Chapitre 2 – Mon Village

1804 Words
Chapitre 2 Mon VillageLa sueur perlait sur tout mon corps. Je me précipitai dans la salle de bain et allumai la lumière. Je m’observai avec soulagement. J’avais retrouvé mes cheveux châtain clair, mes yeux couleur chocolat ainsi que mon bronzage. Je me palpai un peu tout le visage pour bien me rassurer. Je me regardai encore une fois, calmement, puis posai mes mains sur l’armoire qui me séparait du miroir situé contre le mur au-dessus d’elle. Je promenai mes yeux sur les objets alentours et m’arrêtai sur ma montre. Alors je m’aperçus de l’heure qu’il était : « Huit heures seize..., soufflai-je affolée. » C’était mardi, et j’allais être en retard pour le lycée ! Vite !! Je filai rapidement dans ma chambre et m’habillai vivement en me mettant ce qui était à portée de main. Je pris mon sac d’un mouvement rapide tout en me tournant pour sortir de la pièce et trébuchai sur une basket. J’essayai de me rattraper à ma chaise de bureau... qui tomba à son tour. La porte s’ouvrit brutalement et ma mère fit son entrée, visiblement en colère, ce qui était compréhensible puisque j’avais dû réveiller toute la maison. « Mais enfin qu’est-ce que tu fais ?! Le petit-déjeuner est prêt depuis une vingtaine de minutes et tu fais un vacarme pas possible ! - Oui, désolée, désolée... euh j’ai fini de me préparer, je vais manger, lui répondis-je à la va-vite en me ruant vers l’escalier. » J’entendis ma mère soupirer le fameux : « ...toujours dans la lune celle-là... ». Lorsque je finis de descendre les dernières marches pour accéder au salon, on sonna à la porte d’entrée. « Ce doit être le facteur, j’y vais. Dépêche-toi de manger, m’ordonna-telle. » Je m’assis donc à la table et pris mon complément de fer avec un peu de jus d’orange, comme tous les matins. Cela faisait plus d’un an que, tous les soirs, je mettais du temps à m’endormir. Beaucoup trop de temps. Si bien que parfois je ne dormais pas du tout, n’en ressentant pas le besoin ou étant tout simplement stressée d’arriver au lendemain. Le médecin avait dit que c’était psychologique. Mes parents m’avaient alors fait voir des psychologues pour que je révèle tout ce que j’avais à dire. Même si j’avais beau leur répéter que cela ne servait à rien, ils n’en tenaient pas compte. Du moins, pendant les premiers mois. Voyant que la situation était toujours la même, ils avaient fini par abandonner tous ces rendez-vous ridicules. Je n’aimais pas beaucoup les psychologues, bien que je respecte leur métier. Il est vrai que pour certains, cela aide beaucoup de dévoiler leurs pensées secrètes et de, ainsi, montrer leur personnalité et leurs secrets les plus enfouis. Mais je persistais à croire que chacun devait garder sa véritable identité pour soi-même. Enfin... c’était mon cas. « ROXANNE !! » Je sursautai. « Arrête de rêvasser comme ça !! Tu vas encore être en retard ! Se lamenta ma mère. - Mais non ne t’inquiète pas, je vais courir, la rassurai-je. - Oui bien sûr, comme hier, samedi, et tous les matins de la semaine dernière aussi ! Et la rentrée était il y a à peine deux semaines ! Non mais j’en ai marre... » Elle continua à s’égosiller mais je ne l’écoutais plus. Elle faisait cela tous les matins, et à force d’entraînement, elle y arrivait très bien. Le médecin répétait en permanence à mes parents qu’il était impossible de m’empêcher de « planer ». C’était le terme qu’employait mon père, mais ma mère disait : « Il doit bien exister un moyen pour lui éviter d’être dans la lune au moins deux minutes par jour ! ». Ce fut là que je compris que ce qui les gênait vraiment était mon comportement et non pas ma difficulté à dormir. « Tu pourrais au moins m’écouter ! s’indigna-t-elle - Oui je sais, mais à force je connais le discours par cœur, lui répliquai-je d’un ton narquois. » Je saisis ma veste ainsi que mon sac et sortis de chez moi, en lançant un « A ce soir Maman ! ». Je claquai la porte. Ouf enfin libre. Je regrettai de lui avoir parlé sur ce ton... même si cela m’avait