Aïlah
J'aurais dû prendre une veste. Il commence à faire froid et j'ai la chair de poule. Ce n’est pas malin.
Je ne comprends pas pourquoi Ibrahim prend autant de temps à arriver. Il habite à côté et il m'a dit qu'il arrivait dans cinq minutes. J'attends depuis plus longtemps que ça. Environ un quart d’heure, si j’en crois ma montre. Je déteste qu’on me fasse patienter, surtout lors d’un rendez-vous avec un homme. J’espère au moins qu’il a une bonne raison !
Il arrive finalement en Mercedes à 20h50. Je m’avance jusqu’à sa voiture tout en refermant un peu mon gilet autour de moi. Je me suis habillée assez léger, résultat je sens le vent flotter au-dessus de ma poitrine.
— Wahou, t’as mis le paquet ! lance Ibrahim. Allez, monte.
Il arrête la voiture le temps que je monte à l'intérieur et on repart aussitôt. Le siège passager est super confortable. Je ne m’y connais pas vraiment en voiture mais je suis prête à parier qu’elle est toute récente. En contemplant l’habitacle, je remarque que tout est propre et assez luxueux. Comment a-t-il pu s’offrir un engin pareil ? Cette question me fait penser à lui demander plus tard dans la soirée ce qu’il fait dans la vie.
— Ça va ? demande Ibrahim tout en roulant.
— Oui, oui. Et toi ?
— Tranquille. Dis, je peux savoir quelles sont tes origines ? Depuis que je t’ai vu j’arrête pas de me poser la question.
Je lâche un petit rire. Étrangement, il se trouve que je me suis posé la même question à son sujet.
— Je suis française d’origine algérienne et mexicaine, avoué-je alors. (Je le vois hausser légèrement les sourcils.) On me dit que je fais plus mexicaine qu’algérienne. T’en pense quoi ?
— Honnêtement, je n’aurais jamais pensé que tu avais du sang maghrébin, dit Ibrahim. Personnellement j’aurais dit cubaine. Mais je suis ravie d’apprendre qu’on partage une origine en commun.
— Oh, tu es algérien toi aussi ?
— Algérien et marocain, précise-t-il avec un clin d’œil. En tout cas tu as un beau mélange. Je comprends mieux pourquoi tu es aussi belle.
Habituellement je n’aime pas les garçons qui sont aussi brute dans leur manière de draguer, mais avec Ibrahim ce n’est pas pareil. Là où je vois certains hommes vulgaires, je le vois doux et gentil. En plus il parle correctement, ça j’aime beaucoup. Je crois que je suis en train de rougir. N'importe quoi, une vraie gamine ma parole.
— Tu m'emmènes où alors ? je reprends histoire de me donner contenance.
— À la base je comptais bouger à la foire du trône mais là j'ai grave faim, donc ça te dirait qu’on aille dans un restaurant ?
— Bien sûr !
— Resto chinois ça te branche ?
— Oui, aucun souci.
— Alors c’est parti !
***
— C'est quoi ?
— Des rouleaux de printemps, lui fais-je savoir.
— Ah ouais, on dirait des rouleaux de caca tout blanc.
Je manque m'étouffer en finissant ma dernière bouchée. Il n'a pas osé ? Je pouffe de rire et en reprends une bouchée.
— Désolé, je ne voulais pas te choquer, rigole Ibrahim. Tient, mange un peu de ça, qu'il me dit ensuite en tendant sa fourchette vers moi.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Nouilles chinoises aux crevettes, goutte, tu vas kifer.
J'acquiesce et abdique. Le goût rencontre mes papilles et je ferme les yeux pour apprécier davantage cette douceur. C'est vrai qu'il a raison, c'est excellent. Ce restaurant est vraiment délicieux, j’y retournerai quand j’aurais l’occasion, c’est certain.
Lorsque je rouvre les yeux je vois qu’Ibrahim me regarde en souriant. Force est d'avouer qu'il a un très beau sourire. J'essaie de détailler son visage le plus discrètement possible et m'aperçois qu'il a une cicatrice entre les sourcils. Bizarre à dire mais je trouve que ce défaut le rend encore plus attirant.
— Tu sais, j'aime beaucoup ta robe, me lance-t-il soudain.
Décidément, je reçois pleins de compliments ce soir ! Une part de moi se sent fière et touchée, tandis qu’une autre me chuchote qu’il dit tout ça dans le but de peut-être m’avoir dans son lit… On ne sait jamais, je préfère rester sur mes gardes.
— Merci, c'est gentil, dis-je. J'aime bien aussi ta... tenue.
— Quoi ? T'as jamais vu un gars porter un polo Lacoste avec un jean ? lance Ibrahim avec un sourire charmeur.
— Non, mais j'aime bien. Ça te va bien.
