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2063 Mots
L’air glacial de cette nuit hivernale vient caresser ma peau. De la buée s’échappe de mes lèvres tremblantes. Auden m’encadre le visage de ses mains tièdes et douces, son regard d’un vert émeraude ancré au mien. — Je n’aime pas la Cour, j’admets d’une voix enfantine, mais je n’ai pas envie que nous nous quittions. Un sourire furtif effleure ses lèvres. Il colle son front au mien tout en resserrant son emprise sur mes joues. — Nous nous reverrons, me promet-il, peu importe l’accord passé, peu importe ce que cela me prendra mais je vous retrouverai et nous ne serons plus jamais séparés. ** ** Souvenir. Etrange souvenir entre le rêve et la réalité qui me revient en mémoire et qui ne cesse de se rejouer dans mon esprit, jusqu’au moment où le Docteur Turner me raccompagne dans la salle d’attente, m’obligeant à laisser ces images dans un coin de ma tête. Remerciant une dernière fois la jeune femme, je prends la direction de la chambre que j’occupe avec Archie, escortée par Corinne, Isla et Ayleen, soulagée à l’idée d’en avoir enfin fini. Nous passons une fois de plus devant la salle réservée aux blessés. Le calme règne dans la pièce, rompu seulement par le bruit de quelques machines installées à droite et à gauche, ainsi que le doux bruit des pas de deux femmes restées au chevet des patients. J’entre dans la pièce le plus silencieusement possible. Elles se tournent vers moi, une lueur surprise dans le regard tandis qu’elles m’adressent une révérence. — Milady. Je leur réponds d’un signe de tête discret, perplexe quant au titre qu’elles ont employé. Milady. Ne savent-elles pas que je ne suis qu’une des nombreuses protégées, originaire d’une petite ville minière où les conditions de vie sont des plus précaires ? — Que pouvons-nous faire pour vous ? Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule et me rends compte que Corinne, Ayleen et Isla se sont retirées. — Je venais seulement voir si vous aviez pu vous occuper des… — Mademoiselle Charlotte ? Je tourne la tête, surprise. Mon regard se pose sur un homme au corps à moitié couvert, le torse vêtu d’une chemise de corps dont le haut laisse apparaître un bandage. Je sens mon cœur se contracter à la vue de ce visage que je reconnais rapidement malgré les nombreux hématomes qui le couvrent. — Harrison. Je m’approche de lui et m’assois à ses côtés. J’attrape l’une de ses mains dans les miennes, mon regard ancré au sien. Un faible sourire vient étirer ses lèvres. — Ça me fait plaisir de voir que nous avons réussi à vous mettre en sécurité. — Certes, je murmure. Mais à quel prix ? je pense pour moi-même. Harrison exerce une pression réconfortante sur ma main, comme s’il sentait ma culpabilité. — Nous serions tous prêts à donner notre vie pour vous. Archie n’est pas le seul. Je hoche la tête, souriant tant bien que mal. — Je n’en doute pas. Harrison a toujours été prêt à nous couvrir pour nous laisser faire les quatre cents coups. Il y a même déjà pris part lui-même, notamment lorsque nous allions faire du patin sur le lac dans la forêt à l’extérieur du pensionnat en hiver. Un rire discret s’échappe de mes lèvres à cette idée. Notre vie là-bas n’aurait jamais était la même sans lui. — Ne vous en faîtes pas pour moi, ça va aller, m’assure-t-il me sortant de mes pensées. — J’espère bien. J’ai besoin de quelqu’un de confiance pour botter les fesses d’Archie et l’aider dans les Epreuves pour devenir Veilleur. Il rit, se redresse un peu pour tousser. J’attrape le verre d’eau posé sur sa table de nuit et l’aide à en prendre de petites gorgées. — Ar Banrigh Slanaighear, murmure-t-il d’une voix basse et rauque. Un drôle de frisson me parcourt l’échine à l’entente de ses mots. Notre Reine Sauveuse. Une lueur solennelle parcourt son regard. — Vous et le prince allez apporter La Paix Définitive au royaume. — La Paix Définitive ? je