fait un très grand bien. Je regardai ma montre et la route qui menait au lycée. Intérieurement je pensai « aller, tu peux le faire » et je me mis à courir jusqu’au bâtiment blanc. Tout St Marc, mon village, l’appelait comme cela. Pourtant, des bouts de peinture sèche se décollaient peu à peu au fil du temps, laissant apercevoir des morceaux de parpaings gris. De plus, parmi les deux seuls côtés visibles de ce bâtiment, des maisons s’appuyaient contre les deux autres, et le plus long était sale. Un énorme tag noir et une multitude de minuscules graffitis ne l’arrangeaient pas, déjà vieilli par le temps. Certains se servaient d’une partie de ce mur, long de quinze mètres et d’une hauteur de cinq mètres environ, comme cage de foot, et d’autres y avaient accroché un panier de basket... Evidemment des petites fissures ainsi que des traces de ballons faisaient également leur apparition. Je continuai tout droit sur la rue principale, et lorsque je fus arrivée à l’extrémité de ce côté, je surpris un jeune encapuchonné, taguer sur le mur « ensorcelé ». Il me regarda, sourit, puis partit en courant. Je m’arrêtai, étonnée. Cela faisait longtemps qu’un jeune n’avait pas essayé de mettre sa marque sur ce mur, blanc comme la neige. Ce n’était pas pour rien qu’il se prénommait comme cela. Le petit peuple de St Marc croyait à une malédiction et la plupart évitait de passer par là, car n’importe quelle inscription, graffiti ou quoique ce soit d’autre, disparaissaient mystérieusement. Des jeunes écrivaient dessus, et le lendemain, plus rien. Le mur redevenait tout blanc, tout neuf. Je me remémorai ce que disait l’Ancien du village, hélas décédé depuis un an, à propos de cela. Il habitait juste en face et il racontait qu’un soir, alors qu’il allait fermer ses volets, il vit une puis deux personnes sortir du mur et tout nettoyer en cinq minutes ! Tous les habitants riaient et le prenaient pour un fou. Je me rappelai qu’il n’était pas beaucoup aimé et que tout le monde préférait l’éviter, surement à cause de ces histoires farfelues qu’il débitait. Moi au contraire, je l’appréciais et j’adorais l’écouter après les cours. D’ailleurs, une fois, il m’avait révélé un secret. C’était la veille de son décès. « Tu l’dis à personne hein p’tite ? Après ils vont croire que j’ai tout inventé, m’avait-il déclaré. » Je m’étais contentée d’hocher la tête tout en pensant que c’était déjà fait. « Ben voilà. Le p’tit d’la boulangère a gravé un truc sur LE mur hier soir, me chuchotait-t-il. » Je me souvins qu’il regardait derrière son épaule, comme s’il avait peur que ce qu’il s’apprêtait à me dire constituait un délit. « Et c’te nuit-là, j’ai pas trouvé l’sommeil et j’ai eu envie d’prendre l’air. Lorsque j’suis sorti j’les ai r’vus. Tous les deux, certain’ment les mêmes que la dernière fois. En fait, j’ai menti sur un truc : ces gens ils sortaient pas du mur, mais d’une porte qui apparaissait dans le mur haha !! s’était-il exclamé, apparemment fier et très enthousiaste de m’avoir dévoilé cela. » A ce moment-là, je m’étais rendue compte à quel point il commençait vraiment à perdre la tête. « L’seul problème, c’est qu’ils m’ont vu ce soir-là et ils ont arrêté c’qu’ils faisaient pour m’observer. Qu’est-ce tu crois qu’j’ai fait ? J’suis allé vers eux pour les féliciter de venir nettoyer dès qu’y’ avait quelq’chose ! Tu vois p’tite, moi j’avais pas peur même si je venais d’les voir sortir d’une porte d’un mur !! s’était-il écrié, complètement émerveillé. - Et ensuite ? m’étais-je enquise. - Hein ? - Ensuite ! Que s’est-il passé ensuite ?! - Aheh beh..., il avait fait une petite pause, surement satisfait de constater que je l’écoutais attentivement. Ils sont r’partis aussitôt. Comme s’ils avaient été... effrayés. Pourtant c’est pas un vieux bougre comme moi qui fait peur hahaha ! s’était-il esclaffé. Bon aller il faut que j’me r’pose, ça m’a épuisé tout ça, avait-t-il affirmé avec un clin d’œil. Bonne soirée p’tite ! - Au revoir. » Et j’étais partie. Je ne pouvais pas deviner