Les festivités pour mon anniversaire battent leur plein jusque tard dans la soirée. Après les danses et le repas copieux, vient l’heure des bougies et des cadeaux. Au programme, pièce montée et bien plus de cadeaux que je ne l’aurais imaginé. Dessins de la part des plus jeunes, cookies et gâteaux faits maison de la part de Becky et ses parents, un bracelet et un collier de perles blanches de celle des miens, des robes faites maisons par Debbie et Eliane, deux pyjamas de la part de mon oncle, ma tante et leurs enfants et enfin, quelques livres celle de Tobby, Eryn, Hayden et Scott.
— Il en reste un.
Auden s’approche de moi, une petite boîte entre les mains. Je l’attrape et l’ouvre délicatement, le cœur battant.
— Fait faire par l’un des meilleurs bijoutiers d’Andarane par Dylan et moi-même, ajoute-t-il.
Mon regard se pose sur deux cœurs enchevêtrés l’un à l’autre et recouverts de petits diamants aux couleurs de ma pierre de naissance. A l’intérieur de ce dernier se trouvent deux photos. La première est un cliché de ma famille et moi. La seconde, un cliché d’Auden et moi assis sur une balançoire dans les jardins du pensionnat.
— C’est… (Je m’interromps et me racle brièvement la gorge ne sachant trop quoi dire). Merci.
— Il n’y a pas de quoi.
Je lui adresse un sourire furtif et me lève afin qu’il puisse m’aider à mettre ce nouveau pendentif. Ses doigts effleurent ma peau me faisant frémir. Je tourne la tête et plonge mon regard dans le sien d’un vert émeraude intense. Il dépose un b****r sur ma joue, tout près de mes lèvres et s’écarte afin de laisser la place à ma famille et mes amis qui me prennent à tour de rôle dans leurs bras.
Du coin de l’œil, je le vois se retirer discrètement nous offrant un moment rien qu’entre nous. Ce n’est qu’une fois les douze coups de minuit passés que nous finissons par nous séparer après une dernière étreinte groupée. Archie et moi accompagnons mon père et ma famille jusqu’au niveau trois, mes sœurs ayant reçu l’autorisation de dormir avec nos parents, avant de redescendre au niveau un où se trouvent nos cabines. Nous avançons bras-dessus, bras-dessous, le pas lent, peu pressés de nous séparer, malgré une nouvelle journée qui nous attend d’ici quelques heures.
— Contente de ta soirée ?
J’acquiesce, sourire aux lèvres.
— Pour une surprise, c’en était une. Mais, je dois reconnaître que je n’arrive pas à complètement m’enlever l’attaque au pensionnat de la tête.
— Oui, je comprends, c’est normal. J’aimerais bien pouvoir te dire que cela ne se reproduira pas, mais en tant que ton Veilleur en devenir, il est de mon devoir de m’assurer de ta sécurité et d’être honnête en la matière avec toi.
— Mon Veilleur en devenir ?
Je m’arrête, mon regard surpris rivé sur lui.
— Le prince et les Egalitaires ont décidé qu’étant donné notre amitié, il serait plus sûr que ce soit moi qui m’occupe de ta sécurité. Bien sûr, il faudra que je passe les Epreuves comme tout le monde, mais le prince et Dylan m’ont assuré que tout sera fait pour que je réussisse haut la main.
— Dylan était à la réunion ?
— Oui, tout comme ton père, Max et Tobby.
— Que faisaient-ils tous là ?
Il prend une inspiration et s’humecte rapidement les lèvres tout en plongeant son regard noisette dans le mien.
— Ce sont les chefs des Egalitaires.
La porte de ma cabine s’ouvre à ce moment-là. Je jette un coup d’œil furtif en direction de Corinne, Ayleen et Isla.
— J’arrive tout de suite.
Elles acquiescent et tirent la porte, probablement pour nous espionner tout en nous donnant l’impression d’avoir un peu d’intimité. Je lève les yeux au ciel et secoue la tête. Je reprends la discussion, conscients des oreilles qui trainent.
— Je n’en savais rien.
— Moi si. Depuis un petit moment mais le prince m’avait fait promettre de garder l’information pour moi le plus longtemps possible.
