Il était là dans le bureau de qui avait jadis été celui de Curtis. Craven avait pris sa place après qu’il se soit heurté au rocher dans le parc par un bel après midi. Le bureau du chef de meute.
Cela faisait maintenant des mois que Curtis était passé de vie à trépas, pourtant c’était comme si c’était hier pour lui. Le temps s’était stagné depuis.
Depuis la prise de ses nouvelles fonctions en tant que chef de meute du Conway, Craven devait impérativement se montrer à la hauteur de ses nouvelles responsabilités tout en ayant en lui la culpabilité pour son implication dans la mort de Curtis.
Il était responsable de sa mort.
Cependant personne ne l’accusait. Il n’avait certes pas de son plein gré poignardé Curtis dans le cœur, mais il avait eu la forte envie d’é*****r son chef lorsqu’il l’avait vu menacer Eve, sa compagne, et faire passer sur sa gorge une lame de couteau.
Il devait admettre que sur l’instant, il n’avait pas du tout compris que Curtis montait la manigance, qu’il Avait pris la décision de sacrifier sa vie pour sauver celle de Brice. Il s’était donné pour objectif de payer la dette de sang.
Craven renvoya la bile qui lui montait dans la gorge à ses origines. Pourra t-il être comme Curtis un jour ? Est-ce qu’il sera à même de mourir pour un de ses loups ?
Ses yeux se posèrent sur le seul cadre posé sur son bureau.
Eve. Sa moitié, la mère de leur futur bébé.
Elle était toute sa vie. Il sacrifierais tout pour veiller sur elle, pour s’assurer de son bien-être et de celui du nouveau-né à venir.
Même en prenant en compte le fait qu’il avait la responsabilité de la gestion de tout l’État de Conway sur ses épaules, il se devait de trouver le moyen et le temps surtout d’être un pére pour le môme qui allait naitre.
Père. Rien que de penser au mot le faisait toujours sourire. L’autre jour, quand Geoffrey lui Avait demandé comment se passait la grossesse d’Eve, il avait eu un sourire comme une tranche de papaye au milieu de la figure.
Geoffrey s’était foutu de lui et l’Avait accusé de se ramollir.
Ça lui importait peu. Il aimait Eve sincèrement et énormément. Il savait qu’il était incroyablement chanceux de l’avoir rencontré.
Il sortit de ses pensées lorsque son téléphone se mit à vibrer, et il perdit son sourire. Le message qu’il reçut le rendit nerveux sur le coup.
Nous l’avons cherché partout son corps n’a pas pu être retrouvé, disait le SMS de Brice.
Craven se sentit encore plus mal. Il faisait quotidiennement dépêché ses Gardiens dans le parc de Nowere à la recherche du corps de Curtis. Les jours s’étaient transformés en semaines, puis, terriblement, en mois, mais ils n’Avaient rien trouvé. Aucun corps, pas de vêtements, pas le moindre os. Il n’aimait pas du tout ce que cela voulait dire, mais il devait arrêter de constamment gêner ses disciples.
Nous n’allons plus poursuivre les recherches. Craven envoya la réponse et inspira profondément.
Dit autrement, il reconnaissait à demi-mot ce qu’ils craignaient tous. Le corps de Curtis Avait appâté des animaux sauvages depuis longtemps et ses os étaient probablement dispersés à travers tout l’Conway.
Après que Curtis ait quitté le monde des vivants et après être sorti de l’enfer émotionnel qu’il s’était d’abord imposé, Craven avait organisé les recherches pour retrouver son cadavre. Il souhaitait que son chef de meute ait un enterrement dans les règles. Il Avait repoussé les funérailles en disant qu’ils attendraient de retrouver le corps. Ce fut sa première erreur en tant que chef de meute. Joann était le seul Gardien à avoir eu le cran de lui dire d’arrêter de chercher et de passer à autre chose.
Il était entré dans une colère indescriptible dans l’instant et lui avait fait payé ses propos à Joann en lui tapant sur la gueule d’un coup de poing. Le loup n’avait pas bronché. Il frotta sa mâchoire et s’en alla. Craven s’était tout de suite senti comme le dernier des crétins. Il venait de frapper un de ses hommes. Il n’aurait pas dû.
Joann était parti trop vite pour qu’il puisse s’excuser auprès de lui. Le loup allait et venait selon les missions qui venaient à lui. Dernièrement, il n’y Avait pas grand-chose à faire. Craven Avait posté des Gardiens autour de la frontière de Lusane pour aider à faire régner la paix dans l’État voisin. La nuit de la mort de Curtis, Iscar Beller avait été mis aux arrêts. Il serait bientôt jugé devant un Grand Tribunal pour tentative de meurtres sur les Gardiens et les chefs de meutes des États du Sud. Curtis Avait déjà rassemblé des preuves, et grâce à la contribution d’un des propres Assassins de Beller, Heather, le dossier était accablant.
