Chapitre 3

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Chapitre 3 Vendredi 2 Août 1974 Ce vendredi, jour du départ, il faisait un temps superbe. Joël était excité comme un collégien au volant de sa nouvelle voiture. Le toit ouvert pour commencer à bronzer, la radio branchée, l’œil aux aguets, prêt à prendre une éventuelle auto-stoppeuse, il conduisait avec gourmandise, empruntant l’itinéraire qu’il connaissait par cœur. Habituellement, il profitait de la voiture d’un de ses cousins ou d’un copain. Mais cette fois, c’est lui qui était au volant et il entendait bien en profiter. Il quitta l’autoroute de l’Ouest à Bois d’Arcy pour filer vers Dreux, puis rejoignit Nonancourt. Un peu plus loin, il passa devant le Km 104, première étape gastronomique du trajet pour les familles fortunées… À Verneuil-sur-Avre, il bifurqua vers l’Aigle, traversa le Haras du Pin et sa fameuse Auberge du tournebride, autre étape fort prisée, et atteignit Argentan – la moitié du trajet. Après La Ferté Macé, il fit un petit détour pour s’arrêter déjeuner à Bagnoles de l’Orne, oasis inattendue en plein milieu de la forêt d’Andaines, avec son lac et sa station thermale au charme désuet. En prenant son café au soleil, sur la terrasse du restaurant, il alluma sa deuxième Gallia de la journée. Il préférait éviter de fumer dans sa nouvelle voiture. Et cela l’aidait à tenter de se sevrer. Joël reprit la route vers quinze heures. Il avait tout son temps. De toute façon, les contrôles de police étaient fréquents depuis la limitation de vitesse à quatre-vingt-dix kilomètres heure sur les routes, instaurée quelques mois plus tôt. Après Domfront et la longue ligne droite à travers la forêt d’Andaines vers Saint-Hilaire du Harcouët, il continua vers Ducey. Le paysage commençait à changer. Il allait bientôt arriver chez lui. La circulation était relativement fluide, les gros départs étaient déjà passés. Il traversa Pontorson, laissa la route du Mont-Saint-Michel sur sa droite. À Dol-de-Bretagne, il prit la route vers Saint-Malo, passa par La Gouesnière, où il y avait un de ses restaurants favoris, et arriva enfin au barrage de la Rance. Il était près de dix-sept heures, la marée était presque haute, et, comme souvent à cette heure de la journée, le vent était tombé et le soleil brillait au milieu d’un ciel sans nuages. Joël ralentit au maximum et ouvrit ses fenêtres pour humer l’air marin. Le panorama était superbe : Saint-Servan sur la droite, les remparts de Saint-Malo un peu plus loin, le Grand Bey, dernière demeure de Chateaubriand, posé au milieu de la mer calme, d’un bleu très pur, à peine couronnée de quelques moutons. À gauche, la Rance, avec son plan d’eau immobile et de belles maisons traditionnelles en granit gris sur les berges. Tout autour de lui, les cris perçants et familiers des mouettes. Joël se rappelait le temps où il fallait remonter jusqu’à Port-Saint-Hubert pour aller de Dinard à Saint-Malo, ou un peu plus loin encore à La Hisse. La route était plus étroite mais moins fréquentée. Et la période de la construction du barrage vers 1965… Ils allaient souvent à la cantine des ouvriers, qui faisait restaurant le soir, engloutir des dîners pantagruéliques à des prix défiant toute concurrence. Un coup de klaxon impérieux l’arracha à sa rêverie. Il continua son itinéraire rituel en bifurquant à droite après le barrage, pour rejoindre Dinard par la côte. Dans la ville, il ne résista pas au plaisir de faire un détour par la pointe du Moulinet, où se trouvaient ces demeures du siècle dernier, tout en hauteur, pleines de mystère. Il rejoignit Saint-Lunaire, longea au ralenti La Potinière déjà bondée. Virage à droite vers la pointe du Décollé, avec encore de superbes propriétés. Au retour, il terminait habituellement son circuit par un crochet boulevard des Tilleuls où il y avait la fameuse maison en ruines, occupée depuis des années par une pauvre femme un peu dingo que le maire se refusait à faire interner. Mais il préféra filer vers Saint-Briac. Impossible de résister au célèbre terrain de golf en bord de mer, flanqué de la masse imposante de la Garde Guérin, ce mamelon truffé de blockhaus qu’il avait explorés à plusieurs