Chapitre 19

1433 Words
Chapitre 19 Décembre 1967 Pierre et Anne-Marie attendaient Élisabeth sous la statue de Danton, au carrefour de l’Odéon. Pierre voulait profiter de sa permission du week-end pour acheter un livre de néphrologie que lui avait recommandé son futur patron. Cela lui permettrait de découvrir cette spécialité ardue pendant ses moments d’inactivité. Élisabeth devait chercher un livre de technique chirurgicale. Ils allaient fouiner ensemble dans les librairies médicales du coin, Maloine, Arnette, Le François. – Viens, on va s’installer à la Bonbonnière, il fait trop froid dehors. J’irai l’appeler dès que je l’apercevrai. Ils venaient à peine de commander leurs cafés qu’Élisabeth apparut au milieu des petits groupes qui se donnaient rendez-vous sous la fameuse statue. Pierre alla la chercher. – Désolée, j’ai encore eu du mal à quitter le service à l’heure… – Tu as mangé au moins ? – Je vais juste prendre un croque’ et on y va. Il faut que tu profites de ta permission ! Le livre que Pierre voulait acheter manquait chez Maloine. Mais il était chez Arnette. Celui d’Élisabeth aussi. – Attends, on va voir chez Le François s’ils ne l’ont pas en occasion. Ca vaut le coup s’il est en bon état. Pierre savait que ses parents ne feraient aucune difficulté pour lui acheter un livre de travail, mais il faisait toujours attention au prix. Ils entrèrent dans la grande librairie répartie sur plusieurs étages, remplie de monde ce samedi après-midi. – Tiens, voilà Alain. Salut ! Tout le monde se retrouve ici, à ce que je vois. Alain Mammard leva la tête d’un livre de médecine légale agrémenté de photos plus épouvantables les unes que les autres. – Salut. Comment va ? Dis donc, ils ne t’ont pas raté ! Tu es encore drôlement tondu. – Tu peux le dire. On te retrouve tout à l’heure ? Il faut qu’on cherche des bouquins. – Ouais, d’accord, on dit dans une demi-heure à la Bonbonnière ? Ils continuèrent à fouiller dans les cartons de livres d’occasion à la recherche de leur bonheur. * Après de longues minutes, voyant que l’intrus ne se décourageait pas, la préposée aux admissions se leva avec un soupir d’exaspération et arriva au comptoir en traînant ostensiblement les pieds. – C’est pour quoi ? Buchot se dit qu’on trouvait à l’hôpital le meilleur comme le pire. Des personnes dévouées corps et âme, travaillant dans des conditions incroyablement difficiles ; et puis d’autres, qu’on avait l’impression de déranger chaque fois qu’on leur demandait la moindre chose. – Bonjour madame, dit-il avec son sourire le plus suave en montrant sa carte. Inspecteur Buchot, de la Police Judiciaire. Pardonnez-moi de vous déranger – le sourire se fit plus ironique – mais j’aurais besoin de renseignements concernant une malade qui est décédée dans votre établissement il y a un peu moins de deux mois. Le cerbère ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. Cet intrus – qu’importe qu’il fût de la police – allait la mobiliser pendant un bon moment, elle le sentait. Elle tenta une échappatoire. – Pour ça, il faut aller voir la Direction. Vous avez les papiers pour la saisie du dossier ? – Il ne s’agit que d’une vérification de routine. J’ai seulement besoin de quelques renseignements d’état civil qui doivent se trouver dans le dossier d’admission. – Et vous avez pas ça chez vous ? insista la préposée aux admissions, nullement impressionnée par la qualité de policier de son interlocuteur. – Madame, je vous ai dit qu’il s’agissait d’une vérification. Je vous serais donc reconnaissant de me fournir ces renseignements au plus vite. Je n’ai pas que cela à faire. Le ton s’était fait coupant. Furieuse mais vaincue, l’employée nota le nom de la patiente et la date approximative du séjour, non sans grommeler un invraisemblable « moi non plus »… Histoire d’avoir le dernier mot. Buchot attendit un temps qui lui parut interminable avant que le cerbère revienne. – Voilà, dit-elle en tendant de mauvaise grâce un document dactylographié et annoté. Buchot recopia soigneusement l’adresse de la défunte et le nom de la personne à prévenir. Avis d’aggravation envoyé le 25 octobre à 6 heures 30. Tiens, le nom du concubin lui disait quelque chose. Mais quoi ? Il faudrait qu’il vérifie. Il remercia du bout des lèvres la candidate au prix citron, remit son carnet dans sa poche et s’éclipsa. * Élisabeth marchait à pas pressés sur le boulevard Saint-Germain, son livre sous le bras. Elle devait retrouver Michel chez lui pour lui prêter un livre de médecine. Il l’attendrait avec Gérard et ils devaient dîner tous les trois ensuite. Cette partie du boulevard était nettement moins fréquentée et il n’y avait pas grand monde ce soir. Elle eut soudain l’impression d’entendre des pas derrière elle. Voilà qu’elle devenait angoissée maintenant avec toutes ces histoires ! Elle s’arrêta et se retourna. Personne. Il lui sembla