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1178 Words
Il est quinze heures vingt-cinq. Gabriel entre dans l’agence « Letissier ». Il le fait un bouquet de fleurs à la main. Nous sommes le vingt-quatre septembre. Il y a treize ans, en 2006, Gab rencontrait Marie sur les bancs du lycée. Trois ans plus tard, ils s’embrassaient. Le jeune homme s’en souvient comme si ça s’était produit la veille. Au fond, il n’est pas sûr que Marie s’en souvienne. Elle est probablement trop occupée pour avoir ne serait-ce que notifiée la date du jour. Il espère cependant que ce soit le cas, il mentirait s’il disait qu’il s’en fiche mais, il ne serait pas étonné de la voir confuse face à l’attention qu’il lui porte aujourd’hui. Plus il approche le bureau de la blonde, plus il se sent bête. Il est vrai que depuis leurs fiançailles, leur relation n’est plus ce qu’elle était. Les disputes s’enchaînent, les larmes coulent, les objets volent dans leur appartement parisien… ouais… Plus il approche le bureau, plus il a envie de faire demi-tour. Ce n’était pas une bonne idée et en même temps, peut-être que Marie n’attend que ça ? Le voir là, devant elle, un bouquet à la main à lui dire qu’il se souvient du jour où ils se sont rencontrés… Mouais, peut-être. Le jeune architecte cogne son poing sur la porte du bureau de Mademoiselle Marie Letissier, célèbre créatrice de mode en France. Comparée aux plus grands, la demoiselle a su se faire sa place dans la Mode. Une vraie place. Elle défile, elle organise, elle est connue dans le monde entier. Elle a tout pour elle. Gabriel se sent parfois idiot avec ses maquettes et ses plans d’architecte, mais il est fier de l’accomplissement de son amoureuse. – Bonjour Gab ! ­­lance un employé. Marie n’est pas là ! Prévient-il. Elle est en réunion. Gab soupire. Il fait l’effort de venir, Dieu sait combien de fois il a voulu faire demi-tour et quand il se lance, on lui annonce que sa fiancée n’est même pas là ? Le jeune homme se glisse une main dans les cheveux. Il regarde Jarry, l’employé modèle de Marie. L’assistant de Mademoiselle Letissier précisément. Légèrement efféminé, il est homosexuel et fier de l’être. Contrairement au cliché parfait, il n’est pas maniéré. Il n’a pas les mimiques connues d’un homosexuel. À le voir, si ce n’est que vestimentairement parlant, on ne saurait dire qu’il est attiré par les hommes. Même si au fond, la mode de nos jours, ça ne veut rien dire. Aujourd’hui, plus rien ne veut rien dire. – Elle devrait arriver dans une demi-heure à tout casser ! Précise Jarry. – Je vais attendre, répond Gab. – Tu veux un café ? Propose l’assistant de sa fiancée. Quelque chose ? Le jeune architecte accepte le café et s’assied sur l’une des chaises d’attente. Il pose son bouquet sur celle d’à côté, il étouffe son souffle. Attendre, il peut. Il regarde sa montre puis, il attrape le gobelet en plastique que lui donne Jarry. Il le remercie. Il boit une gorgée du café à l’intérieur. Il fronce un peu les sourcils. C’est chaud et en même temps, pas très bon. Il a connu mieux comme café. – … Donc si jamais tu as besoin, c’est ici que tu me trouveras la plupart du temps ! Entend-il la voix de Marie. Ou alors, dans l’atelier parce qu’en fait, j’y suis le plus clair de mon temps… se souvient la jeune femme. Enfin bref ! Lance-t-elle à un jeune homme. Tu n’as qu’à me téléphoner ou passer par Jarry, il sait toujours où je suis ! Ça oui, il sait. Gaby peut le confirmer. D’ailleurs, il se lève. Il jette son gobelet dans une corbeille. Il sourit à Marie qui renvoie le geste. Elle n’est pas habituée à voir son fiancé ici. Il n’aime pas trop se balader dans l’agence. Gabriel est quelqu’un de très solitaire, très renfermé. Marie est tout le contraire. Toujours entourée, toujours sur le trois cent vingt, toujours à courir partout, à parler à tout le monde, à rire, à crier aussi parfois… vraiment tout son contraire. La solitude de son fiancé est si forte que pour lui, se rendre dans des endroits bondés, comme son agence, c’est une vraie torture. Maintenant elle soupire. S’il est là, c’est qu’ils vont encore se disputer. – Et là, c'est… débute Marie en s’adressant au jeune homme qui marche sur ses pas. Mon fiancé, Gab. Gab je te présente Romain Denis, la nouvelle égérie ! – Gabriel, le reprend sa fiancée, Enchanté, dit-il à Romain. – De même ! Répond l’égérie. Ils se serrent la main, rien de plus. Marie demande à son égérie de finir la visite des locaux avec Jarry. Elle sait que Romain ne sera pas souvent à l’agence, mais visite oblige ! Maintenant, elle se concentre à son fiancé. Fiancé qu’elle considère un moment. Ses cheveux sont impeccables, coiffés sur l’arrière de son crâne. Son costard est parfait. Il est beau. – Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Demande-t-elle. – Hum… débute Gaby. Rien, je… Il savait. Il savait qu’elle avait oublié. Si elle n’avait pas oublié, elle lui en aurait parlé durant la journée et elle ne l’a pas fait. Il le savait et pourtant, il est quand même là. Devant elle, debout et fier de se souvenir de leur rencontre. Il étouffe son souffle. – Ce sont tes fleurs ? Demande Marie, – Non, prétend Gabriel. Elles étaient déjà là quand j’suis arrivé, ment le jeune homme. Marie s’agace alors. Elle prend le bouquet et part le jeter dans la corbeille la plus proche. – Les gens pensent vraiment que des fleurs, c'est ce qu’il me faut ! Lance-t-elle en entrant dans son bureau. J'ai autre chose à faire qu’acheter des vases pour […] Gabriel ne l’écoute plus. Il ne l’entend plus, pour dire vrai. Plus elle s’enfonce dans son bureau, plus la voix de sa fiancée s’étouffe. Son cœur est brisé. Il a mal. Elle ne se souvient vraiment pas ? Le jeune homme s’installe dans l’encadrement de la porte. – Bah entre et ferme derrière toi ! Lance la blonde. Il ne le fait pas. Il regarde juste Marie se séparer d’une veste et s’asseoir sur sa chaise bureautique. – Gab ? le relance Marie. – J’n’ai pas eu le… le contrat pour Énergie… lui confie le jeune homme. Ce que j’ai proposé était, selon eux, trop… trop fade et sans… ambitions particulières. Marie soupire. – Je voulais te le dire avant que tu ne l’apprennes par le net ! Prétend Gabriel. On se voit ce soir. – Gab attend tu- Mais Gabriel s’éloigne loin de se soucier de Marie et de ce qu’elle peut avoir à lui dire. Il grimpe dans l’ascenseur et sort de l’agence sans plus perdre de temps. Il est brisé, vraiment brisé. Si fort que dès qu’il grimpe dans sa voiture, il finit en crise de larmes. Il sait que c’est passager, c’est l’accumulation, c’est tout et rien, mais c’est là. Il est brisé pour de vrai.
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