Chapitre 2-2

2036 Mots
— D’un autre côté, ils ont divorcé, dit Felix avant de pousser un cri de douleur. Ariel doit lui avoir donné un coup de pied sous la table. Je pousse un soupir de soulagement. Si ma mère était Consciente elle aussi, je ne sais pas ce que je ferais. Je mange une autre cuillerée de petit-déjeuner et je donne la suivante à Fluffster. — Je dois bientôt partir au travail, alors il nous faudra organiser le déjeuner par texto. — Pas de souci, dit Felix en sortant son téléphone. Je vais appeler la famille. — Vas-tu finir ton porridge ? demande Fluffster dans ma tête. — Non. Je pousse l’assiette vers lui. — Tu peux te servir. — À vrai dire, je n’ai plus faim, dit Fluffster, mais il s’avance vers le porridge et y jette un coup d’œil attristé. Je pense que je vais le manger. Ce serait dommage de jeter de la nourriture parfaitement bonne. — Comme d’habitude, Felix m’en a donné trop. Il pense que mon estomac est aussi grand que le sien. Fluffster regarde l’assiette pas terminée de Felix d’un air désapprobateur. — Ce garçon va causer la ruine financière de cette maisonnée. Felix fait semblant d’être occupé avec son téléphone, mais je peux voir qu’il essaie de réprimer un sourire en articulant silencieusement : « Bienvenue dans la dictature ». — J’ai entendu ça, dit Fluffster dans ma tête, et d’après la réaction de Felix, il est clair qu’il a aussi entendu cette pensée, prouvant que le domovoi peut envoyer des pensées à plusieurs personnes en même temps. — Salut, maman, dit Felix au téléphone. En couvrant le combiné de la main, Felix nous dit : — Pardon, je vais prendre ça au salon. — Aucun respect pour ses aînés, marmonne Fluffster dans ma tête en jetant un regard grognon dans le dos de Felix. — Je ferais mieux d’y aller, dis-je en me levant. Je dois analyser des actions. — Attends, me dit mentalement Fluffster. Puis-je te demander une grande faveur avant que tu partes ? — Bien sûr, dis-je à voix haute. Malgré le mal de tête restant, je ne peux m’empêcher de sourire. J’ai un dialogue multidirectionnel avec mon animal domestique. — Tu veux ton bain de poussière ? — Felix peut m’aider avec le bain. À vrai dire, j’espérais que tu puisses me montrer un de tes tours de magie. Ariel m’en a tellement parlé, mais tu ne m’en as jamais montré un seul. — Je suis désolée, dis-je en clignant des paupières. Ce doit être la première fois que l’on m’accuse de ne pas avoir montré mes tours. — Je ne pensais pas que tu comprendrais… — Ne t’inquiète pas, répond Fluffster d’une voix mentale particulièrement apaisante. C’est juste que je meurs d’envie de le voir. Même si je dois vraiment me dépêcher pour aller au travail, je ne crois pas pouvoir refuser quoi que ce soit à un spectateur aussi doux et mignon. De plus, maintenant que j’ai l’interdiction de faire de la magie pour les gens ne faisant pas partie du Mandat – c’est-à-dire presque tout le monde – je dois profiter de ce genre d’occasion. — Montre-lui le truc que tu fais avec les cartes, dit Ariel. « Un truc avec des cartes ». Je me retiens de gronder Ariel pour avoir réduit toute une branche de la magie à quelque chose d’aussi trivial. En baissant nonchalamment les mains de façon à ce qu’elles soient parallèles à mes poches, je dis : — Compris. Dommage que je n’ai pas de cartes sur moi. Mais attends, peux-tu m’attraper un briquet ? — Tiens. Ariel marche jusqu’au plan de travail et elle ramasse le briquet que nous gardons là afin de rallumer les brûleurs de la cuisinière lorsque c’est nécessaire. Comme elle détourne si admirablement l’attention de Fluffster et elle, je plonge les mains dans mes poches pour m’assurer d’avoir les accessoires requis. J’ai un paquet de cartes dans une poche – comme tout le monde, n’est-ce pas ? – et des objets dans l’autre, y compris un petit briquet que j’ai fait semblant