que cette nuit-là, un incendie se déclarerait. Je ne pouvais pas deviner qu’il allait mourir dans sa maison, brûlé. Et je ne pouvais pas non plus deviner que le lendemain, il ne resterait strictement plus rien. Car malgré l’intervention des pompiers, le feu ne s’était pas éteint tout de suite mais seulement quand toute la maison avait fini de se consumer. Enfin... presque toute. J’avais ramassé l’unique morceau de bois qu’il en restait et je le gardais précieusement caché aux yeux de tous, chez moi, dans une petite trappe qui se situait sous le plancher, sous mon lit. Cela procurait un effet étrange de repenser à lui, ce pauvre homme. Je tournai la tête à droite et regardai les arbres qui perdaient leurs feuilles une à une. Un beau parc rempli de plantes, avec deux bancs et un petit chemin qui le traversait, se situait à côté de ce bâtiment. Avant, beaucoup d’habitants venaient pour se détendre et se reposer sur un banc, ou bien écouter les oiseaux et respirer le parfum des fleurs... Ou encore pour se promener, car c’était un grand parc qui s’étendait sur cinquante mètres et qui joignait la forêt par un simple sentier. Alala ce parc, qu’est-ce que nous y étions bien ! Je me remémorai qu’une balançoire se tenait juste sous un grand et majestueux chêne. Nous y allions beaucoup Lana et moi. Un matin, alors que nous arrivions au parc pour nous amuser, nous vîmes un groupe de quatre adolescents massacrer littéralement la balançoire. Ils ricanaient fortement et Lana et moi nous nous demandions d’où ils pouvaient bien venir. Dans mon village personne n’avait encore jamais fait cela. Oui quelques-uns taguaient mais rien de méchant, d’agressif et puis ils voulaient juste tester le Mur. En rentrant, tristes et déçues, nous expliquâmes à notre mère pourquoi nous revenions juste après être parties. Elle nous avait répondu que le lycée qu’ils construisaient depuis un an venait de s’ouvrir pour la rentrée, et qu’il y avait eu une journée porte ouverte. Mais elle nous rassura en disant que très peu d’élèves de ce lycée étaient comme ceux que nous venions de voir. Lana fêtait tout juste ses quatre ans et moi, mes huit ans. Je regardai une feuille morte se décrocher d’un bel arbre à l’écorce scintillante grâce au soleil dont les rayons se reflétaient sur sa résine. Elle vola un moment, tourna sur elle-même avant de redescendre doucement en se balançant de droite à gauche. Je n’aimais pas tellement l’automne. Voir le frisson parcourant l’écorce des arbres pour leur faire perdre leur verte ou rose parure, me rendait triste. Quant aux parfums des roses blanches maintenant disparues, ils me faisaient envier le printemps pour à nouveau sentir leurs odeurs épanouies dans l’air pur et se mélanger à celles des autres plantes jusqu’à créer en plein effluve, le bouquet d’arôme tant attendu. J’humai l’air. La seule odeur présente n’était autre que celle de la résine mielleuse coulant le long des arbres jusqu’au sol, se confondant avec la terre humide et l’herbe ayant accueilli la fraîche rosée du matin. Soudain je regardai ma montre. Huit heure vingt-trois ! Déjà ! La sonnerie retentirait à vingt-cinq et il me restait bien cinq minutes de trajet dont la plupart... en côte ! Sauf si je courais, ce que je fis sans tarder. Mais à peine une minute plus tard, je m’arrêtai, déjà essoufflée. Cependant, je venais d’effectuer le plus dur. Maintenant il me suffisait juste de prendre les petites ruelles ici et là. Je n’étais plus très loin de mon lycée dorénavant et à cette heure-ci dans mon village, tout le monde dormait, si bien que le seul bruit qui parvenait à mes oreilles était le brouhaha des élèves. Je poursuivis ma marche tranquillement tout en repensant à mon étrange cauchemar, quand j’entendis la cloche sonner. A partir de ce moment, ce fut un vrai marathon, comme si des turbos me propulsaient en avant. Enfin, j’arrivai devant la grille encore ouverte. Je souris. Mes deux meilleurs amis se tenaient là.
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