Chapitre 2

1659 Mots
Chapitre 2 Un soir, alors qu'ils lisaient au coin du feu, Elizabeth dit à son mari : — Mon chéri, tes appartements vont bientôt être le champ de bataille d'une armée d'artisans. Si tu désires profiter de la paix de ton foyer, il est grand temps de repartir pour Pemberley. Nous avons profité à mon avis suffisamment des plaisirs de Londres. Tu as eu la bonté de m'emmener au théâtre, de nous faire assister à quelques dîners et j'ai eu de longues conversations agréables et futiles avec les épouses de tes amis londoniens qui ont eu la grandeur d’âme de me proposer de te ruiner chez les meilleurs modistes de Londres. N’aie crainte, j'ai vaillamment résisté. J'ai donc amplement mérité des promenades dans nos bois couverts de givre. Nous pourrions profiter de notre séjour là-bas pour que madame Reynolds se mette en quête d'une femme de chambre conforme à mes désirs. Celle que tu m’as attribuée a une ombre de moustache et je la soupçonne d'être l'aînée d'une famille de garçons dans laquelle elle a acquis une autorité redoutable et une poigne non moins redoutable. Je préfère laisser le soin de ma coiffure à une jeune fille de Lambton, douce et si possible point trop jolie. Bon, cette dernière recommandation me vient d'une de tes amies londoniennes qui méconnaît ton vertueux caractère. Darcy éclata de rire et prit sa femme dans ses bras : — Connais-tu, une seule femme belle, intelligente et en plus capable d'amuser un monsieur aussi grave que moi, à part toi ? — Bien, je reconnais que le risque n'est pas trop grand, mais je te trouve fort beau et je crois que plusieurs des jeunes femmes avec qui nous avons eu le plaisir de dîner étaient du même avis. J'ai trouvé certains de leurs regards un peu alanguis et comme il faut avouer que leurs maris, quand elles en avaient, étaient loin d'avoir ta belle allure, je pense, lors de nos prochains dîners ne pas quitter ton bras. — Il est en effet temps de repartir pour Pemberley si je ne veux pas te voir partir en guerre contre toute femme osant poser sur moi son regard. Ainsi fut fait et quand Pemberley apparut entre les arbres, Lizzy demanda à son mari de dire au cocher de s'arrêter. Le lac, recouvert d’une fine pellicule de glace, luisait doucement et la maison s’y reflétait comme sur un miroir d’étain. Les arbres, dépouillés de leurs feuilles, se détachaient sur le ciel d’hiver ; les collines givrées ondulaient et la rivière chuchotait, traversée par des ponts de pierre moussus. — Je crois que je ne me lasserai jamais de cette vue et de l'apparition magique de la maison au sommet de sa colline. C'est pour moi le plus bel endroit au monde et tu auras beaucoup de mal à m'en priver afin de jouir des plaisirs de Londres. Avec ce givre, le parc brille comme un joyau. Je bénis le ciel que tu aies un jour quitté cette merveille, afin d'accompagner ton ami à Netherfield. — Je pense qu'il n'est pas très souhaitable que Georgiana ne puisse profiter de la société londonienne et je n'aime pas trop la savoir à Londres, seule avec madame Annesley. — Oh mais, je me passe très bien de la société londonienne, rétorqua celle-ci. Je ne sais jamais très bien ce que l'on attend de moi et je préfère mille fois être avec toi, Elizabeth, sa sœur ou ses oncles. — Votre frère a raison, il vous faut vous faire vos propres connaissances et comptez sur nous pour vous emmener dans les bals où se rencontrent les personnes de votre âge. J'obligerai même mon mari à danser et je ne suis prête à partager ses talents qu'avec vous. Je vous donnerai mon avis sur tous vos cavaliers, en sachant parfaitement que jamais votre frère ne les trouvera dignes de vous. Je vous apprendrai aussi à ne pas croire tous leurs compliments. Mon époux m'a conquise sans ne m'en faire pratiquement aucun et croyez-moi, il était passé maître dans l'art du silence éloquent. Une femme doit se méfier des flatteurs, l'art de la flatterie est des plus aisé, d'autant plus quand elle est facile. Vous êtes jolie, charmante, douce et intelligente et il est inutile que ces messieurs vous rebattent les oreilles avec ces évidences. Si l'un d’eux vous suit du regard sans rien dire, si j'en crois ma propre expérience, il vous aime. — Ma chère sœur, comme d'habitude ma femme se précipite sur des conclusions hâtives. Je te rappelle Elizabeth que Bingley, qui aime Jane d'un amour sincère, était un amoureux volubile. Après la lettre la félicitant de son mariage que Lydia avait envoyée à sa sœur, les nouvelles des Wickham étaient rares. Lizzy avait clairement fait comprendre à ceux-ci que Darcy n'était, en aucun cas, disposé à les aider en quoi que ce soit, mais elle-même envoyait quelques sommes prélevées sur ses économies pensant bien que le couple devait dépenser sans compter et être souvent endetté. Dans les courriers envoyés à sa mère, elle demandait des nouvelles de ses sœurs mais sur Lydia, presque rien ne lui était rapporté. Elle se décida alors à envoyer, en plus de quelques présents pour Noël, une lettre pressant sa sœur de lui donner quelques détails de sa vie. La lettre qu'elle reçut en réponse ne la rassura guère : « Ma chère Lizzy Un grand merci pour le joli