― Oh merci marmonna-t-elle, incapable de trouver une meilleure réponse. Était-ce l’effet de son imagination ou ses yeux venaient-ils vraiment de prendre une nuance dorée encore plus intense ?
― Allons, donnez-moi ça.
Avant même qu’elle n’ait pu retrouver ses esprits, il était près d’elle et prit de ses mains légèrement tremblantes ses vêtements mouillés.
― Asseyez-vous, je vais mettre vos vêtements dans le sèche-linge.
Sur ces mots, il disparut dans le couloir. Mia le suivit des yeux en se demandant si elle devait s’inquiéter. Il lui avait bien dit qu’il n’allait pas lui faire de mal, mais respecterait-il son refus s’il avait envie de faire l’amour avec elle ? Et surtout serait-elle capable de lui dire non étant donné la manière dont elle avait réagi jusqu’ici à son égard ?
Elle avait entendu parler de relations sexuelles entre des humains et des Ks, les deux espèces étaient donc compatibles dans ce domaine. En fait, il existait même des sites internet où des humains voulant coucher avec des Ks postaient des petites annonces pour les attirer. Certaines de ces petites annonces avaient bien dû recevoir des réponses puisque ces sites existaient encore. Mia avait toujours pensé que les Xénos (une abréviation de Xénophiles, un terme péjoratif désignant les accros aux Ks) étaient fous. Bien sûr la plupart des envahisseurs étaient très beaux, mais ils étaient si différents des humains que coucher avec eux s’apparentait à coucher avec un g*****e. D’ailleurs, il y avait moins de différences entre un g*****e et un être humain qu’entre un être humain et un Krinar.
Malgré cela, elle était là, visiblement très attirée par ce K-là.
Une minute plus tard, Korum revint les mains vides et interrompit Mia dans ses réflexions.
― Vos vêtements sont en train de sécher, dit-il, si vous avez faim je peux nous faire quelque chose à manger en attendant.
Les Ks savaient faire la cuisine ? Mia s’aperçut tout à coup qu’elle avait effectivement très faim. Étant donné toute l’excitation de l’heure précédente, le bagel qu’elle avait mangé au petit déjeuner n’était plus qu’un lointain souvenir. De plus, faire la cuisine et manger semblaient une manière bien inoffensive de passer le temps.
― Volontiers. Ça serait super, merci.
― D’accord, venez à la cuisine avec moi, je vais préparer quelque chose.
Sur ces mots il se dirigea vers une porte qu’elle n’avait pas encore remarquée et l’ouvrit, révélant une vaste cuisine. Elle était somptueuse comme le reste de l’appartement. Elle comprenait des appareils électroménagers en inox étincelant, le sol était pavé de marbre noir et ivoire, et il y avait des comptoirs en lave émaillée qui donnaient un aspect presque futuriste à la pièce. Une espèce de plante aux grandes feuilles était suspendue au plafond dans des jardinières argentées et semblait parfaitement se plaire dans cet environnement qui donnait par ailleurs une impression aseptisée.
― Que diriez-vous d’une salade et d’un sandwich de légumes grillés ? Korum avait déjà ouvert son réfrigérateur qui ressemblait à la toute dernière version de l’iZero, un luxueux frigidaire créé en collaboration par Apple et SubZéro il y avait un an ou deux.
― Ça serait super, merci. Mia lui répondit en pensant à autre chose, elle continuait d’examiner l’endroit où elle se trouvait. Il y avait quelque chose qui la gênait et une question à laquelle elle avait besoin d’avoir la réponse.
Tout à coup, elle comprit de quoi il s’agissait.
― Chez vous toute la technologie est d’invention humaine, laissa-t-elle échapper, à part le petit instrument que vous avez utilisé pour me soigner, tous les appareils électroménagers, tout a été inventé par l’homme ; et pourtant cela doit vous sembler terriblement primitif. Pourquoi n’utilisez-vous pas vos propres inventions à la place ?
Korum sourit, ce qui fit de nouveau apparaître la fossette de sa joue gauche et alla vers l’évier pour rincer la laitue.
― J’aime bien faire de nouvelles expériences. Vos inventions technologiques sont souvent très ingénieuses si l’on pense aux limites qui sont les vôtres. Et pour citer l’un de vos dictons ‘Quand vous êtes à Rome, faites comme les Romains’.
― C’est donc une manière de vous encanailler, conclut Mia. Vous vivez avec une espèce primitive et vous utilisez ses instruments rudimentaires.
― Si cela vous plaît de le voir sous cet angle…
Il avait commencé à couper les légumes en morceaux, à un rythme plus rapide que n’importe quel cuisinier professionnel. Mia était fascinée en le regardant, c’était un spectacle tellement incongru de voir un extra-terrestre préparer une salade. Chacun de ses mouvements était gracieux et élégant, et d’une certaine façon très différent de celle des hommes.
