Chapitre 3

959 Mots
Chapitre 3 Peu avant midi, Mary arrêta la Twingo devant la gendarmerie de Tréouergat. Elle sonna et la porte s’ouvrit avec un déclic métallique. Derrière une table, un jeune gendarme la regardait avancer avec méfiance. — Bonjour, dit-elle. — Bonjour mademoiselle… Son regard était interrogateur, il semblait se demander ce qui amenait cette charmante jeune fille à la gendarmerie. — C’est pour une plainte ? — Non, je souhaiterais voir le chef de brigade. Les sourcils du gendarme s’écarquillèrent. — Vous avez rendez-vous ? — Non, mais je connaissais bien l’adjudant Lucas. — Ah… Je vais voir. Qui dois-je annoncer ? — Mary Lester. Le front du gendarme se plissa, comme si ces deux noms accolés évoquaient quelque souvenir. — Mary Lester… répéta-t-il pensivement. — C’est cela ! Il prit son téléphone et appuya sur une touche d’un air perplexe, sans quitter Mary du regard. — Adjudant-chef, dit-il, il y a une certaine Mary Lester qui demande à vous voir. Elle entendit son nom résonner dans l’écouteur. L’adjudant-chef, quel qu’il fût, l’avait répété avec tant de vigueur que le jeune gendarme écarta instinctivement l’appareil de son oreille avant de le rapprocher et de répondre : — Bien, adjudant-chef. Il se leva et Mary constata qu’il était très grand car il la dominait de plus d’une tête. — Si vous voulez me suivre… — Ne vous dérangez pas, dit-elle, je connais le chemin. En habituée des lieux, elle emprunta sans hésitation un couloir qui s’ouvrait à gauche et le gendarme la suivit du regard, plus perplexe que jamais, la bouche ouverte sur une question informulée. Pour ne pas le laisser dans cette situation inconfortable, Mary, avant de disparaître, sortit sa carte et se présenta avec un clin d’œil complice : — Capitaine Lester, Police nationale… Les yeux du jeune homme allaient de la carte au visage de Mary Lester. Il se leva à demi, resta un temps comme accroupi, puis retomba sur son siège. Il venait de comprendre à qui il avait affaire. Au détour du couloir, Mary tomba nez à nez avec Lucas qui venait à sa rencontre. Elle resta interdite : — Vous ici ? Lucas se mit à rire : — Ça vous surprend de trouver un gendarme dans une gendarmerie ? — Non, mais on m’avait annoncé votre nomination à Pontchâteau. — Elle est effective, confirma Lucas en frétillant d’aise, mais je suis encore ici pour quelques jours. Je passe les directives à mon successeur. Elle montra du doigt sa manche qui s’ornait d’un galon supplémentaire : — Belle promotion, adjudant-chef ! Tous mes compliments ! Lucas tenta d’ironiser, avec l’esquisse d’une révérence : — Madame est trop bonne ! Ils connaissaient, l’un comme l’autre, les circonstances qui avaient valu au jeune adjudant Lucas cette promotion ultrarapide. — Votre successeur est déjà là ? demanda Mary. — Oui. Venez donc, je vais vous présenter. Il poussa la porte de son bureau derrière lequel était assis un homme au nez camus, court de taille, à la toison rase, presque aussi large que haut. — Je vous présente le major Langlois, dit Lucas. Le major se leva et tendit une pogne de forgeron dans laquelle Mary n’aventura pas sa mimine sans appréhension. Le major Langlois arborait la trogne vermeille des hommes de complexion sanguine habitués à vivre au grand air. Sa mâchoire puissante, rasée de frais, bleuissait déjà sous une barbe à fleur de peau. Il devait bien avoir une dizaine d’années de plus que Lucas et, comme l’un faisait bien moins que son âge et l’autre nettement plus, on aurait pu penser qu’il s’agissait du père et du fils. — Ravi de faire votre connaissance, capitaine ! Langlois secouait la main de Mary sans trop la serrer, comme si c’était un objet rare et fragile. — L’adjudant-chef m’a parlé de vous… — Pas en mal j’espère ? demanda-t-elle ravie de récupérer sa main en bon état de marche. — Je vous rassure, dit Langlois en montrant une chaise. Pas en mal. Lucas s’excusa : — Je vous laisse. Désormais, c’est le major Langlois le patron. — Je vous verrai avant de partir ? demanda Mary. — Probablement, je ne suis pas encore sur la route ! Je n’ai pas fini de mettre le major au courant. Il ferma la porte et Mary se retrouva en tête-à-tête avec le major. — Alors, major, il paraît qu’on se m******e dans vos campagnes ? — Il y a effectivement eu un meurtre, dit Langlois d’un ton neutre. Mais je ne vois pas en quoi ça concerne la Police nationale. Ça y est, pensa Mary, les difficultés commencent ! — Moi non plus, mais c’est quand même pour ça que je suis chez vous. Les lèvres minces du major se pincèrent : — Pour ça ? Elle le regarda : — Ça semble vous étonner, major. — Un peu, avoua Langlois. Lucas m’avait dit que vous étiez une spécialiste des enquêtes délicates, alors je ne vois pas… Il se rencogna dans son fauteuil qu’il remplissait largement et Mary demanda : — Vous avez bien un mort sur les bras ? Le major se mit à rire : — Oui, mais ce n’est vraiment pas ce qu’on peut appeler une affaire délicate ! — C’est ce que j’ai cru comprendre : deux coups de fusil de chasse, c’est une enquête pour les gendarmes, ça ! Qu’importe, le commissaire Fabien a tenu à ce que je vienne. Elle soupira : — Autant vous dire que je ne suis pas venue de mon plein gré ni que mon patron m’a expédiée ici avec enthousiasme. Mais ce sont des directives du préfet, paraît-il. Le major se leva et fit trois pas vers la fenêtre, les mains dans le dos. Il considéra les voitures sur le parking d’un air pensif, puis il se retourna : — Pff ! Il n’y a même pas d’enquête à mener ! — Vous tenez le coupable ? — On le tient, comme vous dites. Et il ajouta d’un ton rogue : — Et il n’est pas utile que vous veniez vous en mêler ! Mary se leva à son tour et, tendant ses mains ouvertes devant elle, elle céda avec une complaisance que tout autre que le major Langlois aurait trouvée suspecte. — J’en prends bonne note, major. Je rends compte à Monsieur le Maire de Trébeurnou et ensuite je regagne mes pénates. — Je pense que c’est ce que vous avez de mieux à faire, dit Langlois avec un mince sourire satisfait. Au revoir, capitaine. Il retourna s’asseoir derrière son bureau et fit mine de s’absorber dans des paperasses. Pour lui, et il avait bien tort de le penser, le capitaine Lester n’existait plus. Mary sortit et referma doucement la porte derrière elle.
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