En fait, ça lui va même plus que bien. Il est carrément sexy, sans mentir. En plus sa barbe est bien tracée et son parfum est agréable à sentir. Je suis sous le charme.
— Pourquoi tu détournes les yeux ? s’enquiert Ibrahim.
— Qui ça, moi ? Pas du tout.
Pour lui prouver que je ne suis pas aussi timide qu'il le prétend, je cloue mon regard dans le sien. Oh, oh, pourquoi je viens de faire ça ? Me voilà toute intimidée, tout d’un coup…
— On devrait demander l’addition, je déclare en toussotant.
Je fuis, une fois de plus. Mais c'est seulement de cette manière que je peux calmer la tension qui vient de monter brusquement dans mon corps.
Ibrahim
p****n, j’aurais pas cru pouvoir me débrouiller aussi bien avec elle ce soir. Pas de doute, elle est à fond sur moi. J’avoue, je fais grave le fayot pour l’avoir dans mes filets ; moi qui d’habitude parle n’importe comment, je fais super attention aux mots que j’emploie et je fais même exprès de prendre une voix qui ne me ressemble pas. On pourrait dire que je suis malhonnête et calculateur, mais je m’en bas les couilles. Tant que je réussis à l’avoir dans mon lit c’est le principal, le reste j’en ai rien à faire.
Durant tout le repas, je n’ai pas arrêté de la relooker. J’ai regardé ses yeux noisettes, son nez retroussé, ses lèvres charnues… Tout ce que j’ai vu m’a plu. En sortant du restaurant, elle passe devant moi et je me permets de lancer un petit coup d’œil vers ses fesses. Bordel de merde ce qu’elle est bonne ! Je l’imagine déjà en levrette devant moi, sa longue tignasse brune que je tire d’une main, et elle qui couine comme une folle, et moi qui…
— Il serait temps que je rentre chez moi, dit soudain Aïlah en me tirant de mes pensées.
— Hein, déjà ? je m’exclame. Tu ne veux pas qu’on marche un peu dans le parc, ou je sais pas, qu’on fasse autre chose quoi…
Pourvu qu’elle comprenne mes intentions et qu’elle accepte.
— J’ai vraiment apprécié cette soirée à tes côtés et j’aurais bien aimé me promener encore un peu mais non, il faut que j’aille dormir, demain je travaille, répond-elle.
Eh merde…
— Ce n’est pas contre toi, s’empresse de préciser Aïlah devant mon expression dégoûtée. Je suis juste une couche tôt en général, surtout en semaine.
— Tu travailles dans quoi ?
Un instant, ses yeux s’agrandissent et je la vois hésiter. Bah quoi, ne me dites pas qu’elle est escorte ou un bail comme ça quand même ? Ça serait franchement mais alors franchement dommage.
— Je bosse dans la finance, répond-elle finalement. Ma boîte est super stricte, on n’a pas le droit à l’erreur. Et toi, tu fais quoi dans la vie ?
A mon tour d’avoir un temps d’hésitation. Si je lui dis que je fais des petits boulots par-ci par-là, elle se demandera sûrement comment j’ai pu me permettre d’avoir une Mercedes ; et si je prétexte que je taff dans un grand truc qui paye bien, j’ai peur qu’elle m’interroge là-dessus et que je ne sache pas quoi répondre. p****n, je suis dans une impasse. Une chose est sûre, il faut que je trouve un mensonge car lui dire la vérité reviendrait à ruiner toutes mes chances avec elle.
— Pour l’instant je travaille avec mon cousin dans la mécanique, je décide de dire. Mais je compte bientôt changer de voie.
— C’est cool ça, j’espère pour toi que tu arriveras à tes fins.
— Merci.
Nous remontons dans la voiture. Elle me dit de la déposer dans une rue pavillonnaire, à quelques minutes de chez moi. Je comprends qu’elle ne m’a pas ramené devant chez elle lorsque je la vois balayer du regard trois maisons d’un air incertain. Je garde le silence, jouant le jeu. Si elle ne veut pas me donner son adresse, j’imagine que c’est parce qu’elle n’a pas encore confiance en moi. Je lui en veux pas ; à sa place, avec tous les pervers qui traînent dans le coin, j’aurais fait pareil.
— On peut se voir demain soir si tu veux ? propose Aïlah à ma vitre.
Je retrouve instantanément mon sourire. Ce n’est pas fichu, après tout. Ce soir ou demain, qu’est-ce que ça change au final ? Dans tous les cas je sais que je finirai par l’avoir.
— OK pour demain, dis-je.
Moi qui pensais qu’elle m’embrasserait sur la bouche ou bien sur la joue en guise d’au revoir, eh bien j’avais tout faux : elle se contente juste de me sourire, puis elle pivote sur ses talons, me laissant surpris et à moitié déçu dans ma bagnole.