bonnet et la « petite aide » qui y était jointe. Dernièrement, mon cher mari n'a guère eu de chance aux cartes et cela nous sera bien utile, notre logeuse ayant un caractère exécrable. Je me sens parfois un peu seule loin de ma famille. Les bals ne sont pas si amusants pour une femme mariée et notre logement ne permet pas d'accueillir les amis que je voudrais. Nous avons dû en changer dernièrement, le loyer du précédent étant scandaleusement élevé. Heureusement, nous sommes fréquemment invités par les compagnons officiers de Wickham et deux ou trois d'entre eux sont très amusants. Pourrais-tu demander à notre père de permettre à Kitty de venir nous visiter. Je pourrais ainsi lui présenter quantité d'officiers très agréables et je serais si heureuse de la voir ! Crois-tu que monsieur Darcy accepterait que j'aille vous voir un jour à Pemberley ? Wickham préfère aller à Londres voir des amis à lui. Je dois te laisser à présent, j'ai un peu froid et je vais acheter du charbon avec ton présent. L'hiver est en effet bien rude à Newcastle. J'espère que pour Noël, monsieur Darcy t'a offert de superbes bijoux et que tu as profité de ton séjour à Londres pour t'acheter les plus belles robes. Si tu ne sais que faire de celles qui semblent démodées, n'hésite pas à me les envoyer. La mode est en retard à Newcastle. Ta sœur affectionnée. Lydia Wickham. » Ce que devinait Lizzy de la vie de Lydia n'était guère réjouissant et cette lettre la plongea dans une grande inquiétude. Après de longues hésitations, elle se décida à en parler à Darcy. Le visage fermé de celui-ci dès ses premiers mots ne laissait rien présager de bon. — Je crois ma chère, avoir fait suffisamment pour ce monsieur, étant données les circonstances, pour que rien de plus ne me soit demandé. Ta sœur peut venir à Pemberley en l'absence de Georgiana et je lui saurais gré de ne m'entretenir d'aucune façon de son mari dont le devenir m'est indifférent. — Je comprends parfaitement que tu ne veuilles rien savoir de cet individu mais malheureusement son avenir est lié à celui de ma sœur. Lydia est une presque enfant, sotte et irresponsable, mais c'est ma sœur et qu'elle en arrive à avoir du mal à acheter même du charbon afin de se chauffer, me préoccupe grandement. — Ce que tu refuses de voir, c'est que ta sœur a épousé un scélérat. Même si ses revenus étaient larges, il trouverait le moyen de s’endetter. — Que puis-je faire pour elle ? — Rien ou presque. Je vois que tu l'aides déjà un peu, ce qui me semble bien. La seule chose est de lui dire qu'elle dissimule à son mari tes envois et qu'elle en fasse usage pour ses dépenses domestiques. La situation de Lydia n'est due qu'à elle-même et je ne veux absolument pas qu'elle soit pour toi un sujet d'inquiétudes. Elle aurait pu lier sa vie à un jeune homme honorable, elle choisit un individu de la pire espèce et ce n'est en aucun cas à toi d'en subir les conséquences. L'attitude de ce monsieur a déjà eu de regrettables conséquences sur nos relations passées, je refuse qu'il en soit de même dans l'avenir. Sur ces mots, Darcy quitta la pièce. Le soir, des essais de duos au pianoforte avec Georgiana parvinrent à distraire Elizabeth de ses inquiétudes. La jeune fille jouait mieux que sa belle-sœur et se sentait extrêmement gênée de cette supériorité. Mais elle se rendit rapidement compte que ses erreurs, loin de la déranger, provoquaient chez Lizzy de francs accès de gaîté. Quand Georgiana se fut retirée, Darcy lisant au coin du feu, sa femme s’installa en face sur une chaise basse. Plutôt que de prendre un livre ou un ouvrage, elle resta songeuse en remuant les braises. Darcy qui la surveillait du coin de l’œil vit une larme couler sur sa joue. Il ferma alors son livre d’un geste brusque. — Mon amour, c’est la deuxième fois depuis que je te connais que j’assiste à tes larmes et tout comme la première fois, ceux qui les provoquent ne les méritent pas. Tu sais que pour toi je suis capable y compris de m’humilier et je ne veux en aucun cas faire reluire des mérites passés mais en ce qui concerne la situation actuelle de ta sœur, toi comme moi sommes impuissants. Supposons et ce n’est qu’une supposition, qu’une rente annuelle confortable leur soit allouée. Que penses-tu qu’il adviendra ? Wickham serait capable d’abandonner la vie militaire et de n’occuper son existence qu’à la débauche. Rappelle-toi que je le connais bien. Il aime le jeu, boire en excès, seul ou mal accompagné, et les femmes. Il n’a pas épousé ta sœur par amour, mais seulement parce que j’acceptai de l’aider financièrement et ses seules limites aux pires débauches, ce sont ses moyens relativement modestes. Une solde d’officier permet à un couple de vivre correctement, bien que sans luxe. Des revenus importants seraient, entre les mains de Wickham, sa perdition et celle de ta sœur. Si la guerre terminée, il se retrouve sans moyens d’existence, je verrai alors ce que je peux faire pour l’aider à retrouver un travail honorable. Mais je n’ai en aucun cas l’intention de risquer ma réputation en recommandant ce monsieur à un ami ou une connaissance proche.
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