Notre histoires d’amour ...
Je cherche à croiser Paul pour lui en parler . Il me donne rendez-vous dans un restaurant de la place. Quelque temps après je le retrouve . Deh que je m’approche de la table où il est je commence à parler
— C’est un dictateur ! Un maniaque !
— Je t’avais prévenue.
— Je sais, mais...
Je leve les yeux sur Paul . Les deux frères se ressemblaient beaucoup, et pourtant par leur
expression, leur regard, leurs visages étaient très différents. Comme deux sculptures d’un même modèle qui n’auraient pas été réalisées avec le même matériau. En outre, Paul n’avait pas les yeux gris de son frère. Les siens étaient noirs.
— Tu ne m’avais pas dit que...
— Que quoi ?
Je me mord la lèvre et baisse les yeux sur mon assiette à laquelle je n’avais pas touché, moi qui d’habitude avait bon appétit. Bien que je ne sois liée à Paul que par une amitié solide, lui dire que son frère m’avait troublée et que je l’avais trouvé sexy ne semblait pas très adroit. En vérité, si Joël avait eu sur moi pareil effet, c’était sans doute parce que j’avais été tendue et intimidée en sa présence.
— Qu’il était aussi autoritaire, dominateur.
— En général, c’est le propre des dictateurs
Je secoue la tête. Joel m’avait fait sortir de mes gonds, mais pire, il m’avait perturbée au plus
profond de moi même. Je m’étais sentie rabaissée par son mépris et, surtout, il m’avait obligée à me replonger dans un passé que j’espérais révolu. Depuis notre entrevue, j’étais nerveuse, déstabilisée.
— Sais-tu ce qu’il m’a proposé ?
— Quoi donc ?
— D’aller travailler dans un autre de ses hôtels.
— Lequel ?
— Il ne l’a pas dit, mais peu lui importe pourvu que ce soit à l’étranger, j’imagine. Il tient à nous
séparer parce que, croit-il, j’ai jeté mon dévolu sur toi à cause de ta fortune.
— Il ne peut pas voir une femme sans penser qu’elle court après son argent, c’est son obsession. Il est vrai que nous avons eu une mauvaise expérience, dans la famille. Que lui as-tu répondu ?
Je me cale contre le dossier de mon siège, promene mon regard autour de moi . Ce petit restaurant me plaisait. Il était proche du Lutetia et on y mangeait pour un prix raisonnable, à condition de ne prendre qu’un plat. J’insistais pour le faire, de même que je tenais toujours à partager l’addition, ce qui amusait beaucoup Paul.
Car nous y venions souvent tous les deux, sauf quand Paul était amoureux, et de ce fait moins disponible. Mais dès qu’il découvrait que sa femme du moment n’était pas celle de sa vie, ce qui était le cas ces temps-ci, nous dînons ou déjeunons ensemble presque tous les jours. Notre relation était simple, confortable, et jusqu’à mon entrevue avec Joel , cet après-midi, me convenait tout à fait.
— Je lui ai répondu que je ne quitterai Abidjan par contrainte et force .je lui ai dit d’aller au diable !
— Tu lui as dit ça ?
Je me mets à rire
— Pas dans ces termes, mais cela revenait au même.
Paul rit à son tour.
— J’aurais voulu voir sa tête !
Je bois une rapide gorgée de vin ; la simple évocation du visage de Joël me Troublais. Ces yeux gris insondables, cette belle bouche, volontaire et si sensuelle... je les oublierais jamais ?
— Eh bien moi, j’espère ne jamais la revoir. Ton frère peut garder sa proposition de travail, et qu’il n’essaie plus jamais de me manipuler ! Que s’imagine-t-il ? Qu’il peut déplacer les gens comme les pièces d’un échiquier ?
— Tu devrais au moins chercher à savoir où il veut t’envoyer. C’est peut-être une belle occasion, Amber . Imagine, s’il te propose de travailler à New York ?ou à assinie , à grand Bereby ?Il a des hôtels sensationnel, là-bas, ? Ce serait tentant, non?
— Je sais que ton frère possède des hôtels dans tous les lieux prestigieux du monde, mais ça ne m’intéresse pas !
— Si je te demandais d’accepter sa proposition ?
— Toi ? Tu voudrais que je quitte Abidjan ? Je ne comprends pas.
— Réfléchis, Joël se croit responsable de moi et me harcèle sans cesse.
— Pourquoi, grands dieux ?
— L’idée qu’une fille intéressée jette son dévolu sur moi et croque la fortune des Diby le
ronge. C’est déjà arrivé une fois et, depuis, il est devenu un affreux misogyne. Crois-le ou pas, il déteste les femmes. Il est vrai que son histoire n’est pas simple.
— La vie de ton frère ne m’intéresse en rien,
De toute façon elle n’a pas pu être très différente de la tienne
— Le divorce de nos parents l’a sans doute plus affecté que moi, parce qu’il était plus âgé.