reprises, au point d’être capable de dresser un plan de leurs deux étages de ­galeries. À Saint-Briac, Joël traversa la place de la Houle et prit le Balcon d’Émeraude en direction de Lancieux. Malheureusement, Le Grand pavois n’existait plus. Bar l’après midi avec terrasse et la plus belle vue du coin sur la mer. Quel délice d’y prendre l’apéritif en fin de journée par beau temps… Boîte de nuit le soir, une des plus célèbres de la région. Et huit courts de tennis en terre battue derrière. Le bâtiment avait été vendu récemment. À sa place s’élevait un lotissement de petits immeubles prétendument traditionnels. Regrets éternels ! Du Balcon d’Émeraude, la vue était magnifique. Joël rebroussa chemin avant le pont de Lancieux, au croisement de la route qui menait au bourg. Il avait fini son tour du propriétaire. Il revint vers la Houle, se rappelant les concours stupides qu’il faisait autrefois avec ses copains. Faire tout le Balcon d’Émeraude avec ses grands tournants en Deux Chevaux, à fond de balle en quatrième, coupant au maximum les virages. Inter­dic­tion de repasser en troisième. Un miracle qu’ils n’aient jamais eu d’accident. La tenue de route légendaire de cette voiture y était sûrement pour quelque chose ! Le long de la plage de Longchamp, de l’autre côté de la route, les maisons commençaient à pousser sur ce qui était autrefois un terrain vague. Il se dit qu’il ne faudrait guère attendre longtemps avant que tout le coin soit transformé en lotissements. * Il était dix-huit heures lorsque, arrivé boulevard du Sémaphore, Joël klaxonna devant le portail de la maison typiquement bretonne, aux murs de granit, qui l’avait vu naître et grandir. Sa sœur Gabrielle apparut immédiatement à une fenêtre du premier étage. – Salut. Tu as fait bonne route ? Dis donc, tu frimes avec ta voiture neuve ! Ah, ces médecins, ils ne se refusent rien. Môssieur va pouvoir draguer… – Eh oui, mais nous, on n’a pas quatre mois de vacances. Il faut bien qu’on ait quelques compensations. Gabrielle, âgée de trente ans, était institutrice à Dol-de-Bretagne et ils se taquinaient toujours mutuellement sur leurs métiers respectifs, avec ces blagues plutôt faciles. Elle descendit ouvrir la barrière en bois blanc. C’était une jolie femme aux cheveux bruns bouclés, vêtue d’un short blanc et d’un polo Perry bleu marine. Joël entra dans la cour bordée d’hortensias mauves en faisant déraper les roues avant, et jaillit de la voiture pour l’embrasser fougueusement. – Où sont les autres ? – Maman est à la cuisine. Je crois que tu vas te régaler ce soir. Sa mère était une redoutable cuisinière. – Sabine est partie se baigner à Longchamp avec Robert et les enfants, ajouta-t-elle, et Thierry est en bateau avec des copains. – Et papa ? – Il est à la mairie. Il y a une remise de coupe pour les régates. Depuis sa retraite, son père s’occupait du Yacht-club de Saint-Lunaire, où il faisait régner un ordre implacable. Les bureaux étaient hébergés au sous-sol de la mairie, qui prêtait à l’occasion sa salle de réception pour les cérémonies. Robert, le mari de Gabrielle, était éducateur. Ils avaient deux enfants de cinq et trois ans, Sylvain et Marie. Sabine, sa deuxième sœur, employée à la mairie de Saint-Lunaire, était encore célibataire à vingt-huit ans, ce qui bien sûr tourmentait sa mère. Quant à Thierry, le petit frère de vingt-cinq ans, il s’était engagé dans la marine. L’exemple paternel. Joël fila à la cuisine embrasser sa mère qui s’affairait au milieu d’effluves prometteurs. – Ah, bonsoir mon petit. Je suis si heureuse de te voir. As-tu fait bonne route ? Tu dois être fatigué. Je t’ai préparé un bon rôti de porc avec des pommes de terre sautées. Joël sourit intérieurement en retrouvant les habitudes familiales. Sa mère appelait tout être humain de cinq à cinquante ans « mon petit », et considérait que ses enfants de s**e masculin croulaient de fatigue sous les responsabilités, les femmes étant là pour les réconforter et leur faire de bons petits plats. Il ne pouvait pas lui en vouloir de ces conceptions plutôt désuètes. Têtue et dotée d’un caractère affirmé, elle n’était que bonté et dévouement pour les autres. Mais il aurait souhaité qu’elle prenne plus