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2065 Mots
Les derniers mots de la Reine ne cessent de se rejouer dans mon esprit tandis que nous regagnons la grande salle à manger où Aikon et la cour nous attendent. Mon regard croise celui de mon fiancé qui, d’un geste de la main, m’invite à prendre place à sa gauche. Je le gratifie d’une révérence et m’exécute le cœur battant. — Bon appétit à tous ! s’exclame-t-il. Nous nous asseyons. Il en profite pour me prendre la main : — J’ai entendu dire que ma mère t’avait convoquée dans ses appartements. J’acquiesce : — Elle tenait à m’informer des quelques premiers détails de l’organisation des jours et mois à venir. Il rive ses yeux sur moi. Un frisson me parcourt la colonne vertébrale au contact de ses lèvres sur le dos de ma main. — Nous en parlerons tout à l’heure, mime-t-il avant que son attention ne soit sollicitée ailleurs. Je lui souris. Malheureusement pour lui, impossible de tenir sa promesse. Le petit-déjeuner à peine fini, son Sénéchal lui fait savoir que ses conseillers l’attendent dans la salle de réunion. Je le regarde donc s’éloigner, une pointe d’amertume dans le cœur à l’idée qu’il puisse s’agir d’informations concernant mon géniteur. La Reine m’invite à la suivre. Je lui emboîte le pas, à la fois anxieuse et soulagée de savoir qu’elle va superviser mes leçons du matin, données pour mon plus grand plaisir par Annaëlle et Eva, au grand désarroi de la Comtesse Mac Gabhann et des autres Dames à qui l’on confie généralement la tâche. Contre toute attente, l’étude du Cérémonial et des mariages princiers s’avèrent plus intéressante que ce à quoi je m’attendais. — Les Banshee et les Enchanteresses, comme tu le sais, ne se reproduisent pas. Les Elfes ont leurs propres coutumes qui varient en fonction des familles concernées et de leur rang. Quant à chez nous, les Loups, les festivités matrimoniales s’organisent en trois temps : le Marquage, le Mariage en lui-même, et le Lien, m’explique Eva. — En quoi consistent le Marquage et le Lien ? je demande curieuse. Elle se tourne vers sa tante, les joues légèrement pourpres. La Reine s’approche, un sourire aux lèvres. Elle s’assied à mes côtés et abaisse légèrement sa manche de façon à révéler la marque sur son épaule. Un D pour son époux. Un A pour elle. — Aikon et toi recevrez une marque similaire chacun à votre tour, m’explique-t-elle. (Elle se relève.) En ce qui concerne le Lien, il scelle l’union entre un Alpha et sa Luna. Une fois établi, rien ne peut le briser, pas même la mort de l’un des deux. Dans un cas classique, l’un et l’autre reçoivent une morsure. Cependant, étant donné la situation, tu seras la seule à en recevoir une. Mon cœur bondit dans ma poitrine : — Est-ce que cela veut dire que je vais devenir une louve ? — Si tu avais été entièrement humaine, sans aucun doute. Étant donné les gènes que tu tiens de ta mère, il est plus probable que tes dons se renforcent, voire que tu en développes de nouveaux. — À moins que tu ne sois la Madadh Geal, intervient Annaëlle. Eva lui assène une tape à l’arrière de la tête. La Reine la tance d’un regard sévère, les lèvres pincées. — Qu’est-ce que la Madadh Geal ? je tente tout de même. — Rien qui nécessite que nous nous y attardions pour l’instant, tranche la Reine. Elle frappe dans ses mains. Les portes s’ouvrent. Fiona entre dans la pièce, suivie d’une horde de servantes dont Liv, Louison et Isobel. M’attrapant par les mains, ma servante me guide derrière un paravent. Nous commençons les essayages de nouvelles robes, toutes plus sublimes les unes que les autres et dignes d’une véritable reine. Ma préférée est celle que je porterai ce soir : d’un beau rouge sombre qui s’éclaircit de la taille jusqu’au bas du jupon légèrement bouffant, rappelant la couleur de l’eau de la fontaine qui n’est plus. Le dos est dénudé, et une ceinture assortie permet de la resserrer au niveau de la taille. Annaëlle et Eva émettent de petits cris enthousiastes