Je jette un rapide coup d’œil à la classe. La plupart des élèves ont l’air captivés, trop curieux à mon goût. Je me contente de lancer un regard froid avant de murmurer, plus pour moi que pour eux :
— Personne s’en soucie.
Désintéressé, je jette un bref coup d’œil au professeur. Il me fait signe de m’asseoir sur le siège vide à côté d’une fille, puisque le garçon assigné à cette place ne semble pas daigner répondre. D’un pas décidé, je me dirige vers le fond de la classe. Mon siège est près de la fenêtre. Parfait. J’y dépose mon sac et m’assois, silencieusement.
Le professeur commence à écrire au tableau. Mais franchement, je ne fais pas l’effort d’écouter. À côté de moi, la fille me lance un sourire trop enthousiaste, presque suspect. Elle me murmure :
— Hé, moi c’est Bell ! Enfin, Bellinda, mais franchement, c’est un prénom atroce, tu trouves pas ?
Elle m’observe brièvement avec ses yeux brillants, puis chuchote en désignant quelqu’un du menton :
— Tu vois l’idiot blond au milieu ?
Je balaye la classe du regard jusqu’à trouver le garçon blond en question. J’acquiesce. Il est aussi un loup-garou. L’odeur ne ment pas. Et vu qu’elle lui ressemble, je suppose que c’est son frère.
Bell a un sourire immense en me lançant fièrement :
— Ce c****n, c’est mon jumeau adoré. J’ai toujours dit que j’avais pris toute l’intelligence à la naissance.
Je ne peux m’empêcher de sourire à mon tour. Je crois que je l’aime bien, cette Bell.
Mais attention.
C’est une louve.
Je sais.
Mais justement, c’est malin de l’avoir dans notre entourage. Si on évite tous les loups, ça va finir par se voir.
Comme si quelqu’un s’en rendait
compte.
Mais bien sûr que oui !
Non.
Je lève les yeux au ciel. Ma louve intérieure est un cauchemar à gérer. Je tente de me recentrer sur le cours. Le prof, Klaus Huber
— oui, j’ai retenu grâce à Bell qui me déballe sa vie sans interruption explique plutôt bien, malgré son ton un peu sec. Ça ne me dérange pas.
Mais au milieu de la leçon, quelqu’un frappe. Un élève entre. Au début, je ne lui accorde aucun regard. J’observe plutôt la réaction du professeur : il attrape un cahier, note quelque chose, puis lève les yeux vers le nouvel arrivant avec un air las.
— C’est la septième fois que tu arrives en retard en une semaine, grogne-t-il. Détention, Noir !
Ce nom me fige.
Un frisson glacé me parcourt l’échine.
Ascan.
Mon cœur se met à battre plus vite. L’envie de fuir est là, immédiate, incontrôlable.
Ce sera plus difficile que prévu de l’éviter.
Oui, je sais.
Je m’efforce de fixer la scène sans laisser paraître la panique. Ascan lance un regard froid au professeur et répond, avec nonchalance : — Je m’en fiche, non ?
Puis il va s’asseoir à sa place, au fond.
Rien que sa voix me noue l’estomac.
Reste forte. Il ne nous fera rien.
Tu n’y crois pas toi-même.
Je n’ai pas dit que j’en étais sûre.
Mais on est plus rapides que lui, non ?
Je ne miserais pas là-dessus, désolée.
Peut-être qu’il ne nous a même pas remarquées.
Je jette un coup d’œil vers lui.
Mauvaise idée.
Il me fixe, glacé, comme s’il pouvait me lire dans l’âme.
Oh. Il nous a remarquées.
J’essaie de l’ignorer et me concentre à nouveau sur le cours. Klaus Huber a levé les yeux au ciel, mais reprend calmement sa leçon. Bell continue de parler. Je n’écoute qu’à moitié.
Lorsque le cours touche à sa fin, je commence à ranger discrètement mes affaires. Bell m’a proposé de me faire visiter l’établissement. Elle est déjà prête, tout sourire.
Elle est adorable, non ?
Trop. Et elle pourrait nous trahir en un claquement de doigts si elle découvre qui on est.
Elle ne ferait pas ça.
Et tu le sais… comment, exactement ?
Instinct.
Je soupire intérieurement. Quand la cloche sonne, nous sortons rapidement et gagnons la classe suivante. Le cours qui suit est… banal. J’écoute à peine. Bell comble tous les silences, ce qui me convient parfaitement.
Mais dès que nous retournons en cours, je sens la tension revenir. Ascan est là, assis face à moi. Et la pause approche.
Je dois le fuir pendant vingt minutes.
Pendant le cours d’allemand, je me place à l’avant, toujours près de Bell. Ascan est derrière. Je sens son regard brûlant dans mon dos.
Il bouillonne.
Il m’en veut de l’avoir humilié. Mais pour le moment, il ne peut rien faire.
Heureusement qu’un loup ne se repère pas au premier regard.
Cinq minutes avant la fin du cours, je prends un air douloureux et lève la main.
— Madame… Je peux partir ? J’ai vraiment mal au ventre.
Bonne idée.
Je sais.
Miss Felice me regarde avec une expression douce. Elle est louve elle aussi, mais faible.
— Bien sûr, ma chérie. Si ça ne va pas mieux, va te reposer au bureau.
Je hoche la tête en guise de remerciement, récupère mes affaires et sors avec un rapide signe vers Bell.
Yay, on mérite un Oscar !
Je quitte la salle étouffante et m’arrête un instant dans le couloir.
Toilettes ? Mauvais plan.
Je descends les escaliers à toute vitesse et sors du bâtiment.
Encore deux minutes avant la pause. Je cherche désespérément un abri. Au fond du terrain, un petit parc ! Je cours m’y réfugier et me glisse dans un coin isolé. D’ici, je ne vois ni la porte ni les autres élèves.
Je reste là. À l’écoute.
Rien. Parfait.
Dix minutes passent.
Toujours rien.
Sois heureuse.
Je balaie la zone du regard.
Une silhouette approche.
Non.
Pas lui.
Si.
Ascan.
Un dernier mot ?
Fermeture express.
Il s’arrête à quelques mètres. Renifle l’air. Fronce les sourcils.
S’il vous plaît, qu’il passe son chemin.
Mais non. Il me voit.
Et s’avance. Lentement. Avec ce sourire en coin insupportable.
Je me lève. Il s’arrête, me fixe, et dit d’une voix grave :
— Qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ? Il n’y a personne pour te sauver.
Un frisson de terreur me secoue. Il avance encore. Mon cœur s’emballe.
Mais je reste droite. Je croise les bras et le défie du regard :
— Qu’est-ce que tu veux, exactement ?
Bravo, sœur. Mais il ne va pas te croire.
Son sourire se fige un peu. Il hésite. Mais la colère revient aussitôt.
— Tu sais ce que tu as fait. Sinon, tu n’aurais pas passé ta journée à m’éviter.
Il serre les dents. Je sens qu’il lutte contre quelque chose.
Ne va pas trop loin.
Il me fait peur. Une peur viscérale. Celle d’être dévoilée.
Mais je ne cède pas.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
On est mortes.
Il fait un pas. Et là… une douleur fulgurante me transperce. Chaque nerf, chaque muscle.
Non…
Pas maintenant…
Une vision.
Je m’effondre. Mon corps crie.
Et je sais.
Je sais que tout est en train de basculer.