de ne pas avoir. Je pousse un soupir de soulagement lorsque mes doigts frôlent du papier flash que je porte toujours dans la plupart de mes poches. Cela permet d’ajouter une petite touche à mon tour, alors je dis : — S’il te plaît, fais aussi une petite boule de serviettes en papier pour moi. Le papier flash est du micro cellulose : un explosif qui d’une façon ou d’une autre est devenu un accessoire de prestidigitateur. Lorsqu’il est enflammé, il crée une flamme particulièrement vive, comme les flashs combinés d’un million d’appareils photo de téléphone. Et quand on en fait une boule, cela ressemble beaucoup à une serviette en papier froissé. Ariel fait ce que je lui demande. Pendant ce temps, je prépare ce dont j’ai besoin sans que Fluffster et Ariel s’en rendent compte. — Et voilà, dit-elle en me tendant la boule de papier. Je prends la serviette et je fais semblant de compacter la boule alors qu’en réalité, je la pose sur le papier flash. Je fais ensuite semblant d’écraser encore un peu plus le papier, et il est très facile de faire disparaître la serviette d’origine et de n’avoir plus que la boule de papier flash visible. Ni Fluffster ni Ariel ne remarquent l’échange, ce qui me rassure sur les heures de ma vie que j’ai passées à répéter cette manœuvre. — Gardez les yeux rivés sur le papier, leur dis-je, principalement parce que j’aime les duper, mais aussi parce que psychologiquement, cela leur indique qu’ils doivent veiller à ce que le papier ne soit pas échangé. De cette façon, ils jugeront ensuite que le papier n’a pas pu être escamoté parce qu’ils ont toujours gardé les yeux rivés dessus. De plus, cela m’aide pour la suite, car pendant qu’ils fixent ma main, ils ratent le moment où je prends le paquet de cartes dans ma poche, le cachant dans l’autre main. — En fait, Fluffster, peux-tu reculer un peu ? Cela sert en partie de distraction, mais c’est aussi parce que je m’inquiète vraiment que la flamme puisse brûler son pelage magnifique. Pendant qu’il recule, je transfère la boule de papier dans la main qui tient secrètement le paquet de cartes. Aucun participant ne peut voir le paquet depuis l’endroit où il se trouve. J’utilise ensuite ma main gauche maintenant vide pour prendre le briquet de la main d’Ariel. Ils ne contestent pas le changement de main pour le papier. Le mouvement de Fluffster les a distraits et j’ai également utilisé un principe de la magie connue sous le nom « d’action de transit ». La boule de papier est passée dans la main dont j’avais besoin comme pour faire la place pour le briquet. Je n’allais quand même pas attraper le briquet de la main gauche, comme une barbare ? Je souris intérieurement. En ce qui concerne Fluffster et Ariel, la première partie du tour n’a pas encore commencé, mais en matière de méthodologie, elle est déjà terminée. — Regardez bien. J’allume le briquet. — Je vais transformer cette serviette en papier en paquet de cartes. J’approche le briquet de la boule de papier flash et la substance explosive s’enflamme, aveuglant Ariel et Fluffster exactement au moment où je rattrape le paquet de cartes dans ma main tendue. Mon mal de tête reprend à cause de la lumière très vive, mais j’ignore la douleur, car c’est un sacrifice acceptable pour mon art. — Waouh, s’exclame Ariel. — Comment ? demande Fluffster dans mon esprit. Pour eux, une boule de serviettes en papier semble s’être transformée en paquet de cartes. — Je n’ai pas terminé, dis-je en me lançant dans ma propre version de la célèbre routine de la Carte Ambitieuse. C’est un tour dans lequel une carte apparaît en haut du paquet après avoir été placée au milieu, dans des conditions de plus en plus impossibles. La plupart des étapes que je leur montre sont tirées de livres de magie, mais je termine par un final que j’ai inventé. Ariel pousse des