Il n’imagine pas qu’on puisse m’apprécier pour autre chose que pour mon argent. Mes prouesses au lit, mon charme personnel ne comptent pas à ses yeux, et il n’a qu’un objectif : que j’épouse une belle fille , riche et de bonne famille.
— Et toi, si tu as le droit d’avoir un avis, qu’en penses-tu ?
— En vérité, pour l’instant, je n’exclus aucune possibilité. Quand j’aurai envie de me ranger, on verra, mais pour l’instant je veux être libre de
vivre ma vie à ma guise. Et c’est là que tu interviens, Amber . Si tu es d’accord...
— Je te comprends de moins en moins.
Paul se penche en travers de la table et pose sa main sur la mienne .
— Réfléchis, si Joël pense que c’est sérieux entre nous et qu’il a réussi à nous éloigner l’un
de l’autre, pour une fois il me surveillera un peu moins, certain que j’ai le cœur brisé. Or quelle meilleure façon d’oublier un amour malheureux que d’en trouver un autre ? Pendant un temps, donc, il me laissera sortir et voir qui je veux sans que je me sente espionné en permanence. Je serai enfin libre.
— Et moi, qu’est ce que je gagne dans l’affaire ?
Paul hausse les épaules, affichant son sourire le plus charmant
— L’occasion de prendre ton envol, peut-être ? Ou une nouvelle expérience professionnelle qui
enrichira ton cv . Pourquoi pas ? Qu’est-ce qui t’empêche de partir ?
Bonne question. Pourquoi refuser a priori de quitter le lutetia ? Parce que j’ étais furieuse
qu’un dictateur essaie de ne manipuler de manière aussi éhontée ? Ou y avait-il une raison plus essentielle... une sorte de peur fondamentale du changement ? Après la vie chaotique que j’ avais connue avec Federick, mon désir de stabilité était bien légitime, mais la question de Paul réveillait en moi quelque chose de dérangeant et qu’il me fallait comprendre.
Le lutetia avait sans doute représenté le refuge dont j’avais tant besoin à l’époque, de même que mon travail m’avais aidée à me remettre de mon mariage désastreux en me permettant de développer mes capacités professionnelles...
J’avais pu ainsi m’organiser la petite existence tranquille dont, d’une certaine manière, j’avais toujours eu envie. Mais cette vie n’était-elle pas devenue trop facile, trop prévisible, maintenant ?
Mon besoin de paix avait été une réaction à l’insécurité de ma vie passé, je le savais .Pourtant aujourd’hui, à l’évidence, je m’étais enfoncé dans une routine dont il était peut-être temps de sortir. Dans ce cas, pourquoi ne pas saisir cette formidable occasion, même si elle m’était offerte pour des raisons que je réprouvais et par quelqu’un d’insupportable ?
Au pire, quel risque je courais ? Que Joel triomphe avec son odieuse arrogance parce que, de son point de vue, il aurait eu le dernier mot ? Etait-ce si grave ? Il ne représentait rien pour moi après tout.
Et au mieux, que se passerait-il ? J’étendrais mon expérience, et, partant, mon CV prendrait une nouvelle dimension. J’ai du talent, je le sais, et ce coup de pouce me permettrait de me donner une pleine mesure. Pourquoi pas ?
— Je téléphonerai peut-être à Joel pour lui dire qu’après réflexion j’accepte sa proposition.
— Tu n’auras même pas à l’appeler, tu vas pouvoir le lui dire de vive voix.
Je me tend comme je porte un regard effaré vers la porte du restaurant : Joël Diby venait d’y entrer aussi sûr de lui que s’il en était propriétaire. D’ailleurs, il l’était peut-être, qui sait...
Mon cœur s’emballe en même temps que je remarque les puissantes épaules que mettait en valeur le costume sombre coupé à la perfection. C’est alors que je vois qu’il n’était pas seul. Une femme l’accompagnait. Comment s’en étonner ? Un homme comme lui n’avait que l’embarras du choix.
Celle qui venait d’entrer avait une allure de mannequin, avec des cheveux très courts qui encadraient un visage aux pommettes hautes et aux traits ravissants. Elle était spectaculaire et sa coupe de cheveux pourtant difficile à porter lui allait à ravir. Avec sa minijupe en cuir blanc, elle semblait tout droit sortie d’une revue de mode.
Incapable de détourner les yeux, Je sens le souffle me manquer quand Joel pose une main possessive au creux des reins de sa compagne, et je les suivais du regard comme le maître d’hôtel les conduisait à une table un peu isolée.
La jeune femme s’asseyait quand Joel promenant son regard autour de lui, nous découvre. Mes mains se mettent à trembler, et les battements de mon cœur redoublèrent. Qu’est-ce qui, chez cet homme, provoquait en moi pareille réaction physique ?
— Tu savais qu’il viendrait ici ce soir ?
— Bien sûr que non !
— Si on demandait l’addition et qu’on filait ?