répète confuse. Il me répond d’un signe de tête affirmatif. — Qu’est… Je suis interrompue par l’arrivée d’Auden. Ce dernier a revêtu un uniforme noir assorti aux couleurs de ma tenue. Mon regard se perd une fois de plus dans l’océan émeraude du sien. — A bheil a h-uile duine deiseil, Ur Morachd ? demande Harrison. — Aye. Je coule un regard intrigué à Auden. L’ombre d’un sourire se dessine sur son visage tandis qu’un éclat mystérieux traverse son regard. — Vous allez voir par vous-même, dit-il en me tendant son bras que j’attrape volontiers. Il prend une inspiration, s’humecte les lèvres et redresse le dos, l’air serein et le regard fier. Je me tourne vers Harrison à qui je promets de revenir en fin de soirée. Lui et moi échangeons un signe de tête, puis je laisse Auden m’escorter jusqu’au niveau zéro où je m’attends à ce que nous regagnons la salle à manger. Au lieu de ça, nous continuons jusqu’à la salle de séjour commune au bout du couloir. — Puis-je me permettre de demander ce qui se passe ? je le questionne ne sachant pas ce qu’il mijote. Il se contente de sourire sans me répondre. Nous nous arrêtons devant l’entrée de la pièce. — Fermez les yeux, m’ordonne-t-il. — Altesse. — Aller, faîtes-le. Je soupire tout en secouant la tête, mais m’exécute quand même. Le bruit feutré de ses pas retentit sur le carrelage jusqu’à disparaître totalement. Silence. Mon cœur s’emballe sous l’effet de l’anticipation. Deux mains viennent se placer sur mes yeux me faisant sursauter. — Je vais vraiment finir par faire une syncope, je ris nerveusement. — Bhiodh e tamailteach, na smaoinich thu, bana-phrionnsa? Ce serait dommage, tu ne crois pas, princesse ? Je me retourne dans un bond et ouvre les yeux en grand. — Athair! Papa! — Co-là breith sona mo Aingeal. Joyeux Anniversaire mon Ange. Je me blottis entre ses bras ouverts avec joie, ravie de retrouver l’étreinte aimante de mon père après plus de six mois sans le voir. Nous nous serrons de toutes nos forces, profitant de cet instant père-fille rien qu’à nous. Un sentiment de sécurité s’empare de moi. Mon père est là. Ce dernier m’embrasse le front et se détache lentement de moi, son sourire toujours là, son regard gris bienveillant ancré au mien. — Prête pour la suite de la surprise ? me demande-t-il. Je le regarde confuse tandis que nous entrons dans la salle de séjour. La suite de… — Joyeux Anniversaire, Charlotte ! Je crie. Le bruit des rires et des serpentins résonne tout autour de nous. Avant même d’avoir le temps de comprendre ce qui se passe je me retrouve à passer de bras en bras, d’un visage familier à un autre. La musique retentit en fond. Becky, ses parents et son petit frère Jason. Cassandre, ses parents et son grand frère Léo. Ma mère, Grâce et Kelly, qui à mon plus grand soulagement n’ont rien. Archie, sa mère Debbie, sa sœur Eliane et le fiancé de cette dernière, Garrett. Je reconnais aussi bien évidemment mon oncle Max et ma tante Olivia, accompagnés de leurs enfants Meg et Jordan. Pour finir, il y a Tobby, le bras droit et meilleur ami de mon père, ainsi que son épouse Eryn et leurs enfants Hayden et Scott. — Que faîtes-vous tous ici ? je les questionne n’en revenant pas. — Nous étions supposés nous retrouver tous ensemble au pensionnat, sur invitation du prince, mais avec l’attaque nous nous sommes organisés pour embarquer sur le bateau sans que tu ne t’en aperçoives, m’explique Eliane. — Mais si tu n’es pas contente de nous voir, nous pouvons nous jeter à la flotte et rentrer à la nage, s’empresse de proposer mon oncle. Je lui assène une tape sur le bras faisant rire la petite assemblée autour de nous. — Bien sûr que si ! Je suis contente que vous soyez tous là. C’est juste que je ne m’y attendais pas. — Et moi, tu t’y attendais ? Dylan. Je fais un tour sur moi-même pour m’assurer que la voix de mon frère n’est pas un énième tour de mon imagination, mais non. Lui aussi est bel