pourtant avoir aperçu une ombre furtive qui se dissimulait derrière un arbre. – Je deviens folle. Elle reprit sa marche. L’immeuble de Michel n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres. * Buchot était de retour dans son bureau, plongé dans ses documents. À cette heure-là, il n’y avait plus grand monde à la Crim’. Il fallait absolument qu’il retrouve ce nom. Il l’avait déjà vu quelque part, il en était certain. Et dans ce cas, cela avait probablement un rapport avec l’affaire. Ces carabins imaginatifs auraient-ils découvert ce qu’il cherchait depuis des mois ? * Cette fois, Élisabeth ne rêvait pas. On la suivait, elle en était sûre. À plusieurs reprises, elle s’était retournée et avait vu quelqu’un, toujours la même silhouette. Et le bruit des pas variait au rythme des siens. Que faire ? Appeler ? Il n’y avait presque personne sur le trottoir. Arrêter une voiture ? On la prendrait pour une folle. Non, la seule solution était de retrouver les autres le plus vite possible. Ce type n’allait quand même pas la suivre dans l’immeuble ! Le cœur battant de plus en plus vite, Élisabeth franchit le porche de l’immeuble et se dirigea vers l’ascenseur. Elle crut défaillir quand elle entendit les pas derrière elle, juste avant que la porte se referme. Elle essaya de se persuader que ce n’était rien, juste un habitant qui rentrait en même temps qu’elle. Mais sa terreur grandissait. Elle laissa l’ascenseur et prit l’escalier, commençant à monter les six étages quatre à quatre. Derrière elle, les pas continuèrent à résonner. Elle entendit la respiration rauque de son suiveur. La panique la gagna. * – Nom d’une pipe en bois ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ! Buchot asséna un v*****t coup de poing sur la table. Il venait de trouver le nom qu’il cherchait. Et du même coup, tout devenait clair. C’était une histoire horrible. Mais le pire, c’est que plusieurs des étudiants étaient en danger de mort. Ce type était prêt à tout, il l’avait montré. Il attrapa son manteau et dévala les escaliers pour chercher sa voiture. Il avait peut-être une chance de le coincer chez lui. * Élisabeth cria au secours tout en montant les escaliers aussi vite que possible, mais personne ne se manifesta et plus elle criait, plus elle perdait son souffle. Peu entraînée physiquement, elle sentait ses jambes faiblir. Heureuse­ment pour elle, son assaillant ne la rattrapait pas. Mais il la suivait à faible distance. Elle l’entendait haleter. Elle savait maintenant qu’il voulait la tuer. Il fallait absolument qu’elle prenne plus d’avance, sinon il la rattraperait avant que les autres ouvrent la porte. * – Qu’est-ce qui se passe, Buchot ? Vous allez avoir un infarctus si vous courez aussi vite ! Le divisionnaire Julien se tenait au bas des marches de l’escalier. Que venait-il faire à la Crim’ ? C’est vrai qu’on le voyait à n’importe quelle heure Quai des Orfèvres. – Monsieur, je sais qui est le meurtrier de la Faculté de médecine ! Pas le temps de vous expliquer, il y a danger pour d’autres ! – Je viens avec vous. Vous m’expliquerez en route. * Élisabeth arriva hors d’haleine et en nage sur le palier du sixième. Elle frappa désespérément à la porte de la chambre de Michel. – Michel, ouvre-moi, vite ! Vite, je t’en supplie ! Les pas étaient de plus en plus proches. L’homme entamait la montée du dernier étage. La porte s’ouvrit à la volée sur un Michel ébahi. – Qu’est-ce qui… – Laisse-moi entrer. Ferme la porte, vite… FERME LA PORTE ! Élisabeth se rua à l’intérieur. Gérard se trouvait au fond de la pièce, en face de la fenêtre. Elle tomba dans ses bras. – Au secours ! Il veut me tuer ! Michel referma la porte d’un geste sec. Une seconde trop tard. Le battant rebondit sur une épaule et un homme fit irruption dans la pièce, haletant, un couteau à la main. Aucun d’entre eux ne le connaissait. Tous se regardèrent en silence pendant un bref instant. On n’entendait que le souffle bruyant d’Élisabeth et de l’homme, cherchant à reprendre leur souffle. Ce dernier émit une sorte de grondement. – s****e ! Il se jeta sur elle, le couteau en avant. Gérard n’avait jamais eu l’occasion de mettre en pratique ses années de travail sur le tatami. Il agit sans réfléchir. D’un geste brusque, il balança sans ménagement Élisabeth sur le côté et pivota souplement en reculant sa jambe gauche, accueillant son adversaire de profil. Le couteau frôla son ventre et plongea dans le vide. Sans cesser son mouvement de rotation, Gérard attrapa le bras armé avec sa main gauche, glissa son bras droit sous l’aisselle de l’assaillant et enchaîna avec un impeccable mouvement d’épaule. Oubliant qu’il était face à la fenêtre. Emporté par un élan irrésistible, Marc Vérut traversa bruyamment les carreaux dans une constellation de verre brisé et s’écrasa six étages plus bas.
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