Non, mille fois non. Il ne le pouvait pas. Pour lui-même d’abord : « Ma foi, » se disait-il, « je veux bien me mépriser jusqu’à un certain point, mais pas au delà. Tant qu’il ne m’en avait pas parlé… » Il s’arrêta sur cette idée, puis tout haut, avec un mauvais rire : « Tant qu’il ne m’en avait pas parlé, c’était exactement la même chose… Oui, mais je ne le sentais pas comme maintenant. J’en ai assez de tout ce mensonge… Pouah ! pouah !… » fit-il encore, et il avait dans la bouche une amertume physique, presque une nausée réelle à la pensée de tromper encore Alfred après cette démarche que l’autre avait faite si loyalement, si tendrement. — « Et puis, » songeait-il, « je ne le peux pas pour elle. Quand une jalousie est éveillée, elle ne se rendort jamais tout à fait. Alfred finirait par tout comprendre. Il suivrait sa femme ou la ferait suivre… Voyez-vous cela ? une surprise, un scandale, et cette malheureuse Hélène perdant du coup sa situation, son enfant, une partie de sa fortune sans doute, le tout pour être contrainte de vivre avec moi qui ne l'aime pas… et qu’elle n’aime pas… » Afin de donner de la force au projet de rupture définitive qui déjà s’esquissait dans sa tête, il se complut à considérer cette dernière idée. Non, Hélène ne l’aimait pas. Elle croyait l’aimer, comme elle avait vraisemblablement cru aimer Varades, et les autres ; car il devait y en avoir eu d’autres, en vertu de l’axiome qu’on n’est jamais la première ni la seconde aventure d’une femme. « Si nous rompons, ce sera une scène de larmes à subir, elle aura quelques semaines de mélancolie, de quoi dire à son prochain amant, en levant les yeux au ciel : — Comme j’ai souffert, mon aimé !… — ou bien à sa meilleure amie: — Oh ! les hommes ! les hommes !… » Il eut un moment de vilaine gaieté, puis ses réflexions recommencèrent : « Les singuliers animaux que les femmes ! Voilà un garçon qui a du cœur, de la naïveté, de la foi, comme elles disent ; il sait aimer, c’est encore un de leurs mots, et il faut que sa femme le trompe, pour qui ? Pour un cynique comme moi, qui suis exactement le contraire. Et si ce n’avait pas été moi, ç’aurait été quelqu’un de pire. C’est humiliant pour la vanité, mais rafraîchissant pour la conscience… Oui, ç’aurait été un autre… » Et, à quelques minutes de là : « Le beau raisonnement d’ailleurs pour me justifier ! Si on l’appliquait à l’assassinat ? — Si je ne vous tue pas aujourd’hui, vous mourrez tôt ou tard de quelque autre façon. — La vérité, c’est que l’adultère est une grande saleté. Pouah ! pouah !… » Il rentrait chez lui en repassant et repassant ces tristes conclusions. Quand il fut de nouveau dans son salon et devant le fauteuil où Alfred s’était assis le matin, il se sentit plus incapable encore de continuer à être l’amant d'Hélène, — non, pas deux jours, pas un jour de plus. « Il faut en finir et rompre, et tout de suite, » disait-il à voix haute. Il s’assit à sa table pour écrire à Hélène, mais un billet qui lui demandait seulement un rendez-vous, car, de briser par lettre et de lui laisser à elle une telle arme entre les mains, c’était folie. S’en aller sans la revoir, comme cela lui était arrivé avec plus d’une maîtresse ? Dans la circonstance c’était impossible : il aurait dû renoncer aussi à jamais revoir Alfred. Il fallait donc se résigner a une rupture par scène. Le tout était de choisir l’endroit. Chez elle ? Et si elle allait avoir une crise de nerfs et que l’on vînt ?… Rue de Stockholm ? Mais si elle se jetait entre ses bras, et si la fièvre des sens le faisait la reprendre pour la quitter ensuite, comme un manant, après l’avoir possédée ? Non encore : « Ici est, malgré tout, préférable, » se dit-il ; « le domestique à la porte, c’est assez pour que je ne lui cède pas… Et si elle a une attaque de nerfs, j’ai ma petite pharmacie de voyage… » et il griffonna un billet de forme absolument correcte. Au cas où Alfred aurait surpris cette missive, il n’y aurait trouvé que l’offre très naturelle, avec un degré un peu exceptionnel d’intimité, de montrer à Hélène des albums pour le choix d’un costume de bal travesti. Il prétextait, afin de justifier le rendez-vous donné chez lui, la grandeur des albums et la difficulté de les transporter. Quand il eut envoyé cette lettre, une mélancolie s’empara de lui. Une subite vision lui montrait d’avance la joie qu’éprouverait Hélène au reçu de ce billet. Les deux fois qu’elle était venue dans l'appartement de la rue Lincoln, ç’avait été pour elle une fête du cœur. Quelle déception l’y attendait le lendemain ! « Allons, allons, « se dit Armand, « de l’énergie ! Dans un petit mois je serai à Londres pour la Saison. A mon retour, ils prendront leurs vacances hors de Paris. Cette vilaine histoire aura fini mieux que beaucoup d’autres… Pauvre Alfred !