L'Ombre de l'Aigle

9

9Le nom de Vieusseux n’évoquait plus aujourd hui pour beaucoup de Genevois qu’une cité populaire en pleine reconstruction ou encore un arrêt d’autobus. Combien étaient-ils à savoir que cette famille avait offert un célèbre médecin, Gaspard, et un général ayant servi sous l’empereur, Jean-Louis. Même si ce dernier avait été oublié par le petit Caporal pour la Légion d’honneur…

Hector n’était pas peu fier d’être l’unique survivant de cette lignée que Napoléon avait oubliée, certes, mais ce n’était mentionné dans aucun livre d’histoire et deux cents ans après, faute de témoins, on pouvait raconter ce qu’on voulait.

En apprenant que le professeur Labordon cherchait à réunir les descendants des rares généraux suisses de l’Empereur, il s’était fait connaître. Certains avaient ricané lorsque ce petit manutentionnaire du Musée d’art et d’histoire avait rejoint ce qui ressemblait de plus en plus à une société secrète. Cet imbécile de Dutruit en tête ! Il avait moins ri lorsque Hector Vieusseux avait ouvert une chemise en carton qui datait de son aïeul et exhibé une médaille de Maréchal de camp que Jean-Louis Vieusseux avait porté… Depuis, alors que Dutruit n’avait pas adhéré à leur groupe, Vieusseux en avait acquis le statut de membre à part entière, à côté, entre autres, de Petiet, Berthier, Girard ou Noverraz.

Débouchant sur la place du Bourg-de-Four, Hector Vieusseux aperçut justement Noverraz en pleine discussion derrière la vitre de La Clémence avec une jolie femme. Ce cher Pierrot allait certainement lui payer un verre.

Au moment où il arriva vers eux, la jeune femme se leva et partit sans dire un mot. Hector la suivit des yeux :

– C’est pas la nièce de Galiffe, ça ?

– « Ça », comme tu dis, c’est une de mes collègues, professeure d’histoire au collège.

– Mazette ! Encore un gros cerveau !

Pierre eut un sourire las avant de proposer tout de même quelque chose à boire à son acolyte.