Encore à moitié endormi, je repousse ma couverture grise et blanche. Comme presque chaque matin, je ne me souviens absolument pas de mon rêve. Le soleil n’a pas encore pointé le bout de son nez ce qui, en soi, n’est pas une surprise : je me lève toujours avant lui. Une légère brume fraîche m’accueille comme un vieux compagnon fidèle.
— Bonjour tout le monde ! Alors, comment va ma moitié aujourd’hui ?
Je retiens un sourire. Impossible de ne pas en rire. À quel moment dois-je aller chercher l’emploi du temps ? C’était pas à 7h20 ? Ah, si. Heureusement que Fog, elle, ne perd jamais le fil. Je devrais peut-être lui confier mes études... En vrai, c’est surtout grâce à elle que je garde des bonnes notes.
— Je suis vraiment trop bon. Avoue que t’as de la chance de partager ton esprit avec moi !
— Ou alors, la déesse de la lune a voulu équilibrer un peu les choses... ou compenser ton immense stupidité.
— Très drôle. Et puis, au cas où tu l’aurais oublié, on est la même personne. Donc critique pas trop, hein.
Il me reste un peu plus d’une demi-heure avant de devoir bouger. Je me dirige vers le placard et ouvre un des tiroirs : chaussettes, sous-vêtements. Hop, c’est fait. J’attrape ensuite un t-shirt noir et un pantalon bleu foncé. Mes fringues sont presque toutes sombres. J’aime ça. Pas besoin de réfléchir deux heures le matin.
Je m’habille rapidement et file aux toilettes. Face au miroir, j’observe l’état de ma tignasse.
— Amuse-toi bien avec ces nids d’oiseau !
— Merci Fog...
Je soupire et commence à démêler mes cheveux blonds qui, pour l’instant, ressemblent plus à une forêt dévastée qu’à une coiffure. Après dix minutes de lutte intense, j’arrive enfin à leur donner une forme à peu près humaine.
Me maquiller ? Jamais fait. Et franchement, pourquoi je commencerais ? J’ai pas besoin de ça.
— Exactement, on est déjà parfaits comme ça.
Je lève les yeux au ciel et descends à la cuisine pour me préparer quelque chose à grignoter. Une fois le petit-déj englouti et rangé, je jette un œil à l’horloge : 6h55. Je retourne vite dans la salle de bain me brosser les dents, puis je prépare mes affaires scolaires dans ma chambre.
Je prends mon téléphone, par sécurité, balance mon sac sur l’épaule et dévale les escaliers. Je cherche désespérément mes clés.
— Si on ne les trouve pas maintenant, on va être grave à la bourre !
— Merci pour cette analyse brillante. Peut-être sous le paillasson ?
Je vérifie. Rien. Je vérifie dans mes chaussures. Nada.
— Sérieusement, t’es d’une aide précieuse...
Je grogne, agacé, enfilant mes chaussures. Et là, en posant mon sac au sol… cling.
— Ah. Je crois qu’on a trouvé la clé.
— Je pense aussi...
Je saisis mon sac et file dehors. Je verrouille la porte et commence à courir. En sortant mon téléphone, je remarque qu’il est déjà 7h15.
— Allez, remue-toi ! Avec un peu de chance, on évite d’arriver en retard.
Vingt minutes plus tard, j’arrive devant l’école, à bout de souffle. Pas question d’utiliser mes capacités lupines pour tricher. Et puis ce sac, franchement, il me gêne plus qu’il ne m’aide. Je pousse la porte principale et cherche du regard le secrétariat. Par chance, je le trouve vite et frappe.
— Entrez !
Je pénètre dans la pièce et tombe sur un homme âgé au sourire chaleureux. Clairement pas un loup-garou.
— Désolée pour le retard. Je me suis un peu perdue…
— Pas grave du tout, jeune fille, me répond-il gentiment. Tu es en 1C. Voici ton emploi du temps, ton casier est le numéro 112, et voici la clé. La salle est au premier étage, juste à droite.
Je le remercie, touchée par sa gentillesse, et prends la direction des escaliers. Une fois au deuxième étage, je me précipite vers la porte et frappe. Un homme d’une quarantaine d’années m’ouvre. Je souris, un peu essoufflée.
— Désolée, je suis nouvelle… Je me suis perdue.
Il me dévisage avec un mélange de méfiance et d’indifférence.
— Ça arrive. Tu dois être Talya Clark.
Je hoche la tête. Il m’indique de le suivre. Je pénètre dans la salle, et tous les regards se tournent vers moi. On dirait qu’ils viennent de voir un fantôme.
— Sérieusement ? Juste pour quelques minutes de retard ?
Fog rigole dans ma tête, comme si j’étais devenue une œuvre d’art rare exposée sous cloche. Le prof me fait signe de me présenter.
— Je m’appelle Talya, j’ai 16 ans.
Il semble un peu surpris par mon ton désinvolte, puis se tourne vers la classe.
— Des questions ?
Six ou sept mains se lèvent. Je soupire intérieurement.
— Par pitié, pas de questions débiles...
Je pointe un garçon au milieu. Il me sourit vaguement.
— Tu viens d’où ?
— Ça te regarde pas.
Je balaie la salle du regard. Deux places libres : une à côté d’une fille trop enthousiaste, l’autre à côté d’un garçon canon. Tous deux sont des loups-garous, comme une autre fille et un mec au fond.
Une autre main se lève. Une fille au maquillage un peu… excessif.
— Tu ne te maquilles jamais ?
— Tout le monde n’en a pas besoin, tu sais.
Bravo Talya, bien envoyé. Je réprime un fou rire tandis que la classe pouffe, le prof sourit et la fille affiche une moue outrée. Deux élèves attendent encore leur tour. La suivante une autre maquillée à l’excès semble comploter avec son voisin :
— Demande-lui s’il te plaît. Et ensuite, tu te tais !
Le garçon m’interroge alors :
— T’as un petit copain ?
Je fronce les sourcils. Sérieux ? C’est ça, leur curiosité ?
— Les choses privées restent privées.
— Franchement, tu gères.
— On est la même personne, Fog.
— Justement !