Je vois. Merci Auden…Archie attrape mes mains sans lâcher mon regard. J’entends Ayleen et Isla commencer à trépigner d’impatience à l’intérieur de ma cabine. Je ris furtivement tandis que Corinne leur intime de se taire.
— La situation est bien plus complexe que ce que tu ne le crois, ajoute-t-il d’une voix soudainement sérieuse.
— Comment ça ?
Il s’apprête à me répondre mais se fait interrompre par un jeune homme, que je ne me souviens pas avoir déjà aperçu, et qui le somme de se magner. Probablement l’un des quelques rescapés de l’attaque au pensionnat. Un frisson me parcourt de la tête aux pieds à cette idée.
— Magne-toi Crawley !
— Ouais ça va, Sanderson ! Une minute !
Archie se tourne à nouveau vers moi, une lueur à la fois désolée et exaspérée dans le regard.
— Je dois y aller. Toi et moi avons rendez-vous avec Dylan pour notre tout premier cours sur le nouveau système, demain matin.
Nous pourrons reprendre notre discussion à ce moment-là.
Je sens un élan d’enthousiasme s’emparer de tout mon être à l’entente de ces mots.
— Dylan va nous parler du nouveau système ?
— Yup.
— LE nouveau système planétaire dont peu d’humains connaissent l’existence.
— Ce système-là, oui. Même si techniquement presque la totalité des humains en connaissent maintenant l’existence, me corrige-t-il. Merci les Anarchistes.
J’émets un rire amer. Il s’approche de moi et dépose un b****r sur ma joue.
— Bonne nuit, Ar Banrigh Slanaighear.
Son regard pétillant croise le mien. Il m’adresse un sourire furtif et s’écarte, direction les cabines mises à disposition des Veilleurs et Veilleuses en devenir. Je le regarde s’éloigner, à moitié perdue dans mes pensées, tandis que sa dernière phrase se répète en boucle dans ma tête. Ar Banrigh Slanaighear. Notre Reine Sauveuse. Il est la deuxième personne à m’appeler ainsi.
La porte de ma cabine s’ouvre derrière moi. Mon meilleur ami à peine parti, Ayleen et Isla me tirent à l’intérieur où elle passe l’heure suivante à me préparer pour le coucher, tout en me posant des questions sur la soirée malgré les réprimandes de Corinne. Je leur réponds, sourire aux lèvres, amusée par leur réaction presque enfantine, et fais au mieux pour n’omettre aucun détail. Des retrouvailles au repas, en passant par les danses, notamment celles avec le prince, aux cadeaux, rien n’y échappe.
— Et encore, ceci n’était qu’un avant-goût de ce qui vous attend une fois que nous serons à Andarane, dit Ayleen qui m’aide à revêtir un peignoir de soie.
— Visites, interviews, événements officiels, liste Isla, épreuves, couronnement…
— Isla ! s’exclame Corinne d’une voix ferme.
La jeune femme se tait instantanément, le regard honteux, comme si elle en avait trop dit.
— Y a-t-il une chose dont vous êtes au courant et que je devrais savoir ? je les questionne perplexe.
Corinne et Ayleen lancent un regard de réprimande en direction d’Isla. Cette dernière aspire sa lèvre inférieure qu’elle se met à mordiller nerveusement. Un drôle de silence s’installe subitement autour de nous. Comprenant que je n’obtiendrai pas de réponse de leur part, je regagne la chambre, les trois jeunes femmes sur mes talons. J’en profite pour les congédier pour la nuit, ce à quoi Corinne réagit vivement.
— Lady Charlotte, nous…
— Vous m’avez suffisamment aidée comme ça pour aujourd’hui, je la coupe calmement mais fermement. La journée a été longue pour tout le monde et une bonne nuit de sommeil nous fera du bien à toutes.
— Mais...
Je me tourne dans un mouvement vif les faisant légèrement sursauter.
— S’il vous plaît. J’ai besoin d’être seule. Allez-vous reposer. Je sais qu’il y a une sonnette à côté de mon lit, je n’hésiterai pas à m’en servir si besoin.
— Promis ?
J’acquiesce.
— Dans ce cas, nous vous verrons demain matin. Bonne nuit Lady Charlotte.
— Bonne nuit.