tandis que je m’avance au centre de la pièce et fais un tour sur moi-même. — Et voici la pièce maîtresse ! La Reine s’approche. Le cœur battant, j’ouvre la grande boîte qu’elle tient entre ses mains. Mes doigts se referment sur le doux tissu de la robe que j’en extirpe avec soin. Un souffle surpris m’échappe. Les manches sont entièrement en dentelle. Le bustier, coupé de manière à épouser les formes de ma poitrine, ainsi que le jupon et la longue traîne, sont décorés de fines fleurs rouges et dorées, couleurs des maisons Gwynfor et Cranham. Je me retire derrière le paravent le temps de l’enfiler. Lorsque je m’avance à nouveau, je suis accueillie par des chuchotements et des regards admiratifs. — Il faudra la réajuster un peu au niveau de la taille, remarque la Reine. Elle claque des doigts. Louison et Isobel m’apportent deux dernières boîtes que j’ouvre quelque peu intriguée. — Une tenue d’équitation ? je demande perplexe. — Aikon étant quelque peu occupé, il est prévu qu’Eva, Annaëlle et toi alliez faire une promenade à cheval cet après-midi. — Juste nous trois ? — Oui. Je plisse les yeux : — Si cela a quelque chose à voir avec Michael… — Ne te soucie pas de lui, me coupe gentiment la Reine. (Elle attrape mon visage, me forçant à la regarder droit dans les yeux.) Occupe-toi des quelques derniers moments d’insouciance et de liberté que te confère ton statut de fiancée. Nous nous occupons du reste. Elle m’embrasse le front, sans un mot de plus, et m’invite à me changer mettant un terme à notre conversation. Je retourne derrière le paravent tandis qu’Annaëlle et Eva s’isolent dans la salle de bain. — Dépêchez-vous ! Les chevaux et le pique-n***e sont prêts ! s’exclame la Reine. Je chausse mes bottes à la va vite et attache mes cheveux en une queue de cheval haute. Les filles et moi quittons mes appartements en courant, malgré les remontrances de la Reine et de Fiona. Après tout, je ne fais que suivre les conseils de ma belle-mère en devenir. Nous arrivons dans les jardins en un rien de temps. Annaëlle est la première à monter en selle. Eva et moi l’imitons rapidement. Un petit groupe de gardes nous suit de loin. Nous nous lançons dans une course effrénée dans l’espoir de les semer. Malheureusement, la ruse ne prend pas. Nous finissons donc par nous résigner à passer le déjeuner et l’après-midi en leur compagnie, jusqu’à notre retour au palais, après quoi domestiques et femmes de chambre prennent la relève. J’opte pour une douche rapide, puis je revêts la robe que Fiona m’aide à fermer. Je trépigne sur place pendant qu’elle s’attèle à mon maquillage et à ma coiffure : des nattes et des ondulations enlacées de sorte à créer une couronne tressée, à laquelle elle ajoute des petites fleurs. — Merci Fiona, je lui dis en lui jetant un regard à travers le miroir. Elle me gratifie d’un sourire. La porte de ma chambre s’ouvre à la volée. Eva et Annaëlle apparaissent dans l’embrasure. — Terrence, Audran et les autres sont presque prêts, m’informe ma cousine. (Une lueur espiègle parcourt son regard.) Ton Prince Charmant est déjà en bas. Sourire aux lèvres, je prends une longue inspiration et sors dans le couloir. Mon cœur bat la chamade. Je regagne le rez-de-chaussée d’un pas aussi mesuré que possible. Mon fiancé se tient à quelques mètres des escaliers, en pleine discussion avec deux gardes. Je le hèle, sautillant à moitié jusqu’à lui, sous le regard réprobateur de quelques courtisans. — Toujours prête à te faire remarquer, rit-il. — Toujours. Tes conseillers ont enfin fini de t’accaparer ? je m’enquiers passant mon bras autour du sien. — Disons que nous avons beaucoup de choses à traiter, et qu’il est fort probable que je passe la soirée à jongler entre discussions avec eux et danses avec toi. Je me rembrunis : — S’ils ont quelque chose à me reprocher quant au fait que je suis la fille de Michael Foley, qu’ils le fassent directement au lieu de t’accaparer de la sorte. — Eden… (Il soupire. Son regard jongle