Le chef de meute du Mississippi, Mike Trevor, avait demandé au chef de la meute du Texas de garder Beller. Le Conway jugeait necéssaire de l****r ses plaies, et les chefs des autres États du Sud n’étaient pas vraiment pas contents d’apprendre ses tentatives d’assassinat.
Mike Trevor Avait été temporairement désigné pour s’occuper de la Lusane jusqu’à ce qu’un nouveau chef de meute soit choisi. En plus de diriger ses Gardiens du Mississippi, il devait aussi veiller sur ceux de la Lusane.
De façon peu croyable, Heather Avait immédiatement assuré Mike Trevor de sa loyauté et s’était assuré que le reste de la Lusane en fasse autant. Sur une courte durée, les deux autres Assassins, Leah et Vanderplank, s’étaient également déclarés loyaux à Trevor. Mais Craven savait que ce n’était que temporaire. Mike l’Avait déjà appelé plusieurs fois pour lui dire qu’il fallait trouver un remplaçant pour diriger la Lusane de toute urgence. Il Avait son propre État à gouverner, et prendre la tête d’un autre territoire ne l’intéressait pas. En ses propres mots, il Avait d’autres conneries à gérer. Entre autres resserrer la sorcière de Glensse et refaire du cimetière sa seule planque.
Foutue sorcière. Craven serra les poings en lâchant un grondement. Elle Avait joué un rôle dans la mort de Curtis. Elle était le témoin de Beller au Grand Tribunal et l’Avait aidé à faire condamner Brice. Il y Avait déjà réfléchi un millier de fois. Si Raïssa n’avait pas témoigné contre lui, Brice n’aurait pas été reconnu coupable de quoi que ce soit. Et Curtis serait encore vivant, ici parmi nous.
— c******e, grommela-t-il.
— La personne qui m’a appelé ainsi tout dernièrement essaie encore de retrouver ses dents, dit la voix grave de Karen.
Craven leva la tête vers son Gardien qui le regardait, sourcils haussés.
— Pas toi, lâcha-t-il.
— Tu parlais tout seul, alors ? demanda Karen en s’installant sur la chaise devant le bureau.
— Un truc dans le genre.
Craven regarda le loup droit dans les yeux et reprit :
— Il n’y a pas de dépouille. J’ai donné l’ordre qu’on arrête de chercher.
Le gardien ouvrit sa bouche, et il s’assit au fond de la chaise. Il frotta distraitement ses paumes sur ses cuisses.
— Je vois, dit-il finalement d’une voix un peu étranglée. C’est bien pensé. Fallait que ça s’arrête.
Karen hocha la tête, l’air un peu plus assuré. Craven détourna les yeux. La colère recommençait à monter en lui.
— Dis-moi comment on organise des funérailles sans son corps ? Tous les chefs de meute méritent qu’on leur rende hommage. Pas de se faire déchiqueter par des bêtes assoiffées de chair et de sang.
— Tout était honorable dans sa mort, dit lentement Karen. Tous les Gardiens des États du Sud ont compris ce qu’est l’honneur quand Curtis a sacrifié sa vie pour l’un de ses hommes. Ils ont tous vu ce qu’est un véritable chef.
— Pas tous, lâcha Craven entre ses dents.
— Aies un peu plus d’estime pour la Lusane. Tous les loups sont soulagés de savoir qu’Iscar Beller est derrière les barreaux. Au moins, il n’est plus à la tête de leur territoire. Et la majorité des Gardiens de Lusane parlent de Curtis en termes élogieux. Certains m’ont même contacté pour rejoindre les rangs des Gardiens de Conway.
— Pas question que je fasse un jour confiance à la Lusane ou à ses Gardiens.
— Même à Heather ?
— Surtout à Heather.
— Ne laisse pas Geoffrey t’ouïr dire ça, fit Karen sur ton sévère.
— Geoffrey et Heather sont frères, mais ça ne veut pas dire qu’ils partagent les mêmes valeurs morales.
— Heather nous a aidés à faire tomber Beller. Et ce n’était pas la première fois.
— Se pourrait-il que ça soit juste pour que ses miches soient épargnées ? Pour autant que je sache, Heather a été endoctriné par Beller pendant des années. Tout ça ne disparaît pas juste parce qu’il est en prison.
— Ouais, mais Beller a essayé de faire assassiner Heather. Et il a témoigné contre Beller après la mort de Curtis.