de temps pour elle. Son père arriva vers dix-neuf heures au volant de sa R16 gris métallisé. Sanglé dans son blazer bleu marine, les cheveux blancs coupés en brosse, il se tenait toujours droit comme un I à soixante-deux ans passés, malgré une bedaine naissante. – Ça fait plaisir de te revoir ici, mon grand. « Mon petit », « mon grand », chacun son truc. – Tu es bien pâle, reprit sa mère. L’air marin va te faire du bien. Joël avait lu dans un livre de psychologie que le moment important dans un couple ou dans une famille, entre parents et enfants, c’est celui des retrouvailles : les paroles prononcées lorsqu’on rentre à la maison le soir, ou après une absence, ont une grande importance. Aussi loin que ses souvenirs remontaient, il se rappelait que les premiers mots de ses parents étaient toujours affectueux. Il songea avec tristesse que Gabrielle devrait en prendre de la graine, elle qui avait toujours tendance à accueillir mari et enfants par des récriminations. Et pourtant, elle travaillait dans l’enseignement. Un quart d’heure plus tard, les bambins arrivèrent de la plage avec Robert et Sabine. Immédiatement houspillés par Gabrielle : – Allez, les enfants, pas de cris, filez vite prendre votre bain avant le dîner. Robert, attention, tu mets du sable partout ! Sabine, tu peux commencer à leur faire couler un bain ? Je dois aider maman à mettre la table. Bon, ce n’était pas le moment de lancer une discussion sur « comment rendre supportable la vie en famille ». Après tout, il était mal placé et de plus, ça ne le regardait pas… Ils s’installèrent sur la terrasse pour prendre l’apéritif, rejoints un peu plus tard par Thierry qui revenait de bateau. Thierry ressemblait à son frère aîné. De taille moyenne, il était lui aussi brun, mais coiffé en brosse, et sa carrure était moins développée. Des années d’entraînement aux extenseurs avaient conféré à Joël une force physique peu commune. Après un ­apéritif bruyant et prolongé, la petite famille passa à table dans la salle à manger meublée à l’ancienne. Le rôti de porc était une vraie merveille. Sylvain et Marie étaient dorés comme des pains d’épice, les cheveux éclaircis par le soleil. Ils avaient hérité de la blondeur de leur père. Ils gazouillaient et riaient à tout propos au lieu de manger, ce qui irritait Gabrielle. C’est finalement sa mère qui lui fit remarquer que ces petits étaient en vacances et qu’il fallait bien qu’ils s’amusent un peu. Gabrielle bougonna mais se plia à l’autorité maternelle. À la grande joie de Robert qui était beaucoup plus dé­contracté que sa femme. Joël se dit qu’il était temps de changer de conversation. – Papa, tu connais les Morvan à Saint-Briac ? – Bien sûr, les cordonniers du bourg. Il leur est arrivé quelque chose d’horrible. Leur fille a été assassinée à Paris. Elle était partie de chez eux avec un gars d’ici. Tu as lu cela dans les journaux ? – Eh bien, pas vraiment. Il faut que je vous explique. C’est une drôle d’histoire… Joël commença à raconter sa mésaventure, interrompu par des exclamations de surprise. Si son père l’écoutait avec attention, sa mère était terrifiée de savoir qu’il était mêlé à une histoire criminelle et surtout qu’il avait été retenu au commissariat pendant quelques heures. Même les enfants, contaminés par l’ambiance, avaient fini par se calmer et se chuchotaient leurs confidences à l’oreille. – C’est dingue que ça soit tombé sur toi, dit sa sœur Sabine. Le monde est vraiment petit ! Sabine était une jeune fille brune aux cheveux courts, pas très jolie mais avec beaucoup de charme, et de caractère agréable. Contrairement à sa sœur Gabrielle, dont l’humeur était pour le moins changeante… – Tout ça, ce ne sont pas des histoires bien honnêtes, dit Madame Lecouedec. Avec tout ce qui se passe ici, ce n’est pas étonnant… – Qu’est-ce qui se passe ici, maman ? On n’est pas à Chicago, quand même, dit Joël, amusé par ces craintes permanentes de la société moderne. – Il y a eu une descente de police à la sortie de La Chaumière, en juillet, intervint son père. On a parlé de d****e. Joël se rappelait effectivement les rumeurs qui avaient circulé l’an dernier autour de cette boîte de nuit magnifiquement située sur