Chapitre 7

3124 Mots
Johanna se colla à son oreiller et ne voulut plus s’en débarrasser pour rien au monde. Elle voulait dormir pour toujours. Elle n’était pas étrangère à ce qui s’annonçait pour elle : cet endroit ne lui était pas connu et elle n’avait pratiquement rien sur elle comme sous, pas un seul ami et pour couronner le tout, son futur lui semblait tellement sombre ! C’était la solitude totale pour elle, abandonnée à elle-même et seule dans un monde gigantesque et effrayant. Elle sentit des larmes lui monter aux yeux, et elle serra ses paupières pour ne pas les laisser couler. Elle ne voulait pas pleurer. Elle détestait ça. Elle avait versé assez de larmes quand Tobey l’Avait mise dehors et lui avait collé la honte devant Maggie, son autre conquête. Ce n’était que trop de pleur quand elle Avait raconté la situation à ses amis, puis lorsqu’elle expliquait les faits à ses parents. C’est sûr maintenant que ces réserves de larmes s’étaient épuisées. Elle se coucha sur le dos et fixa le plafond blanc. Ils étaient déja chez Sandy au milieu de la nuit. Elle habitait dans une vieille maison victorienne en très bon état malgré son grand âge. Johanna Avait été surprise de trouver la vieille dame encore debout, mais Curtis lui Avait expliqué qu’elle aimait regarder de vieux films en noir et blanc jusqu’à l’aube en sirotant des gin tonic, ce qu’elle préférait en matière de cocktail. Sandy n’avait pas du tout hésité à la faire entrer et lui Avait montré sa chambre à l’étage. Elle était décorée dans des tons rouge sombre. Le lit à baldaquin était recouvert d’une épaisse couette couleur cerise avec un drap housse assorti. Les housses d’oreillers couleur crème avec des monogrammes brodés apportaient un contraste agréable avec les teintes plus foncées. Les murs étaient recouverts d’un papier peint texturé rouge qui rappelait l’âge de la maison. La chambre n’était pas assez meublée mais donnait bien satisfaction. On avait disposé le lit contre le mur, avec une table de chevet de chaque côté. Deux grandes baies prenant toute la hauteur du mur étaient encadrées d’épais rideaux rouges. Une chaise de style Iscarien et un repose-pieds assorti étaient installés près de l’une d’elles avec une lampe, créant un petit coin parfait pour regarder la petite ville au chaud pendant les nuits glacées. La bonne surprise dont elle n’en revenait pas c’était que la chambre avait une cheminée. Johanna Avait toujours rêvé de dormir devant un feu de cheminée. Si son séjour ici se prolongeait par elle ne sait quel miracle, elle devrait demander à Sandy comment se servir de la cheminée. — Je ne sais même pas combien coûte la chambre. Elle enfouit le nez sous la couette et s’essuya les yeux. Elle était si épuisée la veille qu’elle n’Avait pas pensé à prendre connaissance des tarifs. Sa nouvelle vie aurait pu commencer d’une meilleure façon. Elle regarda dans la direction de la fenêtre. Elle arrivait presque à discerner le Great Bar depuis son lit. Elle Avait fait de son mieux en cuisine hier soir, mais elle ne savait pas si le plat Avait vraiment séduit Curtis ou s’il était juste affamé et aurait bouffé n’importe quoi. Curtis était un mystère. Elle ne connaissait toujours pas son nom de famille. Il n’était pas fait pour la cuisine de toute évidence et, d’après Gestrude, il était incapable de préparer ne serait-ce qu’un croque-monsieur. Et tenir le bar ne semblait pas particulièrement être un hobbie pour lui. Pourquoi acheter un bar s’il détestait ça ? — Il vit peut-être des choses comme moi j’en vie, dit-elle avec un petit rire. Peut-être qu’il n’a pas eu le choix, lui aussi. En dessous de sa musculature intimidante et son air renfrogné, Curtis était très séduisant. Plus que ça : il était à tomber. Mais d’une manière tout aussi dangereuse. De longs cheveux blond foncé et des yeux vert intenses, un visage si beau que le regarder faisait mal. Son jean sombre et son t-shirt étiré au maximum sur les muscles de son torse lui donnaient l’air d’un videur, certainement pas quelqu’un qui devait avoir un restaurant à charge. Cependant ça importait peu. Elle était là pour prendre un nouveau départ dans sa vie. Elle espérait arriver à économiser un peu d’argent et découvrir ce qui lui était vraiment destiné dans la vie. Elle pourrait peut-être même reprendre des études, obtenir un diplôme. Une chose était sûre : elle ne voulait plus jamais dépendre d’un homme. Peu importe si elle