— Où est-ce qu’il était Avant la mort de Curtis ? cria Craven en se levant brusquement de sa chaise et en écrasant son poing sur le bureau.
Karen ne dit rien, il ne bougea pas. Craven n’Avait pas besoin de lever la tête pour savoir que son Gardien le regardait avec compassion.
— Tu penses que j’accuse Heather de la mort de Curtis au lieu de le reprocher au vrai coupable.
Lui-même.
— Bordel, Craven, grogna Karen en se levant. Écoute-moi, et écoute-moi bien.
— Je n’aime pas ce ton, Karen, le prévint Craven avec un regard glacé.
— J’en ai rien à foutre. Tu vas écouter ce que j’ai à dire, lâcha Karen en soutenant le regard de son chef. Tu n’es pas responsable de la mort de Curtis. Je pense que Curtis s’attendait à ce que Brice soit condamné par le Grand Tribunal. Pendant les heures qui ont précédé le procès, il était sur les nerfs et ne voulait parler à personne. Bon sang, même Mike Trevor l’a constaté. Quand il a vu Eve, il a trouvé un moyen de mourir au dernier moment. Tu lui as rendu service.
— Service ? fit Craven avec une grimace. Prendre sa vie, ce n’est pas lui rendre service.
— Craven, tu ne savais pas qu’il allait orienter la lame en argent vers son cœur quand tu l’as attaqué. Tu sais à quel point il est difficile de mettre un terme à sa propre vie ? Sans parler du fait qu’il s’est quand même jeté de la falaise pour être certain de mourir. Donc, ouais. Je pense que tu lui as rendu service. Aucun loup n’a envie de mettre fin à ses jours. Ça va contre tout ce que nous sommes.
Karen se tourna vers la porte et lui lança un dernier regard sévère par-dessus son épaule avant de s’en aller.
Craven prit une longue inspiration, son regard parcourut la pièce peu meublée. Il avait gardé le bureau tel que c’était depuis qu’il était devenu chef de meute. La pièce était toujours aussi austère, ne contenant qu’un ordinateur sur le large bureau et quelques chaises. Sur le mur était accroché le blason de l’État de Conway portant les mots : « Chef et commandant, né pour faire respecter la loi ».
Il se refusait à le reconnaître, mais Karen n’Avait pas tort. Il devait accepter le fait que Curtis était mort, qu’il Avait décidé de donner sa vie pour préserver celle de Brice.
Il devait arrêter de se prendre pour un chef de meute intérimaire et prenne réellement la place qui lui était revenu.
Il prit son téléphone pour composer un numéro. Hancock répondit à la première sonnerie.
— Bien le salut chef, On dit quoi ?
Hancock, son meilleur ami depuis l’adolescence, arrivait toujours à détendre l’atmosphère.
— Je ne poursuis plus officiellement les recherches pour retrouver... le corps de Curtis, dit-il en se redressant. J’aimerais que tu en informes les Gardiens. Les funérailles auront lieu dans quelques jours, et je ne pourrai pas les faire tout seul.
Il n’avait aucune idée de ce qu’impliquait ce genre d’évènement.
— Je préviens les Gardiens tout de suite, répondit Hancock.
Il usa d’un ton sérieux que Craven avait rarement entendu de la bouche de son ami.
— Et si on faisait ça chez Mark et Suzanne ? ajouta Hancock. Il paraît que Léonie a déjà organisé des services funéraires dans son auberge. Les familles préféraient se réunir dans un cadre intime dans la forêt plutôt que dans un salon funéraire, et le défunt a été incinéré, je crois.
— L’idée me plait. Je crois que Curtis préférerait qu’on lui rende hommage dans la nature plutôt qu’entourés de tous ces vautours. Je ne me rappelle même plus la dernière fois qu’un chef de meute est mort. Je ne sais pas où l’enterrement a eu lieu.
Il fut envahi de tristesse l’espace d’un moment. Il se frotta le ventre pour essayer de ressentir autre chose que ce sentiment désagréable à son goût.
— Je ne le sais pas aussi mon frère. Je vais en parler avec les Gardiens. Ne t’inquiète pas pour les détails. Je suis sûr que Mamie et les louves voudront participer. Je te tiens informé de la suite.
— Merci, Hancock.
Craven coupa l’appel et mit le téléphone sur son bureau en face de lui.
Plus que jamais c’est réel. Ces mois à se mentir et à ne pas admettre la réalité étaient terminés.
Curtis était mort, et Craven était maintenant à la tête de l’État de Conway.
Même s’il souffrait dans sa poitrine et dans sa chair en général, Craven se devait d’assurer comme le chef qu’il était.
C’était ce que Curtis aurait voulu.