Kornel

432 Words
KORNELLe premier à me répondre s’appelait Kornel. Cela faisait trois semaines que mon offre avait été publiée dans un journal de petites annonces – l’un de ces torchons aux couleurs insoutenables qui vous mettent les nerfs à vif à force d’encombrer régulièrement votre boîte aux lettres. À la manière d’un singe, l’automne sautait d’un arbre à l’autre en jetant sur les passants des feuilles jaunes et rouges. Des châtaignes rappelant des boules en chocolat se prélassaient sur les bancs. Il m’a appelée. Quand je suis au téléphone avec un inconnu, j’imagine toujours ce à quoi il ressemble d’après sa voix. J’essaie de ne pas l’oublier lors de la première rencontre afin de le comparer avec l’original. L’appel s’est déroulé comme suit : Sonnerie. — Allô ! — Allô, répond une voix masculine qui semble enrouée ou voilée, comme si la personne parlait avec un torchon devant la bouche. Je me présente. — Je m’appelle Kornel, répond la voix dans le combiné. Il paraît que vous proposez de l’amitié ? Je me tais un instant pour me concentrer. — On pourrait le dire ainsi. Mais les prestations que je propose ne présentent aucun caractère érotique. Silence. — Et de quoi avez-vous besoin ? dis-je en essayant d’animer la conversation. — Vous savez… ma situation est assez spécifique… Il parle très lentement en étirant les mots de façon artificielle. Cela sonne faux, comme s’il lisait un papier. Nouveau silence. Je l’entends respirer bruyamment. — Je ne comprends pas. En quoi est-elle spécifique ? — J’ai besoin d’un ami. J’entends un craquement désagréable dans le combiné. — Vous m’entendez ? Allô ! — Oui, je vous entends, marmonne-t-il. — Alors, vous avez besoin d’un ami, hmm, mais je n’en ai pas en réserve. Je travaille seule. Kornel rit. Mais ce n’est pas un rire sonore, qui décontracte, plutôt un gémissement plaintif. — Ça ne me dérange pas que vous soyez une femme. — O.K. Et vous avez quel âge ? — Quarante, et vous ? murmure-t-il. — Trente. Je lui demande s’il tient au vouvoiement. — Non, non, on peut se tutoyer, soupire-t-il. Je me présente une nouvelle fois en espérant que ma voix paraîtra un peu plus détendue : — Salut, moi c’est Csaba. — Ce n’est pas un nom d’homme ? s’étonne-t-il. — Mon père voulait un garçon. Et quand ma mère m’a ramenée de la maternité, il s’est saoulé comme il faut et a commencé à m’appeler Csaba. — Ah, dit-il sans émotion. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu l’impression qu’il avait sûrement hoché la tête en disant cela. — Kornel, en quoi ta situation est-elle spécifique ? — Je suis… malade… Et ma maladie fait que je ne peux pas bouger, chuchote-t-il avant de se taire à nouveau. J’entends sa respiration haletante. — Je n’ai aucun problème avec ça. J’attends qu’il poursuive. Kornel inspire profondément. — Peut-être qu’il serait préférable de se rencontrer. Tu verras, certaines choses ne se disent pas au téléphone. — Bien sûr… où et quand ? Il me dicte son nom complet, son adresse et son numéro de téléphone. Kornel Thőke. Nejedlého 32. Mardi à cinq heures. Voici donc mon premier client.
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