Chapitre 4 : *
L’instant où Tristen franchit la distance qui les séparait, son sourire accroché comme une provocation, brisa la torpeur dans laquelle Ashley s’était enfoncée.
— Viens. Partageons un repas avant de discuter, lança-t-il, refermant ses doigts sur les siens pour la conduire jusqu’à une table dressée.
Avec une élégance étudiée, il dégagea une chaise et l’invita à s’y installer, avant de prendre place en face d’elle.
Ce détail, insignifiant pour certains, heurta Ashley de plein fouet. Greg, jamais, ne s’était donné la peine d’un tel geste. Elle eut honte de laisser ce souvenir effleurer sa mémoire et le repoussa aussitôt.
Les serveurs s’activèrent, alignant plats et couverts dans un ballet bien réglé. Ashley observa, silencieuse, l’homme donner ses consignes au maître d’hôtel, lequel disparut une fois son rôle accompli.
Lorsqu’elle réalisa qu’elle fixait Tristen sans détour, il capta son regard et eut un sourire amusé.
— Tu pourras t’adonner à cette contemplation après avoir mangé, glissa-t-il.
Rougissante, elle baissa les yeux sur son assiette, consciente que ses joues trahissaient son trouble. Il s’abstint d’ajouter quoi que ce soit, se contentant de savourer son embarras.
Le repas se déroula sans éclat, et ce n’est qu’une fois débarrassés de toute présence qu’Ashley trouva la force d’aborder ce qui la tourmentait.
— Je vais être directe, dit-elle. Peut-être que mes soupçons sont exacts, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, je n’ai aucune intention d’endosser ce qui s’est produit alors que j’étais incapable de juger clairement.
Ses mots tombèrent nets, décidés. Elle s’y accrocha comme à une ligne de survie.
Tristen, loin de se formaliser, accueillit sa déclaration avec la sérénité de celui qui s’y attendait. Cette femme n’était pas de celles qu’on pouvait contraindre. Pourtant, il savait qu’il lui restait des cartes en main. Greg n’étant plus qu’un souvenir amer, il n’avait nul désir de céder la place à un autre.
Ashley l’observa hausser les épaules, puis sourire, comme si sa résistance l’amusait. Mais soudain, son expression se glaça.
— Vous ignorez peut-être qui je suis réellement, Mademoiselle Brown. Quand quelque chose attire mon regard, tôt ou tard, cela finit par m’appartenir.
Cette phrase, glaciale, lui coupa le souffle. Les rumeurs qu’elle avait lues lui revinrent en mémoire : un homme obstiné, impitoyable, toujours vainqueur. S’était-elle jetée dans un piège bien plus vaste qu’elle ne l’imaginait ?
Elle raffermit pourtant son regard.
— Je ne suis pas un bien que l’on acquiert, répliqua-t-elle sèchement. Ma vie m’appartient, mes choix aussi. Personne ne me possède.
Elle se leva, prête à quitter la pièce. Mais Tristen ne la laissa pas s’éloigner.
— Si je te rappelais combien tu as tremblé sous mes mains, resterais-tu aussi catégorique ? dit-il, sa voix plus douce mais dangereusement persuasive.
Il l’attira contre lui avec une aisance déconcertante, leurs torses se heurtant. Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire carnassier.
— Tu oublies à quel point ton corps a réclamé le mien. Tu peux feindre l’indifférence, mais tu ne peux pas effacer ce que tu as ressenti.
Ashley frémit malgré elle. Jamais personne ne l’avait traitée avec autant de délicatesse, la faisant se sentir sacrée. Son propre corps trahissait ce qu’elle refusait d’admettre.
Le pouce de Tristen caressa sa bouche, effleurant sa lèvre comme un secret dévoilé.
— Tu désires, mais tu refuses de le reconnaître.
Puis il recula, la laissant pantelante, tandis qu’un sourire ironique étirait son visage. Elle sentit la colère monter, brûlante.
— Jamais, siffla-t-elle. Ni aujourd’hui ni demain.
Et elle tourna les talons avec une violence rageuse. Derrière elle, le rire grave de Tristen éclata, résonnant comme une promesse.
— Tu peux me fuir autant que tu veux, Ash. Je sais déjà que je m’installe en toi.
Dehors, Karl attendait près de la berline noire. À la vue de son patron, il ouvrit la portière avec empressement.
Installé à l’arrière, Tristen demeura silencieux, le sourire aux lèvres. Karl finit par s’autoriser une question.
— Alors, Mademoiselle Brown vous a-t-elle donné une réponse favorable ?
Tristen secoua la tête, toujours adossé contre le cuir.
— Pas encore.
Karl fronça les sourcils, perplexe. Si son patron avait été repoussé, pourquoi cette expression triomphante ? La réponse vint d’elle-même.
— Elle cédera. Bientôt.
Et il n’ajouta rien de plus, le véhicule filant en direction des bureaux.
Dans l’autre voiture, Ashley tremblait encore de rage. Ses doigts s’enfonçaient dans sa paume jusqu’à blanchir ses jointures.
— Immonde… murmura-t-elle, frappant l’accoudoir avec violence.
Miley sursauta, tétanisée. Elle connaissait les brusques accès de fureur de sa patronne mais n’y était jamais vraiment préparée. L’envie de demander ce qui s’était passé la démangeait, mais le silence d’Ashley fermait la porte à toute tentative.
Un vrombissement interrompit l’atmosphère lourde : le téléphone vibrait. Miley jeta un œil à l’écran et pâlit.
— C’est… votre père.
Ces mots suffirent à glacer Ashley. Elle inspira profondément avant de décrocher.
— Bonjour, papa, dit-elle d’une voix étrangement fluette, comme si toute sa force s’était évaporée.
La voix de Richard, tonnante et pleine de colère, rugit à travers le combiné :
— Ashley Brown. Je veux te voir immédiatement.
Elle déglutit, consciente qu’aucune échappatoire n’existait.
— D’accord, papa. J’arrive.
Elle remit l’appareil dans la main de Miley, le visage fermé.
— Préviens le chauffeur. Nous rentrons au manoir.
Tandis que la voiture bifurquait, Ashley se remémora, douloureusement, chaque parole dure qu’elle avait lancée à son père pour défendre Greg. Aveuglée par un amour qui s’était révélé trompeur, elle l’avait blessé, ignoré, humilié. Désormais, elle allait devoir affronter sa colère.