7
La voix des angesBurkina Faso, 3 h 6.
Il avait exceptionnellement plu, dans la matinée de la veille, et cette nuit-là était donc relativement douce. Une légère brise tempérait la chaleur accumulée dans le sol durant la journée. Les habitants du village Sénoufo dormaient profondément sur leurs paillasses après avoir consommé leur « to », à base de mil et de maïs arrosés d’une sauce à l’oseille, qui avait constitué le principal repas quotidien. Sous la lumière des seules étoiles, dans un ciel limpide et sans lune, on distinguait à peine les greniers circulaires à sorgho et les modestes cases, rondes en argile ocre aux toits de paille, encerclaient un énorme baobab tout près duquel se tenait l’habitation du chef. Tout autour, les champs gagnés sur la forêt étaient parsemés de « zaï », petits trous remplis de fumier où étaient patiemment semées les graines que l’on regardait pousser avec l’angoisse de jours trop secs.
Tout était calme. Le sommeil des villageois était d’autant plus lourd qu’ils étaient épuisés par la dureté de leur condition. La rivière la plus proche était à deux kilomètres, ce qui imposait aux femmes et aux enfants de harassants allers et retours pour s’approvisionner en eau limoneuse, pendant que les hommes travaillaient la terre avec des gestes ancestraux sous un soleil de plomb.
Oui, la vie était bien difficile dans le village burkinabé et les mois s’écoulaient avec monotonie, que ne venait briser qu’une courte saison des pluies. Mais ce soir-là n’était pas un soir comme les autres. Il s’y passa quelque chose de complètement inhabituel.
Tout d’abord, l’unique cheval de l’agglomération, propriété du paysan le plus riche, s’agita dans son enclos. Les oiseaux de la forêt voisine, qui avaient commencé à pousser des sifflements inquiets, s’étaient ensuite brutalement tus. Près de l’imposante tour carrée du grenier à mil, de maigres chèvres gardées dans un enclos sommaire se mirent quant à elles à bêler et à remuer nerveusement en tous sens.
Soudain, un faisceau d’un blanc aveuglant éclaira la cime des arbres du bois sacré réservé au culte des ancêtres. Puis une seconde lumière fit son apparition, toujours aussi éclatante. Un chant étrange se fit ensuite entendre au milieu de la forêt clairsemée. D’abord ténu, puis de plus en plus présent. On aurait dit un chœur d’enfants dont on ne comprenait pas les paroles, comme si elles avaient été prononcées dans une langue inconnue. Ces voix limpides, aériennes rompaient la quiétude habituelle des lieux.
Les premiers habitants sortirent lentement de leurs masures en terre, l’un après l’autre, dans un demi-sommeil et portèrent leurs regards incrédules vers la lisière de la forêt, au loin, bien après les champs. Des femmes et des enfants crièrent leur inquiétude. On alla chercher en courant le « naaba », le vieux chef du village aux yeux usés. Bientôt, tous furent réveillés, à la fois émerveillés par la beauté des voix et anxieux devant ce phénomène étrange. On consola les premiers gamins qui s’étaient mis à pleurer.
Le chant diminua lentement d’intensité, puis ce fut brutalement de nouveau le silence. Les lumières disparurent d’un seul coup. Tous en restaient abasourdis.
– Ce sont les mauvais esprits, finit par déclarer quelqu’un, ils viennent manger nos âmes…
– Non, c’est la voix des anges, répondit un autre, les yeux émerveillés.
– Pas du tout, affirma un troisième. C’est Katielo, la déesse mère des forêts.
Le lendemain, la nouvelle fit rapidement le tour des villages voisins, prenant à chaque étape un aspect plus fabuleux.