l’aimait éperdument ou pas. Dans le lit elle se tourna et jeta un coup d’œil à l’éveil. Presque huit heures. Même si elle en Avait envie, elle ne pouvait pas se rendormir. Elle devait se lever et aller à la rencontre de sa nouvelle vie. Curtis l’attendrait au bar. Il lui Avait dit de passer dans la matinée pour discuter du poste. C’était au moins quelque chose qui augurait bien. Elle se mit sur ses deux pieds et marcha à pas feutrés dans la chambre. Elle rassembla des vêtements propres, sa trousse de toilette et de maquillage, puis elle prit un peignoir sur un crochet près de la porte et l’enfila. Elle n’avait aucune idée du nombre exact de personnes qui logeaient chez Sandy, et elle ne voulait pas aller jusqu’à la salle de bains à demi-nue de peur de tomber sur inconnu. Elle entreprit de traverser le couloir jusqu’à la salle de bains, referma la porte et tourna le verrou. Elle brancha le petit chauffage électrique posé sur le sol. Il s’alluma en ronronnant et remplit progressivement la pièce de chaleur. Johanna sourit en découvrant la baignoire à pieds. Juste après qu’elle ait trouvé des gants sous le lavabo, elle s’agenouilla près de la baignoire, ouvrit l’eau et ajusta la température jusqu’à ce qu’elle soit parfaite. Elle ajouta du bain moussant dont elle avait fait la trouvaille juste près des serviettes. Elle enleva ce qu’elle portait, et resta interdite en voyant ce que le miroir derrière la porte lui renvoyait. Toute sa chevelure blonde retombait en boucles souples sur ses épaules et son dos mince. Elle Avait toujours été fine, mais elle ne pesait plus grand chose depuis que son monde Avait été mis sens dessus-dessous, ce qui accentuait la façon dont ses côtes apparaissaient sous sa peau et le creux de son ventre. Les os de ses hanches saillaient et ses jambes étaient presque maigres. Elle Avait l’air malade. Elle s’intéressa maintenant à son visage. Il y’avait des cernes sombres qui marquaient le dessous de ses yeux bruns, des yeux que les gens qualifiaient souvent de dorés plutôt que marrons. Ses lèvres pleines paraissaient encore plus charnues avec ses joues creuses et son teint pâle. Souvent, elle était bronzée toute l’année, même en hiver, mais depuis qu’elle Avait quitté le Mississippi pour le Denver, elle ne s’était plus exposé au soleil depuis. Elle ne se reconnaissait plus. Elle fit l’effort de détourner le regard et ouvrit le placard sous l’évier. Après avoir cherché un élastique sen vain, elle trouva des épingles à cheveux. Elle fit ses cheveux en un magnifique chignon. Elle fit stopper l’eau qui coulait dans la belle baignoire, entra dans le bain et se tassa tout au fond. Elle n’en sortit qu’au moment où l’eau devint vraiment froide et enfila un jean noir avec un haut crème à manches longues. Elle prit l’initiative d’ajouter un peu de couleur à son visage en mettant de l’ombre à paupières brune et du mascara. Elle ne possédait pas de blush ; elle Avait toujours eu un teint bronzé et ne voyait pas la nécessité d’en avoir. Elle se pinça les joues pour les faire rosir puis appliqua un peu de gloss rose sur ses lèvres pour la touche finale. Ensuite elle fit briller sa chevelure en la brossant. Contente maintenant de ce qu’elle voyait, elle ramassa le peignoir et sortit de la salle de bains. Elle était à mi-chemin dans le couloir quand une porte s’ouvrit et que la personne qui sortit précipitamment de la pièce se cogna contre elle. Elle trébucha en arrière et sa trousse de toilette lui glissa des mains. — Oh, mince. Je suis vraiment désolé. Un jeune homme blond aux yeux bleus s’agenouilla pour ramasser ses affaires avec un désemparé. — Ce n’est pas grave. J’aurai du prêter plus d’attention à où j’allais, assura-t-elle avec un rire nerveux en se penchant à son tour pour ranger les objets éparpillés à même le sol — Non, c’est vraiment ma faute. Il se leva et lui tendit le reste de ses affaires avec un sourire amical. Elle le lui rendit. — De ce que j’en savais, il n’y avait personne d’autre qui logeait chez Sandy, ajouta-t-il. — C’est hier très tard le soir que je suis venu, dit-elle en lui tendant la main. Je suis Johanna. — Michael. Il lui serra la main en souriant. Elle sentit que c’était un humain. — Je suis ravie de te connaitre, Michael, dit-elle en serrant le peignoir en boule contre sa poitrine. — Moi aussi. Si j’Avais su que Sandy allait héberger une aussi jolie fille, je serais resté plus longtemps, dit-il avec un