon cœur se serre quand j’imagine le sourire doux et radieux qu’elle m’a adressé avant que les drogues de l’intraveineuse ne fassent effet. C’est cela que je veux, pas ce regard vide et terrifié qu’elle avait dans les bois, quand je me suis approché d’elle, mon arme au poing, après avoir tué l’un de ses agresseurs et blessé l’autre. Je ne veux plus jamais voir ce regard-là. Alina est partie quand j’émerge dans le couloir et presse le pas vers la chambre de Chloé. Je sais qu’elle est sous bonne garde, entre le médecin et les infirmières qui la surveillent, mais je ne peux étouffer l’angoisse qui me ronge chaque fois qu’elle disparaît de ma vue. Elle est passée à un cheveu de la mort. Si j’étais arrivé quelques minutes plus tard, si l’équipe de Konstantin n’avait pas réussi à pirater le satellite de la NSA pour localiser sa position exacte, si la balle avait transpercé son corps quelques centimètres sur la gauche... Les éventualités sont infinies, avec une issue autrement dramatique. J’aurais pu la perdre de mille et une façons. — Elle devrait se réveiller dans quelques minutes, m’informe le médecin lorsque j’entre dans sa chambre. C’est l’un des meilleurs chirurgiens traumatologues de l’État. Pavel l’a fait venir avec son équipe en hélicoptère depuis Boise, pour un prix exorbitant qui me permet d’acheter à la fois leurs services et leur discrétion. — Bien. Merci. Ignorant les regards des deux infirmières, je m’approche de Chloé. Ma cage thoracique se comprime douloureusement lorsque je remarque la teinte grisâtre de sa peau bronzée. Elles ont lavé le sang et la terre de son visage et de ses bras et l’ont habillée d’une blouse d’hôpital, mais ses cheveux sont encore emmêlés, avec quelques brindilles et feuilles parmi les mèches d’un brun doré. Je les retire délicatement et les dépose sur la petite table, à côté de son lit à roulettes. Je déteste la voir dans cet état, si frêle, si fragile et si blessée. Je donnerais n’importe quoi pour avoir reçu cette balle à sa place, ou mieux encore, pour m’être réveillé quelques heures plus tôt et l’avoir empêchée de partir. Je tends la main vers elle et caresse tendrement sa mâchoire fine avec les jointures de mes doigts. Sa peau est douce et chaude. Incapable de m’en empêcher, je passe mon pouce sur ses lèvres à peine entrouvertes. Des lèvres rebondies de poupée, la supérieure légèrement plus charnue que l’autre. Des lèvres pécheresses qui pourraient séduire même un saint – pas moi, je ne le suis pas et je ne l’ai jamais été. Retirant ma main avant que mon corps ne puisse réagir de manière inappropriée, je rejoins une chaise dans le coin de la chambre et m’installe, attendant que le médecin disparaisse dans la salle de bain. Les infirmières remballent déjà leurs affaires. Dès que Chloé aura repris connaissance et que son état sera stable, ils partiront. Comme l’a promis le médecin, il s’écoule quelques minutes seulement avant que Chloé ne s’agite, un gémissement franchissant ses lèvres tandis que ses paupières frémissent. Aussitôt, je suis debout et je traverse la pièce. — Salut, murmure-t-elle d’une voix ensommeillée tout en clignant des yeux. Est-ce qu’ils sont... — Oui, Zaychik. Je lui serre doucement la main gauche, prenant soin de ne pas déloger la perfusion de son bras. Ses doigts délicats sont froids entre les miens, malgré le drap qui la recouvre jusqu’à la poitrine. — Comment te sens-tu ? Tu veux quelque chose à boire ? Elle cligne à nouveau des paupières, toujours groggy. J’appuie sur un bouton pour soulever le haut de son lit, la plaçant en position semi-assise, puis je porte un gobelet d’eau avec une paille à ses lèvres. Elle la s**e avidement, m’arrachant un sourire. Quand le docteur revient, je me retire docilement, le laissant effectuer son travail avec son équipe. Les infirmières mettent le bras droit de Chloé en écharpe pendant