cris de joie lorsque la carte saute en haut du paquet alors que le paquet est retourné dans la boîte qui est tenue dans les mains d’Ariel. — Tu es tellement plus douée que ce type sur YouTube, dit Fluffster en fronçant son nez de rongeur. — Tu regardes YouTube ? Je le fixe, bouche bée. Il me reste encore la présence d’esprit de tendre la main vers Ariel qui y repose le paquet de cartes. Comme tout le monde pense que le tour est terminé, j’utilise leur manque d’attention pour échanger le paquet avec la serviette en papier que j’ai cachée tout ce temps. Puis je dis : — Oh, une dernière chose. Il faut que je te rende ta serviette en papier. Je révèle que le paquet de cartes s’est « retransformé » en serviette en papier et Ariel l’examine avec incrédulité avant de la mettre dans sa poche comme un trésor. — Fluffster adore regarder YouTube, dit Felix en revenant dans la pièce. Il me jette ce regard très irritant qu’il a lorsqu’il pense savoir comment j’ai fait quelque chose. Il a souvent raison, alors je suis ravie qu’il ait raté la majeure partie de ma performance. — J’ai installé un ordinateur pour lui dans ma chambre, poursuit-il. S’il existait un doctorat sur les vidéos de chats, il serait maintenant docteur Fluffster. — Ça ne te fait pas peur de regarder ces choses ? demande Ariel. Puisque tu as le corps d’un rongeur ? — Non, répond Fluffster, sûrement dans toutes nos têtes. J’aime les chats. En fait, la plupart des chats… pas celui de la voisine. J’étais peut-être un chat avant ? Maintenant que je ne suis pas en train de faire de la magie, mon sens du temps qui passe revient et je me rends compte que je vais être tellement en retard que je n’aurais pas le temps de faire les recherches exigées par Nero. Je ne veux pas commencer notre relation de mentor-élève sur une note aussi désagréable. — Je dois partir, dis-je en me dirigeant vers la porte. — J’ai organisé le déjeuner avec mes parents, prévient Felix lorsque je passe devant lui. Je t’envoie les détails par texto. — Très bien, dis-je depuis le seuil de la porte. À plus tard, tout le monde. Dans le couloir, je prends le risque de jeter un coup d’œil à mon téléphone et je le regrette immédiatement. Non seulement je suis en retard, mais j’ai des messages de Nero. Il a ajouté quelques actions de plus à sa demande du matin. Si je n’arrive pas tout de suite au bureau, je suis f****e. Je me précipite vers l’ascenseur lorsqu’une voix familière résonne à l’autre bout du couloir. — Sasha, dit Rose d’un ton ravi. Je suis contente de te voir. Je me tourne et je la regarde s’approcher. Elle porte un sac de recyclage dans une main et le chat dans l’autre et elle semble avoir une de ses bonnes journées. Cela arrive de temps en temps, comme si Rose partait prendre un bain de jouvence alien comme dans le film Cocoon que ma mère aime tant. Je ne suis pas du tout surprise lorsque j’aperçois l’aura du Mandat autour de Rose. Le fait qu’elle soit Consciente est la seule chose pouvant au moins partiellement expliquer sa relation avec Vlad, qui, grâce à son vampirisme, a l’air d’être son petit-fils. Des yeux félins me fixent et je suis soulagée de découvrir que Lucifer, la chatte de Rose, ne possède pas la même aura que nous autres. Si cette créature était surnaturelle, je serais extrêmement inquiète. La chatte se rend compte que je la fixe à mon tour et – mais c’est peut-être mon imagination – elle hoche la tête d’un air majestueux. Ses yeux semblent dire : « Tiens, voilà la paysanne qui a sauvé notre vie royale lorsque les ennemis de la couronne ont comploté pour nous faire avaler cette terrible clé. Nous allons vous accorder une aubaine, paysanne. Nous allons vous laisser votre vie pathétique. Profitez de cet honneur. Maintenant, déguerpissez de notre vue.
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