Elles m’adressent une révérence et se retirent me laissant enfin seule. La porte à peine refermée derrière elle, je me laisse tomber sur mon grand lit, soulagée. Entre les événements de ce matin, les examens médicaux, ma fête anniversaire surprise, ma discussion avec Archie, ou encore ces petits détails, comme le nom de Reine Sauveuse ou encore le fait qu’Isla a laissé sous-entendre que j’assisterai au couronnement du prince à la fin de tout ceci, je dois reconnaître que je n’avais qu’une hâte, être un peu seule.
Je laisse échapper un soupir tout en me redressant et enfile le pyjama en soie tout propre posé sur mon lit. Une fois prête, je m’installe sous les couvertures, dans un vain espoir de trouver le repos. C’est bien évidemment sans compter sur mon esprit. Ce dernier refuse catégoriquement de se laisser aller entre les bras de Morphée, malgré mon être entier qui crie fatigue. J’ai beau me tourner dans tous les sens, rien n’y fait. Après une bonne demi-heure, je finis par accepter qu’il ne veuille pas se reposer et sors de mon lit. J’enfile ma robe de chambre et mes chaussons à la va vite, puis regagne le couloir plongé dans le silence et l’obscurité. La lumière de la lune filtre à travers les grandes fenêtres m’aidant à m’orienter sans avoir besoin d’allumer quelque ampoule que ce soit.
Je me fraie un chemin jusqu’à la terrasse dont m’ont parlé mes trois servantes, apaisée à l’idée que je vais pouvoir profiter d’un peu de calme et de fraîcheur, comme toutes ces fois au pensionnat lorsque Archie et moi n’arrivions pas à dormir. Nous attendions que tout soit éteint puis nous nous retrouvions sur le toit, biscuits et verres de lait chaud en main. Nous passions une bonne partie de la nuit à discuter de tout et de rien avant de retourner dans nos chambres respectives, de sorte à ce que personne ne s’aperçoive que nous avions disparu. J’émets un rire discret tandis que les images et pensées anxiogènes font place à ces souvenirs-là. C’était la belle époque.
— Charlotte ?
Je sursaute et relève la tête, subitement rappelée à la réalité. Mon regard se pose sur Auden et ses mains occupées par une couverture épaisse, un thermos et deux tasses en plastique.
— Laissez-moi deviner, vous n’arrivez pas à dormir.
J’émets un rire discret tout en m’humectant les lèvres. Il m’offre son bras que j’attrape avec plaisir tandis que nous finissons le trajet jusqu’à la terrasse.
— Vous me connaissez bien.
— Disons que j’ai été à bonne école. Entre les rapports sur vos petites escapades nocturnes avec Archie sur le toit du pensionnat ou bien toutes les fois où vous et moi nous sommes retrouvés à discuter dans les jardins du palais en pleine nuit, à cause de nos insomnies.
Les jardins du palais.
— J’ai donc bel et bien déjà vécu à la Cour ? je lui demande.
— Il y a quelques années de ça, oui.
— Et Archie et moi n’étions pas aussi rebelles que nous nous l’imaginions ?
— Non, loin de là bien au contraire, répond-il un sourire au coin des lèvres.
Nous nous asseyons sur un banc, côte à côte. Il passe la couverture autour de nos épaules tandis que je nous sers deux tasses pleines de chocolat chaud. Un silence agréable s’installe entre nous. Je prends une gorgée de ma boisson. La chaleur, mêlée à la fraîcheur de cette nuit printanière, me procure une douce sensation. Aussi étrange que cela puisse paraître, mon esprit semble enfin s’apaiser de par la présence familière d’Auden à mes côtés et cette impression de déjà-vu. Je lève la tête, le regard rivé sur le ciel étoilé. Ainsi installée, je sirote ma première tasse de chocolat chaud avant de m’en servir une deuxième.
— Comment se fait-il que je ne garde aucun souvenir de mon séjour au palais ? je finis par le questionner au bout de quelques minutes.
— Vos souvenirs ont été bloqués temporairement.
Bloqués ? Je tourne abruptement la tête, perplexe.
— Nous avons des techniques qui permettent de bloquer, voire de supprimer totalement les souvenirs d’une personne, m’explique-t-il. Dans votre cas, il a été convenu avec vos parents que vos souvenirs seraient bloqués jusqu’à ce que vous soyez en âge de connaître la vérité.
— Pourquoi ?
Il détourne le regard, visiblement tendu. J’attrape ma tasse d’une main et glisse l’autre sur sa joue attirant son attention.