tout autour de nous comme pour s’assurer que personne ne nous prête attention.) Viens. Il glisse sa main dans la mienne. Nos doigts s’entrelacent. Discrètement, nous faisons demi-tour pour rejoindre l’étage supérieur de l’aile. Celui des appartements du couple royal. La pièce dans laquelle nous entrons est immense. Un salon privé à en juger par les meubles. Deux à trois fois plus grand que le mien. Un ensemble de bibliothèque trône contre le mur de gauche. — C’est vrai qu’il n’y a pas assez de livres à la bibliothèque du palais, je commente. Il esquisse un sourire : — Ceux précieusement gardés ici sont protégés. Il m’adresse un clin d’œil et relâche ma main. Je m’assois à la table au centre de la pièce, le regard rivé sur lui. — Madadh Geal. Je tressaute, surprise. Trois livres à la couverture ancienne surgissent des étagères et atterrissent dans ses bras. Aikon les pose sur la table tout en s’asseyant à mes côtés. D’un signe de tête, il m’invite à en prendre un. J’attrape le premier, le plus fin des trois. La Prophétie de la Louve Blanche. — Définition. La voix d’Aikon me surprend. Les pages tournent d’elles-mêmes entre mes doigts. Elles s’arrêtent sur une magnifique gravure représentant une jeune fille se métamorphosant en un loup blanc. La Louve Blanche. Luna exceptionnelle aux dons rares et dont l’existence permettra d’établir une entente définitive entre les puissances surnaturelles et les humains. Je lève les yeux : — En quoi est-elle exceptionnelle ? — Pouvoirs de la Louve Blanche. Les pages tournent à nouveau. Je survole les lignes. Projection astrale. Télépathie. Force. Vitesse. Contrôle des Quatre Eléments. Compréhension. Compassion. Dévouement. — Tes conseillers ont donc peur de moi pour ça ? je ris nerveusement. — Non. (Il attrape le second livre qu’il ouvre sans hésitation.) Ils ont peur de ça. Il le glisse sous mon nez. Un frisson glacial me parcourt le corps. En parfait contraste avec la gravure précédente, celle-ci me donne la chair de poule. Au centre se trouve une jeune fille apeurée et en détresse. L’ombre du loup qui l’entoure laisse supposer qu’elle est sur le point de se métamorphoser en quelque chose de féroce. Le loup blanc est au sol. Blessé. Un symbole étrange les entoure passant par de plus petits symboles, parmi lesquels celui des loups, celui des elfes et de nombreux autres. Des peuples surnaturels dont l’existence n’a encore jamais été prouvée à ce jour. Prenant une inspiration, je lis le texte qui accompagne la gravure : — La Louve Blanche sera le fruit de l’un des descendants directs de Michael Sealgair, Premier Chasseur, et de Breena Keelin Cailleach, l’une des Premières Elfes, maîtresse des Quatre Eléments. À la Mercie de l’homme qui lui aura donné la vie, la Louve Blanche pourrait devenir l’arme du chaos pour tous. Symbole de paix ou de destruction… — Rien n’est encore certain. Je referme le livre, exaspérée : — Je ne vois pas ce que cela prouve à mon sujet, je remarque. Aikon m’attrape la main dont il caresse le dos avec son pouce. — Tout. (Il ancre son regard au mien.) Tu es la Louve Blanche. Tu es la Louve Blanche. Ces mots me font l’effet d’un coup dans l’estomac. Je suis la Louve Blanche…Moi. Les trompettes résonnent dans le lointain. Aikon se lève, ma main toujours dans la sienne. — Attends. (Il baisse les yeux sur moi.) Comment peut-on être sûr qu’il s’agit bien de moi ? — Nous nous sommes renseignés sur tes ancêtres, notamment du côté de ta mère, et Michael Foley en a fait de même de son côté. Je frémis : — Il a l’intention de se servir de moi comme d’une arme, n’est-ce pas ? — Non. (Il glisse une main sous mon menton.) Après notre union, nous essaierons de trouver une possibilité d’annihiler une partie de tes pouvoirs. Ton père biologique ne fera pas de toi une arme. Je t’en fais la promesse. Sur ce, il m’embrasse sur le front et, m’offrant son bras, m’escorte jusqu’à la salle de bal. ** ** ** ** **
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