― Qu’est que vous mangez normalement sur Krinar ? lui demanda-t-elle avec une soudaine curiosité. Vos repas sont-ils très différents des nôtres ?
Il leva la tête et lui sourit.
― Il y a des différences et des similitudes. Nous sommes omnivores comme vous, mais notre régime à tendance à être plus végétarien que le vôtre. Sur Krinar, il y a une immense variété de plantes comestibles, beaucoup plus que sur terre. Certaines de nos plantes sont riches en calories et en goût si bien que nous n’avons jamais vraiment eu cet appétit pour la viande que vous les humains semblez avoir acquis récemment.
Mia cligna des yeux de surprise. Ses mouvements étaient ceux d’un prédateur, comme tous les mouvements des Ks. Leur vitesse et leur force ainsi que la violence dont ils avaient fait preuve n’étaient pas compatibles avec une espèce herbivore. Les rumeurs qui faisaient d’eux des vampires étaient après tout peut être justifiées. Si ce n’étaient pas des animaux qu’ils chassaient pour en manger la viande, comment avaient-ils acquis toutes ces caractéristiques du chasseur ?
Elle voulait le lui demander, mais elle se dit qu’elle n’avait pas forcément envie de connaître la réponse. Si les humains étaient des proies pour les Ks, il ne valait sans doute mieux pas le lui rappeler quand elle était seule avec lui dans son antre.
Mia décida de parler plutôt de quelque chose de moins dangereux.
― Alors c’est pour ça que vous les Ks vous insistez tellement pour que nous ayons un régime végétarien ? Parce qu’il vous plaît aussi ?
Il secoua la tête tout en continuant de couper les légumes.
― Pas vraiment. Notre principale préoccupation était l’exploitation abusive des ressources de votre planète. Votre addiction malsaine à la viande et aux produits laitiers détruisait l’environnement à un rythme beaucoup plus rapide qu’aucune de vos autres actions et nous ne voulions pas assister à cette catastrophe.
Mia haussa les épaules, elle ne s’intéressait pas particulièrement à l’écologie. Mais puisqu’il faisait preuve d’une telle bonne volonté, elle décida de reprendre son interrogatoire de tout à l’heure.
― Et c’est pour cela que vous êtes à New York, pour faire de nouvelles expériences ?
― Entre autres.
Il alluma le four et y mit les tranches de courgettes, d’aubergines, de poivrons et de tomates sur une grille.
Quelle frustration ! Il évitait de répondre et cela ne plaisait pas du tout à Mia. Elle décida de changer de tactique.
― Plus généralement, pourquoi êtes-vous venu sur terre ? Êtes-vous un soldat, un savant ou faites-vous autre chose… Elle laissa sa voix en suspens comme pour suggérer d’autres hypothèses.
― Mais pourquoi m’interroger sur ma profession Mia ?
De nouveau, il semblait se moquer d’elle.
Sans surprise Mia se hérissa.
― Et pourquoi pas ? S’agit-il d’un secret-défense ?
Il jeta la tête en arrière dans un grand éclat de rire.
― Seulement pour les petites filles curieuses. Mia le regarda froidement.
Tout en continuant de rire, il lui expliqua.
― Je suis ingénieur de formation. C’est mon entreprise qui a mis au point les vaisseaux spatiaux qui nous ont amenés ici.
― Les vaisseaux spatiaux qui vous ont amenés ici ? Mais je croyais que les Krinars venaient déjà sur terre depuis des millénaires avant votre arrivée officielle ? Telle avait été en effet l’une des révélations les plus sensationnelles concernant les envahisseurs, le fait qu’ils observaient les humains et vivaient parmi eux bien avant le Jour K.
Il acquiesça d’un petit signe de tête tout en continuant de sourire.
― C’est vrai nous avons pu vous rendre visite depuis bien longtemps. Mais les voyages vers la Terre ont toujours été une entreprise risquée, comme tout déplacement spatial d’ailleurs. Donc seuls quelques individus intrépides ont pris ce risque à différentes périodes de notre histoire. Ce n’est que depuis une centaine d’années que nous avons réussi à parfaitement maîtriser la technologie nécessaire aux voyages supersoniques et mon entreprise a réussi à construire des vaisseaux capables de transporter des milliers de civils jusqu’à cette partie de l’univers.
Voilà qui était intéressant. Elle n’en avait jamais entendu parler auparavant. Lui confiait-il quelque chose d’inédit ? Encouragée par cette réponse et poussée par la curiosité Mia poursuivit ses questions.
― Vous étiez donc vous-même sur terre avant le jour K ? lui demanda-t-elle fascinée et en le regardant avec de grands yeux.