— Trop tard, il vient vers nous...
J’éprouve aussitôt un indicible malaise . C’était très gênant ! Grâce au ciel, j’étais assise, car il me semblait que mes jambes ne la supporteraient pas.
Joël avait rejoint notre table, et une force obscure m’oblige à lever les yeux sur lui. Le beau visage aux traits durs me cause un nouveau choc
— Eh bien, je ne m’attendais à retrouver Mlle M’bra , En compagnie de mon frère, de surcroît. Deux vrais tourtereaux. Quel charmant tableau !
Je ne saurais jamais pourquoi je porte alors sur Paul un regard plein de tendre complicité tout en posant une main possessive sur la sienne. Etait-ce le cynisme dans le ton de Joel ou j’essayais de me protéger du trouble qu’il provoquait en moi ? Toujours est-il que, jouant à merveille la comédie, je m’adresse à Paul d’une voix attendrie
— Nous n’y pouvons rien, n’est-ce pas, Paul chéri ? Impossible de cacher notre bonheur.
Je note l’éclair de surprise dans les yeux de Paul , mais tout de suite il comprit, et, saisissant la balle au bond, secoua à peine la tête pour roucouler à son tour
— C’est vrai, nous sommes si heureux ensemble.
— Va donc saluer lea . Tu te souviens d’elle, non ?
— Bien sûr, tu es sorti avec elle pendant si longtemps ! Il est vrai que sa nouvelle coupe de cheveux la change beaucoup, mais elle lui va à ravir.
Se levant pour obéir à l’injonction de son frère, Paul ajoute encore
— Dire que nous pensions tous que tu l’épouserais !
Sans répondre, Joel attend qu’il ait rejoint son amie avant de reporter son attention sur Moi,
— Avez-vous réfléchi à ma proposition ?
— Oui.
— Et alors ?
Comme l’instant de vérité approchait,je sens mon esprit fonctionner à toute vitesse , Paul voulait que j’ accepte le job , mais l’individu devant moi me semblait une raison suffisante pour le refuser. Quel plaisir de lui dire non ! Pourtant, l’envie de lui donner une bonne leçon me donnais envie aussi. Et quelle meilleure leçon que de suivre l’avis de Paul?
D’abord, tout le monde y gagnerait : Paul, la liberté qu’il désirait, Moi, une expérience valorisante. Et, au bout du compte, cet odieux personnage devant moi saurait que je me moque de lui, et qu’il avait été, à son tour, manipulé.
— Eh bien, j’accepte.
— Comme ça ?
— Non, à une condition.
— Il n’en est pas question ! C’est moi qui pose les conditions, mademoiselle, pas vous.
— Je veux être de retour à Abidjan pour Noël,
— Cela ne devrait pas poser de problème, profitez bien de votre dernier dîner !
— J’espère avoir un peu de temps devant moi avant de partir.
— Vous partirez ce week-end pour prendre votre nouveau poste dès lundi.
— C’est une plaisanterie ?
Les yeux gris, sombres comme un ciel ténébreux, se plantèrent dans les miens.
— Je n’ai jamais été aussi sérieux, Amber .
Pour la seconde fois, la façon dont il prononce mon nom me trouble : il donnait à ces deux syllabes un son sensuelle, presque voluptueuse...
— Pourquoi tant de précipitation ?
— Perdre du temps ne sert à rien. Ces adieux qui n’en finissent pas sont pénibles. Mieux vaut une rupture nette et rapide. Pour Paul autant que pour vous.
— Et vous comptez m’envoyer où ? En chine peut être
— Nous n’avons pas encore ouvert d’hôtel dans ce pays, mais cela se
fera un jour. Non, je vous mute dans un endroit beaucoup plus joli
— Suis-je autorisée à savoir où ? Vous ne comptez pas me faire prendre l’avion les yeux bandés,tout de même ?
— Cela vous plairait d’aller à grand Bereby?
Je me fige . Etait-il sadique en plus du reste ? Il ne pouvait ignorer que j’avais vécu à grand bereby ma courte vie de femme mariée, et que la ville n’évoquait pour moi que des souvenirs pénibles ? Mais je ne lui en dirait rien : manipulateur comme il était, il profiterait de ma moindre faiblesse.
— Merveilleux ! La ville est magnifique
— C’est ce qu’on dit, en effet. Votre place est retenue sur un vol demain et une voiture passera vous prendre pour vous conduire à l’aéroport. De toute façon, ma secrétaire vous donnera tous les détails. On se revoit donc là-bas.
Sur ses mots, il tourne les talons, me laissant abasourdi.Comptait-il aller à grand bereby lui aussi ? Et si oui, pourquoi ? Pour me surveiller ? S’assurer que je ne contacte pas Paul ?
Comment savoir ? En cet instant, je m’en moquais . Seule comptait pour moi cette étrange excitation qui faisait battre mon cœur à toute allure et que je préférais ne pas analyser...