la pointe du Décollé, face à la mer, très fréquentée en été par les enfants des riches familles parisiennes qui possédaient des résidences dans la région. Lui-même y allait régulièrement. Il n’y avait plus tellement de boîtes sympas depuis la fermeture du Grand pavois, et plus récemment du Relais corsaire à Dinan, où ils allaient parfois terminer la soirée. Confortablement alcoolisés, ils prenaient des risques énormes en roulant à vive allure sur la route de Ploubalay à Dinan. Par chance, comme sur le « circuit Balcon d’Émeraude », aucun d’entre eux n’avait jamais eu d’accident. – Papa, je me demandais si je ne devrais pas aller présenter mes condoléances aux Morvan. Tu les connais un peu et, comme je les ai dérangés au téléphone en cherchant leur fille, ce serait peut-être plus correct, non ? – Je crois qu’ils y seront sûrement très sensibles. * Comme toujours lorsqu’il commençait ses vacances, Joël passa quasiment une journée entière à dormir. La fatigue accumulée au cours de l’année passée et des nombreuses gardes de réanimation le submergeait. Habitué à se lever dès six heures du matin, il émergea vers dix heures et engloutit un copieux petit-déjeuner pour le grand plaisir de sa mère. Il fit ensuite un saut au marché de Dinard, où il rencontra quelques amis, déjeuna avec ses parents assez tard, puis s’endormit immédiatement après le café. Vers dix-sept heures, profitant d’une éclaircie, il alla faire un tour à pied sur la plage de Longchamp, puis somnola jusqu’au dîner. Et sitôt son repas avalé, il retourna se coucher, non sans essuyer quelques quolibets de sa sœur Gabrielle, à qui il répondit d’un ton bourru que « la bête » avait besoin de récupérer… Le dimanche, le temps était couvert, avec un crachin insistant, et Joël se dit que c’était l’occasion ou jamais d’aller voir les Morvan. Ils allaient sans doute à la messe le matin, mais il avait des chances de les trouver chez eux en début d’après-midi. Il devait bien s’avouer que le motif de sa visite n’était pas uniquement la compassion. Cette jeune fille partie de chez elle pour vivre à Paris avec un Jules un peu glauque, assassinée d’une façon évoquant un règlement de comptes, tout cela l’intriguait au plus haut point. Finalement, la démarche diagnostique en médecine et les enquêtes criminelles avaient des points communs. La maison était située rue d’Armor, non loin du cimetière. Une maison modeste, mais solidement construite à l’ancienne, avec devant, un petit jardin bien entretenu. À peine eut-il actionné la cloche de la grille que des aboiements furieux retentirent. Un abominable petit roquet, de race indéfinissable, arriva de derrière la maison en dérapant dans le tournant et se précipita contre le portillon comme s’il voulait s’assommer dessus. Joël réprima un fou rire. – N’ayez pas peur, il n’est pas méchant. Goliath, ça suffit ! Calme ! Une femme de petite taille, vêtue de noir, venait d’ouvrir la porte et se tenait sur le perron. Cette fois, Joël sourit franchement devant ce nom incroyablement inapproprié à la taille de la bestiole. Goliath se précipita vers sa maîtresse et se mit à sautiller en essayant de lui l****r la main, sa queue frétillant comme un batteur à œufs électrique. – Bonjour, Madame. Vous êtes bien Madame Morvan ? – Oui, Monsieur ? De petite taille, Madame Morvan se tenait très droite et dégageait une impression de force morale peu commune. – C’est à quel sujet ? demanda-t-elle. – Pardonnez-moi de vous déranger un dimanche, je suis le docteur Lecouedec. C’est moi qui vous ai appelé il y a quinze jours. Je me permettais de venir vous présenter mes condoléances. – Oh Monsieur, euh, Docteur, c’est vraiment trop aimable de votre part. C’est un drame affreux. Voulez-vous entrer un instant ? – Je ne voudrais pas vous déranger… – Je vous en prie, cela fera du bien à mon mari, au contraire. Nous allions prendre le café. Madame Morvan fit entrer Joël dans un salon fleurant bon l’encaustique, où se tenaient assis un homme grisonnant et un jeune garçon d’une vingtaine d’années. Ils se levèrent tous deux lorsqu’il entra, suivi par Goliath, devenu silencieux, qui lui reniflait les talons. – C’est le docteur Lecouedec, tu sais, le monsieur