Point de vue de Rachel.
— Je passe te prendre à vingt heures, ça te va ?
— OK. A tout à l’heure alors.
Nous raccrochons en même temps. Ce soir, c'est notre premier "rendez-vous" officiel avec Nassim. Je ne sais pas encore où il va m'emmener, mais avec lui je peux être sûre que ce ne sera pas dans un restaurant étoilé sur Paris. Il n’est pas du genre romantique et tralala, c’est évident.
Je n'ai pas à sautiller de joie, ce n'est pas comme s'il allait se passer quelque chose entre lui et moi. Ce sera juste un rendez-vous entre personnes qui s'entendent bien et qui veulent simplement mieux apprendre à se connaître. Je sais, je sais. Au début, je dois avouer qu'il ne me plaisait pas trop – mentalement, je veux dire, parce que physiquement il est super beau-gosse ! Mais lorsqu'il m'a ramené chez moi après ma visite à l'hôpital, on a parlé un certain temps dans sa voiture. Et on a parlé de toutes sortes de choses, à vrai dire. Il m’a par exemple expliqué qu’il faisait parti d’un groupe de Rap avec son frère et qu’il commençait de plus en plus à se faire connaître. Je l'admets, finalement, notre conversation était assez intéressante et j'ai été agréablement surprise de lui. Moi qui pensais qu'il ne savait pas formuler une phrase sans placer un gros mot et rigoler comme un débile à tout bout de champ, et bah... OK, je n'avais pas tort. Oui il a dit des gros mots, et oui il rigolait presque à chaque phrase qu'il disait, mais au fond, j'ai ri moi aussi. Et presque à en verser des larmes, pour tout dire. Nassim est très marrant et en plus son sourire n'est pas désagréable à regarder. Bref, j'avais toutes les raisons du monde de taper la causette avec lui. Je suis pressée d’en faire de même ce soir.
Pour ma tenue, il n'y aura pas trente milles solutions : j’opte pour un jean avec une tunique. Je ne veux pas en faire trop avec une robe et des talons, c’est plus simple si je choisis le style décontracté tout en restant classe. Je lâche mes cheveux ondulés et me maquille de façon naturel avec des couleurs nude qui vont bien avec ma peau halée. J’ajoute un brin de mon parfum préféré dans mon cou et ma chevelure. Fin prête, je m’examine dans le miroir. Ça va, ce n’est pas la catastrophe.
— Waouh ! Tu as mis le paquet pour moi à ce que je vois, s’exclame Nassim une demi-heure plus tard.
Il m'ouvre la portière tel un gentleman (dois-je préciser qu'il a l'air de se forcer ?) et retourne derrière le volant après que je me sois bien installée dans sa voiture. Je ne peux m’empêcher de me sentir fière. Au moins, je ne me suis pas préparée pour rien.
— Tu savais que j'étais persuadée que tu détesterais ma tenue ?
— Ah ouais ? Bah c'est mal me connaître alors.
Ce petit pli au niveau de ses lèvres se relève. Maintenant que j’y repense, c'est dingue comme il me fait penser au gars de l'épicerie. Auraient-ils un lien de parenté ? A priori non, vu qu'ils ne traînent pas au même endroit...
— En tout cas t'es la première meuf qui se ramène en t-shirt et jean à un de mes rendez-vous, ajoute Nassim. J'aime ça.
— Il y en a eu autant que ça ? fais-je en réprimant une grimace.
Savoir que je passe là où des centaines d'autres ont dû passer, ça ne m’enchante pas trop. Oui, c’est clairement mon ego féminin qui parle.
— Tu n'aimerais pas savoir la réponse, conclut-il en tournant à gauche.
— Hum.
Un petit silence s’abat dans l’habitacle. Ce genre de blanc, c’est vraiment ma phobie. Vite, qu’il dise quelque chose, n’importe quoi !
— Sinon ! lance-t-il à ma plus grande satisfaction. J'espère que tu aimes la bouffe chinoise ? J'ai grave la dalle et je me suis dit qu'un bon Wok ferait l'affaire.
— Ça me va, dis-je.
— Cool alors. De toute façon c'était soit ça soit grec en bas de chez moi.
Je me disais bien qu'il n'allait pas le faire gentleman toute la soirée...
***
— Alors, c’est bon ?
— Ouais. Tu veux goûter ?
Nassim ouvre grand les yeux.
— Ouais, vas-y, fait tourner.
Au moment où sa fourchette atteint l'assiette, je mets ma main de sorte à lui barrer la route.
— C'était une blague, fais-je en ramenant la fourchette vers lui. Je partage pas la nourriture, moi.
— T'es sérieuse ? (Il a l'air totalement désarçonné.) Mais quel crevarde !
— Sache que la bouffe, chez moi c'est de nature, c'est ma drogue et je ne peux pas partager. Navrée.
J'arbore un visage faussement triste. Nassim fronce les sourcils et lâche un petit soupir. J’aime bien quand les rôles s’inversent et que c’est moi qui prends le dessus. Ça me donne l’impression de tout contrôler et de me sentir plus importante.
La serveuse vient à notre table. Comme si je n’existais pas, elle se met à échanger deux trois mots avec ce qui me sert de compagnon de soirée. Elle repart dans l'autre sans m’avoir accordé une once d’attention. Je me braque sous les yeux d’un Nassim malicieux.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquiert-il, mais je sens qu’il dit ça pour me provoquer.
— Rien. Il n’y a rien.
— Avoue-le, tu es ja…
— Non, ne finit pas ta phrase. Mange, dis-je.
Je vois bien qu'il est dubitatif, mais je m'en fiche. Il n'avait qu'à pas parler avec cette pouffe.
Non je rigole, j'avais juste envie de bouffer sans devoir m'interrompre pour lui répondre. A quoi vous attendiez-vous ?