tout pour lui

Lena, âgée de vingt-sept ans, travaillait comme vice-présidente de la Citibank à New York. C’était une femme simple, sans histoires, mais fière de sa réussite. Toutes ces nuits blanches passées à étudier avaient fini par porter leurs fruits. Elle vivait dans un appartement luxueux près de Central Park. L’avantage était que son bureau ne se trouvait qu’à quelques pas de chez elle, ce qui lui laissait le temps de se préparer sans crainte d’être en retard. Sa vie suivait une routine parfaitement réglée, presque mécanique. Chaque détail était contrôlé, chaque geste mesuré. Elle respectait scrupuleusement les principes qu’elle s’était imposés pour réussir. Ceux liés à l’amour, en particulier, avaient été dictés par les blessures de sa mère au fil des années. Lena consacrait tout son temps à son travail. Elle n’avait pas de famille à New York. Dès qu’elle en avait eu l’âge, elle s’était éloignée de sa mère, persuadée qu’elles étaient trop différentes. Son père avait abandonné sa mère lorsqu’il avait appris qu’elle était enceinte. Brisée, cette dernière s’était enfoncée dans l’alcool. Il fallut des années avant qu’elle ne réussisse à remonter la pente. Depuis cinq ans, elle semblait reprendre peu à peu sa vie en main. Certes, elle n’avait plus de problème avec l’alcool, mais était devenue une femme méfiante, presque amère. Pour elle, les hommes ne valaient rien. Lena n’avait jamais eu le droit d’en ramener un à la maison, qu’il s’agisse d’un petit ami ou d’un simple ami. Sa mère répétait inlassablement que les hommes ne voulaient qu’une chose : « le biscuit ». Et qu’une fois obtenu, ils ne s’intéressaient plus à rien d’autre. Bien sûr, Lena avait eu quelques relations secrètes durant son adolescence, mais les paroles de sa mère l’avaient profondément marquée. Elle s’était forgée une carapace, préférant rester froide et détachée. C’était peut-être cela qui faisait d’elle une femme forte, comme elle aimait souvent le répéter. Elle envoyait de l’argent à sa mère chaque mois et lui rendait visite dès qu’elle en avait l’occasion, ce qui restait rare. Sa mère, héritière fortunée, n’avait besoin de personne pour vivre. Le seul homme qu’elle tolérait encore dans son entourage était son comptable. Comme chaque matin, Lena se levait à cinq heures, sortait courir, puis passait chercher son café à six heures avant de rentrer se doucher et partir travailler. Sa rigueur impressionnait ; certains collègues la surnommaient « le robot ». Elle leur répondait qu’avoir des principes était la clé de la réussite. Deux fois par mois, elle acceptait malgré tout de sortir avec quelques amis, mais jamais elle ne s’attachait. Après s’être préparée, Lena prit la route. Vingt minutes plus tard, elle franchissait les portes de l’immeuble. Installée à son bureau, elle parcourait ses dossiers quand son assistante entra pour lui apporter le planning du jour. — Tu m’écoutes, Lena ? demanda Anaïs, en la tirant de ses pensées. — Pardon, j’étais ailleurs. Relis-moi mon agenda, s’il te plaît. — Aujourd’hui, tu as un programme léger. Je sais que tu détestes les lundis, alors j’ai repoussé les rendez-vous non urgents à jeudi et vendredi. Comme ça, tu pourras te concentrer sur les dossiers prioritaires. Ah, et tu as un rendez-vous avec un certain… William Anderson. Lena fronça les sourcils. — William Anderson ? Ce nom ne me dit rien. — C’est le cousin de ton patron. — Et pourquoi ai-je un rendez-vous professionnel avec lui ? — Parce qu’il vient d’être nommé directeur de la nouvelle succursale. — Comment ça, nommé ? Je n’étais pas au courant. — C’est ton patron qui l’a embauché directement hier soir. Julien Smith. Son patron depuis cinq ans. Un homme d’une cinquantaine d’années, respecté et redouté à la fois. Avec lui, Lena avait beaucoup appris. Mais jamais il ne prenait de telles décisions sans l’informer, surtout concernant l’ouverture d’une nouvelle succursale prévue dans deux mois. Elle avait du mal à comprendre pourquoi il avait choisi un inconnu au lieu de promouvoir quelqu’un déjà formé au sein de la banque. — Est-ce que M. Smith est déjà arrivé ? demanda-t-elle. — Oui, depuis un moment. Sans attendre, Lena se leva et marcha vers son bureau. Anaïs tenta de la retenir, mais en vain. La porte n’était même pas fermée ; elle entra sans frapper. — Monsieur Smith ! Voilà cinq ans que je travaille dans cette banque. D’abord comme assistante, puis comme vice-présidente. Votre bras droit ! Alors, pourquoi ne pas m’avoir informée de cette nomination ? — Bonjour, Lena, répondit calmement son patron. Elle se sentit soudain ridicule : elle avait oublié de le saluer. Mais pas question de montrer la moindre gêne. — Lena, je te présente William Anderson. Elle se retourna. Jusqu’ici, sa colère l’avait empêchée de remarquer sa présence. Et là, surprise. Elle s’était attendu à voir un homme âgé, peut-être chauve et ennuyeux. Mais William n’avait rien de tout cela. Grand, athlétique, les cheveux parfaitement coiffés, des yeux gris d’une intensité troublante… et ce sourire amical qui, sans prévenir, lui fit perdre ses repères.