Il haussa les épaules, un geste parfaitement humain que les Ks faisaient visiblement eux aussi.
― Oui, une ou deux fois.
― Est-il vrai que lorsque nous voyons des OVNIS il s’agit d’interactions avec les Krinars ?
Il sourit.
― Non. C’étaient surtout des ballons météo et des tests secrets de vos gouvernements sur les vaisseaux. Moins d’un pour cent de ces visions nous concernait vraiment.
― Et les mythes grecs ou romains ? Mia avait lu des hypothèses récentes selon lesquelles les Krinars avaient pu être vénérés comme des dieux dans l’Antiquité, ce qui avait donné naissance aux religions polythéistes. Et bien sûr, même aujourd’hui des sectes religieuses considéraient les Ks comme les véritables créateurs de l’humanité, ce qui avait donné lieu à une nouvelle religion entièrement consacrée à la vénération et à l’émulation des envahisseurs. Les Krinariens, c’était le nom de ces adeptes des Ks, recherchaient toutes les occasions d’avoir des relations avec ces êtres qu’ils considéraient comme de véritables dieux, imaginant augmenter ainsi leurs chances de se réincarner en K. Les trois grandes religions, la religion chrétienne, l’Islam et le Judaïsme avaient réagi d’une manière très différente et avaient refusé d’accepter que les Ks aient pu avoir la moindre responsabilité dans l’origine de la vie sur terre. Des groupes religieux plus fanatiques avaient même déclaré que les Krinars étaient des démons et que leur arrivée sur terre correspondait à leur propre prophétie annonçant la fin du monde. Mais la plupart des gens considéraient les extra-terrestres comme tels, une espèce ancestrale, hautement civilisée qui avait envoyé sur terre un ADN en provenance de Krina et donc créé la vie sur notre planète.
― Ils étaient basés à Krinar, dit Korum en guise de confirmation. Il y a quelques milliers d’années, un petit groupe de savants K fut envoyé sur terre pour l’étudier et y faire des observations. Ils participèrent trop étroitement à la vie des humains, à tel point qu’ils outrepassèrent les termes de leur mission et restèrent quelques siècles de trop. Il fallut finalement les rapatrier de force quand il devint évident qu’ils profitaient de l’ignorance des humains.
Avant même que Mia n’ait eu le temps d’assimiler cette nouvelle information, le four émit un petit signal sonore indiquant que le repas était prêt.
― Voilà, c’est prêt.
Il prit les légumes cuits au four et les mélangea à une marinade qu’il avait préparée tout en parlant. Il posa une grosse salade sur la table, et en mit une bonne portion dans l’assiette de Mia.
― On peut commencer par ça pendant que les légumes sont dans la marinade.
Mia commença à manger sa salade en se retenant de rire d’une manière impolie à l’idée qu’elle mangeait littéralement la nourriture des dieux, ou du moins quelque chose qui avait été préparé par une créature que l’on aurait pu vénérer il y a deux mille ans. La salade était délicieuse, une laitue bien fraîche, un avocat crémeux à souhait, des poivrons croquants sous la dent, et des tomates un peu sucrées assaisonnées d’une vinaigrette au citron légèrement épicée. Avait-elle vraiment très faim ou était-ce la meilleure salade qu’elle ait mangée depuis longtemps ? Depuis quelques années, elle s’était habituée à manger de la salade par nécessité, mais elle se disait maintenant qu’elle en mangerait par plaisir.
― Merci, c’est délicieux, marmonna-t-elle la bouche pleine.
― Mais je vous en prie.
Il mangeait lui aussi de bon appétit, avec un plaisir évident. Pendant un moment ils mangèrent en silence, dans une sorte de complicité ponctuée seulement par le bruit des couverts. Quand il eut fini ce qu’il avait dans son assiette – même pour manger il allait plus vite qu’un humain – Korum se leva pour préparer les sandwiches.
Deux minutes plus tard, un sandwich préparé dans toutes les règles de l’art était placé devant Mia. On avait l’impression que le pain à la croûte dorée venait d’être cuit, les légumes grillés semblaient délicieux et étaient agrémentés d’une sorte d’épice orangée. Mia prit son sandwich et mordit dedans, retenant presque un petit grognement de plaisir. C’était encore meilleur que ça en avait l’air.
― C’est vraiment délicieux. Où avez-vous appris à cuisiner comme ça ? lui demanda-t-elle avec curiosité en avalant une cinquième bouchée.
Il haussa de nouveau les épaules, finissant son propre sandwich qui était un peu plus gros.
― Par plaisir. Faire la cuisine est une question de plaisir. Et comme j’aime bien manger, autant bien faire la cuisine.