— Pourquoi mes souvenirs ont-ils été bloqués ? je répète calmement.
— Je ne pensais pas en arriver aussi vite à cette discussion, mais puisqu’il le faut… (Il attrape ma main posée contre sa joue me faisant frémir). Votre histoire n’est pas aussi simple que vous le croyez, Charlotte. (Il s’interrompt, son regard bien ancré au mien). Votre père, maintenant chef des Egalitaires, est un parent éloigné de Frederick Woods, chef des Anarchistes. Votre mère biologique, quant à elle, est issue de l’une des familles les plus influentes d’Andarane.
— Vous voulez dire que…
— Vous êtes une Cinquante. Vos parents viennent de deux classes sociales différentes. Vos grands-parents maternels ayant tout fait pour empêcher l’union de vos parents, votre père a tenté de vous enlever, Dylan et vous, lorsque vous étiez enfants. Il a été arrêté une première fois et un premier accord a été passé, stipulant que vos souvenirs seraient bloqués temporairement, à condition qu’il reste dans le village choisi par mes parents afin que nous puissions garder un œil sur vous. Ce qu’il n’a bien évidemment pas fait.
Il s’interrompt le temps de reprendre son souffle, puis poursuit :
— Dès l’instant où nous avons fait l’erreur de baisser notre garde, votre père en a profité pour prendre la fuite avec votre frère et vous.
Le connaissant, ce n’est pas étonnant.
— Quand cela s’est-il produit ?
— L’année de vos huit ans. Ce qui veut dire que votre frère en avait dix. Mes hommes et moi avons passé les cinq années suivantes à vous chercher, et nous avons fini par vous trouver dans l’une des villes minières les plus pauvres du pays. Votre père avait naïvement cru qu’en vous cachant dans un tel endroit nous ne pourrions jamais mettre la main sur vous, mais il avait tort. Quant à la suite, vous la connaissez.
Oui. Je m’en souviens. J’en ai même rêvé pas plus tard que la nuit dernière, quelques heures avant que les choses ne prennent une tournure que je n’aurais jamais envisagée. Je comprends mieux maintenant ce qu’Auden voulait dire par « Comme nombreux d’autres avant eux, ils ont voulu jouer aux plus malins ». Cependant, il y a tout de même une question qui demeure.
— Comment se fait-il que mon père ait été épargné ? Je sais que ce qu’il a fait est considéré comme un acte grave, passible d’emprisonnement si ce n’est plus, pourtant vous ne vous en êtes pas pris à lui.
— Parce que nous avons passé un nouvel accord et il s’y est tenu. Non seulement, sa femme et lui n’ont jamais tenté quoi que ce soit d’illégal pour vous récupérer, Dylan et vous, mais il a aussi parfaitement joué son rôle en tant que chef des Egalitaires sans jamais vous en dire un mot. C’est d’ailleurs à cause de son nouveau rôle que Grâce et Kelly ont été placées, elles aussi au pensionnat.
Je vois. Je prends une gorgée de mon chocolat chaud que je savoure tout en essayant d’assimiler tant bien que mal ces nouvelles informations.
— Y a-t-il autre chose qu’il faudrait que je sache pendant que nous y sommes ?
— Cela dépend. A quel sujet ?
Je hausse les épaules :
— Un peu tout.
— Il n’y a rien de plus à dire en ce qui concerne votre père. Quant à votre famille maternelle, vous aurez l’occasion de les rencontrer et de leur poser toutes les questions que vous jugerez nécessaire.
Je hoche la tête :
— Et moi ?
— Eh bien…
Il se rapproche un peu plus et entrelace nos doigts ensemble. Je sens mon cœur faire de vives embardées tandis qu’il plonge son regard hypnotisant dans le mien, ses lèvres à seulement quelques centimètres des miennes.
— Il y a une chose que vous devez savoir sur vous et moi.
— Quelle est cette chose ? je murmure la voix légèrement éraillée.
Un éclair solennel traverse ses yeux. Un doux frisson me court le long de l’échine au contact de son souffle chaud contre ma peau.
— Vous allez devenir ma femme Charlotte. (Mon cœur marque un arrêt alors que je prends conscience de ce que cela signifie, avant qu’il ne le dise.). Ma femme et de ce fait, ma Reine.
** ** ** ** **