sourire espiègle. Pourquoi les humains croyaient-ils que les femmes aimaient qu’on leur parle comme ça ? — C’est alors une p****n de bonne chose que tu t’en ailles, grommela une voix grave derrière elle. Son sang se figea. Elle reconnut immédiatement la voix rocailleuse. Elle jeta un regard à Michael du coin de l’œil. Il n’était plus du tout souriant. Il regardait quelqu’un de très grand au-dessus de l’épaule de Johanna. Elle se retourna. — Johanna, tu es prête ? demanda Curtis. Ses yeux vert vif étaient plissés. L’espace d’un instant, elle se sentit coupable, comme si elle venait d’être prise en faute. — Bien sûr, donnes moi juste le temps de poser mes affaires et prendre mon sac. Elle se dépêcha en direction de sa chambre. Elle ne prit pas la peine de ranger ses affaires, se contentant de tout poser au pied du lit, puis chercha frénétiquement son sac et le trouva près de la penderie. Rapidement elle le mit sur un épaule, prit sa clé puis ferma. Curtis était seul, sa silhouette musclée semblant faire rétrécir le couloir. Il n’arrêtait pas de la regarder. — Où est Michael ? — Parti, répondit-il. Tu es prête ? — Oui. Mais je dois trouver Sandy pour la payer. Elle se mit à fouiller dans son sac pour trouver ses économies, qui s’amenuisaient à toute vitesse. — Ce n’est pas nécessaire. Tu paies à la fin du mois, dit-il en se tournant vers l’escalier. Elle accéléra pour rester à sa hauteur malgré ses grandes jambes. Elle remonta la lanière du sac sur son épaule et envoya la clé dans la poche. — Le hic c’est que je n’ai aucune idée de ma durée dans cet endroit. — Ça dépend si tu veux la place ou non. — Bien sûr que je veux la place. Un regard en coin pour jauger son expression mais c’était difficile pour elle de le cerner. — Donc, la durée de ton séjour ici ne dépend que de toi, fit-il en descendant les marches beaucoup plus rapidement qu’elle. Elle resta derrière lui en posant la main sur la rampe. — J’ai donc décroché le job ? En cuisine ? demanda-t-elle, le cœur battant. Mais on n’a jamais discuté du salaire, des horaires ni de quoi que ce soit. Il stoppa net et lui fit volte-face au milieu des escaliers, lui accordant tout son attention. Elle eut la sensation que ses joues s’étaient mis à chauffer sans comprendre pourquoi elle se sentait gênée. C’étaient des questions raisonnables, et il aurait dû les aborder Avant de lui proposer le boulot. Elle n’Avait pas la moindre idée du salaire d’un cuisinier. Elle serra son sac contre elle. Il ne lui restait plus qu’à espérer qu’il n’allait pas essayer de l’arnaquer. — J’ouvre le bar sept jours sur sept, mais je vais peut-être commencer à fermer le dimanche. — Ça paraît logique, dit-elle en hochant la tête. — Je paie vingt dollars de l’heure. Et tu as un jour de libre dans la semaine sans compter le dimanche, donc techniquement tu as deux jours de congés. Tu peux choisir lequel, mais je préférerais que tu ne prennes pas les jeudis, vendredis ou samedis. — Ce sont les jours où y’a plus de monde. Je comprends tout à fait. Je dois admettre que je m’attendais à moins de vingt dollars de l’heure, ajouta-t-elle en levant les yeux vers lui. Il pencha la tête dans sa direction. — Je t’en aurai donné pour 30. Tu n’es pas une très bonne négociatrice. Je parie que les gens profitent de toi tout le temps. — Ça finira par changer, dit-elle en levant le menton. — C’est beaucoup plus préférable ainsi si tu veux survivre dans ce monde. Il se retourna et continua sa marche vers le bas des escaliers. Elle lui emboîta le pas. — Au fait, qu’est-ce qui justifie ta présence ici ? — A ce que je sache tu n’as plus de caisse. On va aller t’acheter des affaires à Durango. Si tu n’as que ce sac, je présume que tu as besoin de vêtements chauds plus adaptés à ce climat. Il ouvrit la porte d’entrée et en signe de galanterie, attendit qu’elle passe la première. — Je ne manque pas de vêtements, dit-elle en secouant la tête. J’achèterai des habits d’hiver quand je toucherai mon premier salaire. — Apparemment tu n’as pas suivi l’actualité météorologique de ce soir, dit-il avec un petit sourire en coin. — Non. A l’instant où elle posa un pied dehors, un vent glacé traversa son haut fin. Elle frissonna et ceintura son corps de ses bras. Curtis enleva sa veste en cuir et la lui tendit. — Tiens, mets ça. — Non, ça va... — C’est pas à vrai dire une proposition, fit-il sèchement en la fixant avec un regard dur jusqu’à ce qu’elle prenne la