et bien là. Plus grand, plus musclé et le visage toujours aussi rayonnant que la dernière fois que je l’ai vu il y a deux ans, avant que son rôle d’Ingénieur en Chef de la Cour ne lui prenne tout son temps. Sans réfléchir, je cours jusqu’à lui et me jette dans ses bras qui se referment autour de ma taille tandis que nous tournoyons dans la pièce. J’entends le bruit d’un flash quelque part dans la salle mais je n’y prête pas attention, bien trop absorbée par l’instant présent. — Content de te revoir petite sœur, souffle-t-il. — De même grand frère. Nous nous détachons l’un de l’autre et échangeons un regard complice. Eliane s’approche de nous, un grand sourire au coin des lèvres. — Photo ! Je remarque l’appareil qu’elle tient entre les mains. C’était donc ça. La question est de savoir comment elle a pu se le procurer. Ces choses-là coûtent les yeux de la tête pour des gens comme nous. — Cadeau de bienvenue de la part de la famille royale, m’explique-t-elle devinant le fond de ma pensée. — Cadeau de bienvenue… — En tant que ta photographe et styliste personnelle. Je ne peux m’empêcher de lui jeter un regard surpris qu’elle immortalise d’un clic. Après cela, Dylan et moi prenons la pose d’abord rien que tous les deux, puis avec notre famille et enfin nos amis. La bonne humeur et l’insouciance s’installent autour de nous, chassant le temps d’un instant les souvenirs de l’attaque. Eliane donne l’appareil à Auden, resté jusque-là dans son coin afin de se joindre à nous pour une photo. Mon regard passe de l’un à l’autre des visages familiers regroupés autour de moi. L’idée que nous soyons tous réunis à l’occasion de mon anniversaire suffit à me mettre du baume au cœur. — Tenez, j’en ai pris quelques-unes pour être sûr qu’il y en ait au moins une correcte. — Merci. — Je vais vous laisser. Il nous salue d’un signe de tête avant de regagner l’entrée. Je m’empresse de lui courir après. — Attendez ! Il s’arrête et se tourne vers moi, captivant instantanément mon regard. Je m’approche de lui une main tendue dans sa direction. — Vous n’allez tout de même pas partir sans la traditionnelle danse d’anniversaire ? Ses lèvres s’étirent en un sourire furtif. Il attrape ma main tout en faisant un pas dans ma direction. Une sensation électrisante s’empare de moi au contact de sa peau douce et tiède contre la mienne. — Êtes-vous sûre que vous ne préfériez pas profiter de cet instant avec vos proches ? — Je ne vois pas en quoi le fait que vous soyez là m’empêcherait d’en profiter, je lui fais remarquer, et puis, quelque chose me dit que c’est grâce à vous que nous sommes tous réunis ici ce soir. — Ce n’est pas faux, acquiesce-t-il dans un rire. (Il prend une petite inspiration). Cependant, je pense qu’il vaudrait mieux que vous en profitiez entre vous. D’autant plus que je ne peux vous dire avec certitude quand une telle réunion sera de nouveau possible après ce soir. Je jette un coup d’œil furtif en direction de mes proches, tous occupés à discuter autour de la table, verres et assiettes en main, comme si de rien n’était. Première réunion tous ensemble en l’espace de cinq ans et probablement la dernière avant longtemps. Mais cela n’a pas d’importance. Malgré les désaccords du passé, il n’y a aucune raison pour que qui que ce soit se retrouve laisser pour compte ce soir. Pas si j’en décide autrement. Refermant mes doigts sur les siens, je me concentre à nouveau sur lui. — L’on m’a toujours appris que les moments festifs étaient propices à laisser les différends de côté afin que tout le monde puisse profiter de leur convivialité. Une douce lueur parcourt son regard à l’entente de mes mots. Je peux sentir ses doigts s’entrelacer aux miens resserrant l’étreinte de nos mains. — Vous êtes sûre de vous ? demande-t-il d’une voix basse et rauque. Je hoche la tête, déterminée : — Certaine. ** ** ** ** **
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