qu’il lui pose quelques questions et note ses signes vitaux. Enfin, elles enlèvent la perfusion et le matériel de monitoring. Elle est bien réveillée et hors de danger. — Prenez ça contre la douleur si nécessaire, lui conseille le médecin en posant un flacon de pilules sur la table. Et faites attention à ne pas mouiller le pansement. Il faudra le changer toutes les vingt-quatre heures. Il jette un coup d’œil vers moi et je hoche la tête. J’ai une bonne expérience des blessures par balle et je serai ravi de jouer le rôle de l’infirmier de Chloé. Ce qui ne me plaît pas, en revanche, ce sont les analgésiques, même si je sais qu’elle en aura besoin. Sa blessure ne met peut-être pas sa vie en danger, mais elle lui fera un mal de chien. — Attendez, je m’en occupe, dis-je alors que les infirmières tentent de soulever Chloé pour la transférer dans son propre lit. Je les écarte et la soulève avec précaution pour la porter moi-même – ce n’est pas difficile, elle est à peine plus lourde que Slava. Même si elle a mangé comme un ogre pendant son séjour d’une semaine ici, ma zaychik est encore beaucoup trop maigre après son mois de cavale. Elle grimace quand je l’allonge, et je le ressens comme un coup de poignard dans l’estomac. Je n’ai jamais été aussi viscéralement en phase avec une autre personne, au point de ressentir sa douleur comme la mienne. S’il y avait un doute dans mon esprit quant à ce qu’elle représente à mes yeux, il a disparu dès l’instant où j’ai constaté que sa Toyota n’était plus dans le garage. Je n’ai jamais connu une rage et une terreur telles que lorsque j’ai appris que les assassins se trouvaient dans la région... quand j’ai cru que je ne la retrouverais peut-être pas à temps. À nouveau, mes tripes se nouent et je chasse cette pensée avant d’être tenté d’étrangler Alina. Le plus important, maintenant, c’est que Chloé est en sécurité ici avec moi. J’ai déjà dit à Pavel de renforcer notre sécurité, au cas où les assassins auraient compris qui a engagé Chloé et transmis cette information à leur employeur avant que je ne les trouve. J’en doute, cependant. Celui que j’ai torturé semblait n’avoir aucune idée de qui j’étais. Mais je ne prendrai pas de risques. Et puis, il y a toujours la menace des Leonov. Alexei sera encore plus énervé maintenant que nous avons volé à l’Atomprom de sa famille le contrat juteux pour le réacteur nucléaire tadjik. Chassant cette pensée, je me concentre sur Chloé. Après l’avoir installée contre ses oreillers, je ramène sur elle une couverture pendant que le médecin et son équipe emportent la civière et tout le matériel hors de la pièce. Une minute plus tard, nous sommes enfin seuls. Je m’assieds au bord de son lit et prends sa petite main. — Tout va bien, zaychik ? demandé-je en frottant sa paume froide. Je peux t’apporter quelque chose ? À boire, à manger ? Tu dois avoir faim. Elle déglutit et hoche la tête. — J’aimerais beaucoup manger. Elle paraît sur la défensive, maintenant, ses grands yeux bruns clairement méfiants. Sa peur provoque en moi un effet à double tranchant : elle me fait mal au cœur tout en éveillant cette partie primitive et tordue au fond de mon être, cette envie de la traquer et de la marquer, de la faire mienne de la manière la plus brutale qui soit. Réprimant ce sombre instinct, je porte sa main à mes lèvres et embrasse ses jointures. — Je t’apporte ça tout de suite. Tu veux quelque chose pour te divertir en attendant ? Un livre ou... — Je vais juste regarder la télé. Je souris et lui donne la télécommande. — D’accord. Je reviens tout de suite. Je me penche vers elle, dépose un b****r rapide sur son front et m’empresse de quitter la chambre.
Lecture gratuite pour les nouveaux utilisateurs
Scanner pour télécharger l’application
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Écrivain
  • chap_listCatalogue
  • likeAJOUTER