Chapitre 7 — Le retour du passé

942 Mots
La lune rouge règne dans le ciel, suspendue comme un serment oublié. Une cicatrice de lumière au milieu des nuages lourds, un rappel silencieux des nuits où tout bascule. Le vent s’est enfin apaisé, mais dans le cœur de Neïly, la tempête demeure, vivante, indomptable, prête à éclater au moindre souffle. Ses doigts effleurent la tête du loup blanc à ses côtés — son seul repère, son reflet silencieux, le témoin de ses nuits d’exil et de ses sursauts d’espoir. Tout autour d’elle, les arbres chuchotent. Ils reconnaissent son odeur, celle de la terre, du sang et de la liberté. Et dans ce murmure végétal, une autre odeur s’impose, familière, presque douloureuse : celle du fer, du territoire… et du passé. Une meute approche. Sa meute. Moonlight. Les feuillages tremblent. La brume se tord comme une bête blessée. Puis des silhouettes émergent, une à une, leurs yeux allumés d’une lueur prédatrice. Les crocs luisent, les muscles roulent sous les pelages sombres, et l’air se charge de tension. Ils l’ont retrouvée. Ils ont osé. Le fils de l’ancien Alpha s’avance, fier malgré la peur qui pulse dans ses veines. Le même qui jadis avait ri de son amour, piétiné sa confiance, détruit son innocence sans même s’en rendre compte. À ses côtés, les loups qui avaient détourné le regard pendant qu’elle saignait. Ceux pour qui elle n’était qu’un nom de plus à écraser. — Neïly… fait la voix rauque de l’Alpha actuel. Tu appartiens à Moonlight. Tu n’aurais jamais dû partir. Son rire s’échappe, effilé, cassé, glacé. Il fend l’air comme une lame trop longtemps affûtée. — Appartenir ? répète-t-elle, chaque syllabe tombant comme un jugement. Je n’appartiens plus à personne. Surtout pas à ceux qui m’ont traitée comme une ombre. Un grondement secoue la meute. Plusieurs reculent, d’autres avancent, hésitant entre la rage et la terreur. Ils sont venus la ramener, pas par compassion — la compassion, ils n’ont jamais su ce que c’était — mais par peur. Depuis des jours, des rumeurs courent. Des murmures dans les montagnes. Des témoignages de bêtes terrassées, de pouvoirs réveillés, d’anciennes prophéties. L’ancienne oméga serait devenue plus forte que tous les alphas réunis. Une aberration. Une menace. Une revanche vivante. — Tu crois pouvoir survivre seule ? lance l’un des mâles, son ton dégoulinant de mépris. Sans meute, tu— Il s’interrompt. Neïly ferme les yeux. Pas pour fuir. Pour sentir. Son aura s’étire, s’enroule autour d’elle, palpule comme une seconde peau. Elle brûle, douce et sauvage, comme un feu qui n’aurait jamais été autorisé à naître. Le loup blanc à ses côtés lève la tête. Son hurlement fend la nuit, long, profond, ancestral. Un écho venu de très loin, d’avant les clans, d’avant les règles, d’avant la cruauté. Et soudain, le sol se fend sous leurs pattes. La puissance de Neïly éclate enfin, sans retenue. Les arbres ploient, les feuilles tourbillonnent dans une danse frénétique, et le vent rugit comme un dragon réveillé. La lumière de la lune rouge se brise dans ses iris devenus violets, si brillants qu’on pourrait croire qu’ils contiennent une galaxie. — Je ne suis plus la proie, dit-elle. Sa voix gronde, vibrante. — Je suis la sentence. Derrière elle, Daimon observe, les bras croisés, partagé entre une fierté farouche et une inquiétude qu’il ne parvient plus à cacher. Il l’a vue renaître, se relever, s’entraîner jusqu’à l’épuisement, lutter contre ses propres démons. Il sait exactement ce qu’elle risque : que sa colère s’empare d’elle, qu’elle se laisse engloutir par la force qui circule dans son sang. Mais il reste là, immobile, prêt à intervenir si elle sombre. Elle avance. Majestueuse. Chaque pas est une promesse. Chaque mouvement charrie la peine accumulée, les souvenirs qui brûlent encore, les nuits où elle a hurlé dans le noir parce que personne ne l’entendait. — Moonlight m’a rejetée, murmure-t-elle. Son souffle tremble à peine. — Aujourd’hui, Moonlight me réclame. Un sourire triste glisse sur ses lèvres. Un de ces sourires qu’on offre aux fantômes du passé. — Mais ce que vous réclamez… n’existe plus. Elle lève la main. Une lumière argentée jaillit, pure et tranchante. Elle frappe la terre, repoussant les loups comme un souffle divin. Certains basculent, d’autres gémissent. L’air se gorge de peur, une peur qu’ils n’avaient jamais ressentie auparavant. Le fils de l’Alpha tombe à genoux. Le sol s’effrite sous lui. Ses épaules tremblent. Il lève les yeux vers elle — et tout son monde se brise. — Pardonne-moi… Ce n’est plus un ordre. Ni un mensonge. C’est un aveu. Brut. Désespéré. Neïly le fixe. Longuement. Dans son regard, il n’y a plus la haine. Il n’y a plus la douleur aiguë des premières trahisons. Il n’y a que cette distance glacée, celle de quelqu’un qui a enfin compris que pardonner ne signifie pas revenir en arrière. — Je te pardonne, murmure-t-elle. Elle incline légèrement la tête. — Mais je n’oublierai jamais. Le vent retombe, docile. La lune rouge, comme rassasiée, se voile peu à peu de gris. Les branches cessent de trembler. Le monde respire de nouveau. Daimon s’approche, lentement, comme on approche une reine. Il pose une main ferme, chaude, rassurante sur son épaule. — Tu n’as plus besoin de fuir, Neïly. Tu as trouvé ta place. Elle tourne la tête vers lui. Son sourire est timide, fragile, presque humain à nouveau. — Non, Daimon… Sa voix glisse comme une prière. — J’ai retrouvé ma voix. Le loup blanc s’avance. Il lève son museau vers le ciel et hurle une dernière fois, un cri pur, long, magnifique, où se mêlent adieu, promesse et renaissance. Et cette nuit-là, sous la lune qui s’éteint doucement, le monde entier semble s’incliner.
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