CHAPITRE 6

710 Mots
6 «Maintenant, j’ai bien droit à une petite mousse!» Le commissaire Norbert Simon jeta un dernier coup d’œil à son bureau et ferma la porte avant de se diriger vers l’ascenseur. Il se sentait léger, heureux. Il avait passé la matinée à mettre de l’ordre dans un dossier désormais jugé et dans lequel il avait particulièrement bien mené son affaire. Grâce à un indicateur précieux, son équipe était parvenue à arrêter le meurtrier d’une prostituée poignardée trois ans auparavant dans son studio de travail aux Glacis-de-Rive. L’affaire avait fait les beaux jours de la presse locale, de par le profil de la victime. La prostituée d’origine espagnole, devenue veuve millionnaire à la suite d’un mariage avec un riche Italien, restait tellement appâtée par l’argent qu’elle continuait à venir régulièrement tapiner à Genève alors qu’elle menait une vie très mondaine à Milan. Quand le corps lacéré de coups de couteau fut découvert, on avait immédiatement misé sur un crime crapuleux. Bijoux et objets de valeur avaient en effet disparu de la chambre intégralement fouillée par le présumé meurtrier. Et puis plus personne, plus rien. On avait évoqué le racket, mais très vite, la police des mœurs tout comme les prostituées avaient repoussé cette hypothèse: à Genève, aucun milieu n’était vraiment parvenu à s’installer et beaucoup de péripatéticiennes pouvaient exercer librement leur travail. Si ce n’était pas une opération de menace, qu’en était-il alors? Le temps passa, et le commissaire, tout en démêlant d’autres affaires comme l’affaire Nerval de la rue Léon-Gaud, était parvenu à débusquer un témoin qui se faisait fort de ramener le meurtrier du Sud de la France où il avait fui. Des petits mafieux de bas étage ou prétendus tels. Le tueur affirma par la suite que, jeune et influençable, il avait été convaincu de commettre ce délit comme une forme de bizutage d’entrée dans un clan mafieux. Au bout du compte, on ne sut jamais très bien ce qui avait motivé l’acte, mais le jeune homme avait reconnu son crime, et la Cour d’Assises venait de le condamner à onze ans de réclusion. Après avoir attendu quelques semaines pour un éventuel recours de l’une ou l’autre des parties au procès, le commissaire Simon venait de clore le dossier, de refermer la chemise avant de la classer dans les archives. Un soulagement, une victoire renforcée encore par la condamnation prononcée par la Cour d’Assises qui conférait au travail du policier une sorte de satisfecit qu’il goûtait avec plaisir. Un fameux et très helvétique «bonheur du travail bien fait» dont il ne rougissait pas. Sur un tabouret, face au zinc de la brasserie, Simon sortit sa boîte de Café-Crème et alluma un de ses petits cigares avec ses traditionnelles allumettes en bois. La vie de Simon, ces dernières années, n’avait pas été étourdissante de bonheur. Finalement, seul le travail lui offrait les satisfactions qu’un homme de son âge aurait trouvées dans sa vie privée. Mais il n’en voulait à personne. Il était seul par choix, celle qui l’avait abandonné dix-neuf ans plus tôt était si vivante dans sa mémoire qu’il ne pouvait faire autrement. Bien sûr, des femmes, il en avait croisé. Principalement au cours des enquêtes qu’il avait menées. L’homme sensible qu’il était avait perçu chez plus d’une cette douceur qui lui manquait tant. Il réalisa soudain qu’il n’avait plus vu Alix Beauchamps depuis longtemps. La jolie rousse était journaliste à La Gazette de la rue des Savoises. Rédactrice en charge des faits divers, elle accompagnait souvent les dossiers jusqu’au procès. Elle avait donc suivi la Cour d’Assises qui jugeait l’assassin de la prostituée. Simon l’avait croisée là pour la dernière fois. Depuis, peu d’affaires l’avaient conduit à la salle de presse, et pas une seule fois Alix ne l’avait interrompu par un coup de fil toujours pressé ou n’avait tenté de savoir, de sa voix exigeante, tout ce qu’il ne pouvait pas lui dire. Deux affaires surtout les avaient rapprochés. De la méfiance et de la colère qui régnaient au début de leur itinéraire commun, Simon ressentait aujourd’hui, en pensant à elle, une sorte d’amitié, de bonhomie. Alix, décidément, était une femme intéressante et drôle. Il savait qu’elle avait ses blessures, elle aussi. Il s’étonnait de n’avoir plus de nouvelles. Il faudrait que je m’informe, se dit-il. Et il sourit de plus belle: s’informer par la b***e? Et pourquoi ne pas l’appeler directement? Il venait de se prendre lui-même en défaut, comme un amoureux qui n’ose décrocher son téléphone… Amusé par cette pensée, il finit sa bière d’un trait, se leva et retourna vers l’Hôtel de Police. Fin novembre, pour tout le monde, le ciel était gris. Pour lui, aujourd’hui, il s’éclaircissait. Simon sourit. C’était très rare.
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