qui a téléphoné l’autre jour parce qu’il avait retrouvé les papiers de Françoise. – Ah, Docteur, merci, je suis très touché de votre visite. Voici mon fils Yannick. Il a dix-neuf ans, ajouta-t-il avec une once de fierté. Mince et voûté, Monsieur Morvan avait les cheveux clairsemés et portait une moustache. Le frère dont Joël découvrait l’existence était lui aussi de petite taille, brun aux yeux bleus. On sentait une tristesse infinie sourdre de cette famille éprouvée, mais aussi une grande dignité. Il y avait des photos d’une jeune fille un peu partout sur les murs du salon. Joël ne reconnut pas son visage, mais cela n’avait rien d’étonnant. Françoise avait neuf ans de moins que lui, et les b****s de jeunes du coin d’âge différent ne se mélangeaient pas. – Oui, c’est notre pauvre Françoise. Quelle tragédie, dit Madame Morvan derrière lui. Nous lui avions bien dit que ce garçon était une mauvaise fréquentation, mais les jeunes n’écoutent plus rien aujourd’hui. Elle s’essuya les yeux furtivement. – Voulez-vous un peu de café, Docteur ? Intervint Monsieur Morvan. Nous nous apprêtions à le servir. Asseyez-vous, je vous en prie. Comment vont vos parents ? « Ils viennent de perdre leur fille dans des conditions atroces et la première chose qu’ils font est de prendre des nouvelles des autres », pensa Joël avec admiration. – Ils vont bien, je vous remercie. Je voulais m’excuser de vous avoir dérangé l’autre jour et vous dire à quel point je compatissais au malheur qui vous frappe. « Complètement creux ce que tu sors là, mon vieux », se dit-il en même temps qu’il prononçait ces paroles. – Vous n’y étiez pour rien, Docteur, et voyez-vous, d’une certaine façon, cela nous a un peu préparés à ce qui allait suivre. Nous n’avions pas eu de nouvelles de Françoise depuis trois mois. – Elle était partie sans vous prévenir ? – Nous avions cru bien faire, dit Madame Morvan. Après son bac, elle voulait faire des études de psychologie à Rennes. Devenir éducatrice. Nous lui avons loué une chambre d’étudiante. Elle revenait les week-ends, enfin au début. Et puis, elle a commencé à sortir là-bas, à avoir de drôles de fréquentations. Mais vous savez, on ne pouvait plus lui dire grand-chose. – Oui, la vie en Faculté est très différente. On est d’un seul coup beaucoup plus libre de son temps et ça comporte des risques, répondit Joël. Il remarqua que Yannick le regardait avec insistance. – Et puis elle a commencé à nous dire qu’elle en avait assez des études, qu’elle voulait monter à Paris avec ce Jean-Marcel, un garçon qu’elle avait rencontré à Rennes, et qu’elle ne nous a jamais présenté… – Nous avons fini par nous fâcher, un soir où elle était revenue ici. Nous avons sans doute eu tort, reprit Monsieur Morvan. Et là, elle nous a dit qu’elle était majeure, qu’elle faisait ce qu’elle voulait, que Jean-Marcel avait les moyens de l’entretenir en attendant qu’elle trouve du travail à Paris. Et elle a effectivement disparu. Elle a appelé une fois pour donner ses coordonnées, mais elle nous a interdit de lui téléphoner, sauf cas de force majeure. Elle disait qu’elle reprendrait contact avec nous lorsqu’elle en éprouverait le besoin. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles jusqu’à votre appel. Madame Morvan étouffa un sanglot. Le silence se prolongea. L’ambiance devenait pesante. Joël termina son café et se leva. – Je ne veux pas vous déranger plus longtemps. Si je peux faire quoi que ce soit, n’hésitez surtout pas à me faire signe. Vous pouvez me joindre chez mes parents pendant les trois prochaines semaines. Il se tourna vers Yannick. – On se reverra peut-être dans le coin un de ces jours ? – Je suis souvent à La Potinière en fin d’après-midi. – Eh bien oui, vous pourrez vous y rencontrer, ajouta Madame Morvan manifestement ravie. Notre Yannick est en vacances en ce moment. Il commence à la rentrée ses études de vétérinaire. – Bravo. C’est sans doute plus difficile que la médecine ! Le garçon eut un imperceptible sourire de satisfaction, Joël y vit un signe prometteur. Certain que Yannick aurait quelque chose à lui apprendre, il espérait bien pouvoir gagner sa confiance.
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