veste. Je n’ai pas envie que tu sois indisposée avant même d’avoir commencé à bosser. Evidemment. Il ne faisait pas ça pour elle. Il protégeait ses intérêts à lui. Elle fit glisser ses bras dans la grande veste et se força à résister à son envie de plonger le nez dans le col pour respirer le parfum de Curtis. Son odeur avait de quoi attirer, plus que tous les hommes qu’elle avait pu connaitre. Même cet enfoiré de Tobey. — Il ne m’en voudra pas au moins ton copain ? demanda Curtis avec un regard en coin en se dirigeant vers sa voiture. La voiture en question était une vieille Jeep avec les plus gros pneus qu’elle Avait jamais vus, même dans le Mississippi. La carrosserie était verte à l’origine, mais la peinture s’était effacée avec la neige et le froid de la montagne. Curtis ouvrit la portière du côté passager. Après s’être accroché au poignet, elle leva la jambe pour monter à bord, mais son pied glissa sur la plaque métallique. Les grandes mains de Curtis se posèrent sur sa taille pour l’empêcher de tomber. — Ça va ? questionna-t-il dans un murmure. Il la fit se soulever et l’assit sur le siège. Le cœur de Johanna se mit à battre la chamade contre ses côtes et elle sentit son corps se réchauffer considérablement. Elle n’Avait plus du tout froid, et même au contraire soudain trop chaud. Elle déglutit et se força à fixer devant elle — Oui, parvint-elle à couiner Avant de chercher la ceinture. Curtis ferma la portière et elle l’observa à travers le parebrise de la Jeep pendant qu’il faisait le tour de la voiture vers la place conducteur. Il semblait sévère, et également animé d’une autre émotion qu’elle n’identifiait pas. Elle voulut se rafraichir en pressant ses mains presque gelées sur ses pomettes. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Elle était peut-être encore épuisée à cause de ses récentes épreuves. Peut-être que Tobey lui manquait et que la proximité d’un homme, n’importe lequel, achevait de réveiller le désir en elle. Peu importe ce qu’il en est, elle allait devoir se secouer si elle voulait conserver cet emploi. Elle ne voulait pas donner à Curtis une raison de la virer au premier jour. Il entra dans la voiture. L’odeur sur son manteau se mêla à celle de son corps, et Johanna eut une nouvelle bouffée de chaleur. — Merci pour la veste. — Pas de problème. Son regard était comme qui dirait fixé sur quelque chose situé droit devant lui. Il tourna la clé dans le contact, le moteur de la Jeep se mit à chanter. Curtis entreprit de prendre la rue principale, sortit de la petite ville et commença à descendre de la montagne. — Depuis combien de temps es-tu ici si ce n’est pas indiscret ? demanda-t-elle, surtout pour essayer de déchirer le silence qui règnait. — Pas longtemps. — Quelque chose me dit que tu as hérité du bar-restaurant. Enfin, si ça ne t’ennuie pas d’en parler. — Qu’est-ce qui te fait croire ça ? demanda-t-il en lui lançant un regard du coin de l’œil. Elle assembla ses mains sur ses genoux et regarda droit devant elle. — Tu ne le fais pas comme quelqu’un qui aimerait le faire. En fait, on dirait même que ça te gonfle. Tu n’y prends aucun plaisir en fait. — Tu me vois faire quoi toi exactement ? demanda-t-il en tournant légèrement la tête vers elle. — Sais pas moi... T’as plus l’air d’un dirigeant, tu pourras bosse quelque part où tu leur dis aux gens quoi faire. PDG, ou un truc comme ça quoi. Il y eut un petit sourire sur les lèvres de Curtis, puis il aboya un rire. Ce son mit à l’aise Johanna. Elle sourit à son tour. — Dire ce qu’ils doivent faire aux gens ? C’est un peu ce que je faisais dans une autre vie. Son sourire disparut doucement comme c’était apparu, et son expression austère reprit bientôt à nouveau sa place. Johanna ne se réjouit qu’un court instant. — Tu peux toujours faire quelque chose d’autre. Si tu n’es pas heureux avec le bar, tu pourrais t’en débarrasser et aller entreprendre autre chose ailleurs. C’était rien de le faire pour elle mais, de façon bizarre, elle voulait le rassurer et le faire espérer à nouveau. Son cas à elle était beaucoup trop désespérant, mais Curtis par contre pouvait certainement avoir une autre vie s’il en avait la volonté. Il lui jeta un regard sincère et profond à la fois. — Quand le temps s’en va faisant son bonhomme de chemin, ce n’est pas sans effet. Il y’a des choses qui ne pourront que rester comme elles sont.
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