Chapitre 5

1039 Mots
Chapitre 5 . 14 janvier 2015. Peter n’aime pas être en retard. Peut-être une mauvaise habitude prise à l’armée ! Il attend l’avocat. 6 heures moins 3. Le voilà. Il admire sa ponctualité. Il s’installe à côté de lui dans son 4x4 Mercedes GLK, de couleur blanche. — Bonjour. Belle voiture ! Peter a envie d’ajouter : — L’aide aux réfugiés ça aide ! Mieux vaut éviter. Il faut rester en bons termes et il a encore besoin de ses services. — Bonjour. Nous allons traverser le Mont Liban. J’espère qu’il n’a pas neigé dans la nuit. Sinon nous allons mettre du temps. — Est-ce que votre itinéraire prévoit de passer par Baalbek ? — Oui ! Je peux savoir pourquoi. — Officiellement, je suis venu au Liban en temps que professeur d’art antique. Il serait bon que je fasse quelques photos des ruines romaines. — Vous savez, nous n’avons pas vraiment le temps de jouer les touristes. Pourquoi ne pas revenir un autre jour, seul ? — Je rentre, je photographie au pas de course, des clichés à droite et à gauche, ceux qui me paraissent les plus marquants, les plus significatifs et je ressors. Donnez-moi une demi-heure. Ça vous va ? Après un court moment de réflexion : — D’accord. On peut faire comme vous le dites. 30 minutes chrono, pas plus. — Merci. L’avocat appuie sur le champignon. Baalbek n’a jamais été visité aussi vite. Je peux être inscrit dans le livre des records du monde ! Arrivée à Aarsal vers midi. — Désolé de vous dire cela, mais je ne comprends toujours pas pourquoi vous désirez tant voir ces gens. Je ne sais même pas pourquoi je vous ai conduit jusqu’ici. — Mais vous l’avez fait. Le reste c’est mon affaire. — Je vais vous présenter à la famille du Syrien qui a guidé votre pauvre frère dans un coin où il n’aurait jamais dû aller. C’est ma conviction, mais... — Mais il y est allé. Vous ne connaissez pas Paul et son opiniâtreté. — Chez ces gens, vous me laissez parler. D’ailleurs, je ne pense pas que la langue arabe vous soit familière. Je vous présente comme un ami. Je suis assez connu dans le camp. Tout devrait bien se passer. Enfin, j’espère. — Je ne veux gêner quiconque. En aucun cas. Juste avoir quelques renseignements. Je vous suis. Le camp est immense. Des tas de personnes qui ont fui le régime, les bombardements, les exactions des uns et des autres et qui s’entassent dans des baraquements de fortune, sous des tentes. Le gouvernement libanais s’occupe ainsi de 30 à 35 000 réfugiés. Avec tous les problèmes que cela pose. — Nous voici arrivés. Vous aurez peut-être la chance de voir Fadil. Lui, c’est le beau-frère de Madji, le guide qui a épousé sa sœur qui et qui ont eu deux enfants. Je ne sais pas comment ils vont vous accueillir, mais il faudra rester calme et se montrer diplomate. J’ai votre parole ? — Vous l’avez. Je suis prêt à les aider financièrement s’ils le désirent. Qu’en pensez-vous ? — Je ne peux pas me mettre à leur place. Ils ont leur fierté et... on verra. On entre maintenant. L’avocat passe le premier. — « As Salam alaykom » (que la paix soit sur vous). Le traditionnel bonjour en arabe. Peter répète la même salutation. La demeure se compose de deux petites pièces et derrière un rideau, une petite cuisine et une minuscule douche. Quand il y a de l’eau courante. La famille est au complet pour le repas de midi. Une chance. Peter ne dit rien d’abord et écoute. L’avocat traduit. Fadil s’inquiète parce que son beau-frère n’est pas revenu depuis la mort de « l’étranger ». Il craint le pire. Il intercède auprès de l’avocat pour qu’il fasse quelque chose, qu’il essaie d’avoir des nouvelles. C’est là que Peter dévoile sa réelle identité. Stupeur dans la famille. C’est Malika, la sœur qui « rugit » en premier et se jette sur lui en l’insultant, le frappant de ses poings contre sa poitrine. Elle continue à crier et dehors on commence à s’amasser devant la porte laissée ouverte. Maître Béchir la referme et tente de calmer tout le monde. — Arrêtez ! Arrêtez s’il vous plaît ! « L’étranger » n’est pas responsable de ce qui est arrivé. Il vient de perdre son frère et lui aussi voudrait comprendre, savoir ce qui s’est passé. — Dites-leur que je viens ici pour essayer de ramener le corps de Paul et de connaître le sort qu’on a réservé à Madji. Maintenant c’est l’avocat qui reste bouche bée devant cette déclaration. Il était très loin de la vérité. — Mais vous êtes fou ! Complètement cinglé ! Je ne peux pas traduire ces paroles. Je ne peux pas cautionner votre départ en terre syrienne, car c’est là-bas que tout... — Faites-le s’il vous plaît. Il le faut. Pour mon frère, je connais la funeste issue. Pour son mari si nous n’avons pas de nouvelles, cela ne veut pas dire pour autant qu’il est décédé. Il est peut-être encore vivant. Prisonnier dans quelque geôle. Il y a encore de l’espoir. IL y a des tas de gens ici qui ont réussi à échapper à la barbarie. Pourquoi pas lui ? S’ils ont été pris loin d’ici, c’est peut-être normal qu’une huitaine de jours ne suffisent pas pour qu’il revienne sain et sauf à Aarsal. La famille s’est un peu calmée. Malika pleure toutes les larmes de son corps. — S’il va là-bas, il va crever, articule Fadil. Comment va-t-il traverser la frontière. Je parie qu’il ne parle pas un mot d’arabe ! Ah, si ! As salam alaykom ! Il va aller loin avec ça ! Il part à l’aveuglette. À pied comme un Bédouin ! Sans arme ! Mais c’est peut-être mieux. Car de l’autre côté tout est ennemi, les rebelles contre le régime qui sont dans la montagne, les gens fidèles à Assad, les bouchers du Califat. Il se prend pour « Captain America » ou pour « Batman » ? Peter n’a pas tout compris, mais les noms cités des héros de Marvel m’ont interpellé. La discussion a duré encore longtemps. Par malheur, la famille n’est pas au courant des accords entre Madji et Paul. Ils ne savent rien, rien de rien et c’est ce qui les mine. Le rideau de la cuisine se soulève, une femme sort portant des plats. À la tête de l’avocat, je comprends qu’il ne la connait pas. Il semble un peu effrayé. Elle a tout entendu. Qu’est-ce qu’elle va raconter dans le camp ? Comme si elle a tout compris, intuition féminine sûrement, elle déclare : — Je m’appelle Hiyam. Je suis une réfugiée syrienne comme beaucoup d’autres ici. Comme cette famille. Je suis leur amie depuis pas mal de temps. Malika peut confirmer. Ce que dit l’Américain est vrai. On peut s’échapper des griffes de l’État islamique. Il faut surmonter sa peur. Il faut être patient, et encore patient. Il faut attendre l’occasion propice. Ça a été mon cas. Maintenant, pour entrer en Syrie il y a des moyens. Mais il faut bien planifier à l’avance pour y arriver.
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