… Il est toujours temps d’agir en honnête homme… » Il se le disait, et notre misérable cœur est si ingénieux à se piper lui-même, qu’en se le disant, il le croyait. Il était un peu plus de deux heures de l’aprèsmidi, le lendemain, lorsque Hélène Chazel entra dans ce même salon de la rue Lincoln où son mari avait parlé la veille, et son amant pensé, d’une manière qui lui eût terrassé l’âme de désespoir si elle avait pu connaître et ces paroles et ces pensées. Mais elle ne savait qu’une chose, sa profonde joie de revoir son ami après un si long temps. Ces quarante-huit heures venaient de lui paraître interminables. Elle avait bien eu, en passant devant le domestique, un petit mouvement d’émotion nerveuse, quoiqu’elle eût son voile sur son visage et que cet homme ne dût vraisemblablement jamais connaître son nom. La joie du revoir était la plus forte, — la joie et aussi l’anxiété. Depuis qu’elle avait perdu la certitude enivrée des premiers temps de leur amour, elle ne se séparait jamais d’Armand sans se demander : « Comment le retrouverai-je ?… » Et encore maintenant, tandis qu’il la débarrassait de son manchon et de son manteau, elle était à la fois ravie et inquiète. Elle enleva sa voilette et alors seulement elle lui dit : « Bonjour, » en posant sa tête sur l’épaule du jeune homme et le regardant ; il lui suffit de ce regard pour discerner dans sa physionomie les signes avant-coureurs de la conversation qui se préparait. Il ne lui avait rien dit, et déjà elle savait qu’il ne l’avait point fait venir pour lui montrer des albums, que l’excuse de la veille pour ne pas la voir était mensongère, qu’un événement grave s’était produit… Mais lequel ? Lors de leur promenade au Jardin des Plantes, — il y avait de cela juste deux jours, — il avait été plus câlin, plus tendre, moins refermé que d’habitude. Elle avait presque osé sentir tout haut devant lui. Un soudain passage avait de nouveau brouillé l’intimité entre eux… Qu’allait-il dire ? Il l’avait forcée de s’asseoir sans lui avoir donné d’autre caresse que de flatter ses cheveux avec la main, et il commençait de lui parler, lui racontait la visite d’Alfred la veille, le début de leur explication, la rencontre au Jardin des Plantes. « Vous m’avez tant reproché d’être trop prudent. Vous voyez si je me trompais en vous affirmant qu’il devenait jaloux. Que vous a-t-il dit, le soir ? » — « Rien, » fit-elle. Quoique cette naissance de la jalousie chez Alfred et l’évidence de son mensonge à elle fussent des faits d’une conséquence bien grave pour sa sécurité, ce qui lui importait en ce moment, c’était de savoir comment son amant avait défendu son amour, — leur amour, — et elle demanda : « Que lui avez-vous dit vous-même ? » — « Si j’avais été seul en jeu, » reprit Armand, « vous comprenez bien que je n’aurais pas rusé devant cette loyauté. En définitive, je l’ai outragé, il a droit à toutes les réparations et j’aurais éprouvé un grand soulagement à les lui offrir toutes… Mais il s’agissait de vous, et je lui ai donné ma parole qu’entre vous et moi il n’y avait jamais eu que des rapports d’amitié… » Il s’arrêta une minute, puis, avec une visible irritation : — « Comme ce n’a jamais été notre habitude, ni à lui ni à moi, d’avoir deux de ces paroles-là, une vraie et une fausse, il m’a cru, et pour le moment, il est calmé… » Elle l’écoutait et le regardait, tandis que luimême regardait le feu, les coudes sur les genoux, le menton sur les mains. Elle se demandait : « Si nous étions acculés à cette extrémité, m’aimerait-il assez pour partir avec moi, pour me donner toute sa vie et accepter toute la mienne ? Mais où veut-il en venir ?… » Elle se taisait, absorbée dans l’attente de ce qui allait suivre et qu’elle ne prévoyait pas encore. Il se servit, lui, de sa dernière phrase pour continuer, il répéta : — « Il est calmé… pour le moment, » et il souligna ces trois mots. « Mais nos relations vont être rendues bien difficiles… Voyez-vous, pour un homme qui ne se défie pas, tout ce qui devrait faire preuve contre, fait preuve pour… Quand on se défie, c’est le contraire qui arrive… Ai-je raison ? » Il était gêné du silence qu’elle continuait à garder. Appuyée sur le dos de son fauteuil, les mains allongées sur les deux bras de ce fauteuil, la bouche entr’ouverte, comme haletante, elle épiait sur le visage de son amant un passage d’émotion tendre. Elle n’y lisait que la sécheresse de la réflexion avec laquelle on établit les données d’une affaire. Sa voix surtout, cette voix dont elle connaissait les moindres nuances, cette voix qui se coulait toujours dans les moindres replis de son cœur, — ah ! cette voix avait une dureté cruelle, presque métallique. Allons, encore un épisode à joindre à la longue histoire de son martyre, ce supplice d’être enchaînée à une âme morte où ce qui la faisait se tordre de douleur n’éveillait même pas une vibration ! Pourtant à cette demande: « Ai-je raison ? » elle répondit d'une voix étouffée d'inquiétude : — « C’est possible… vous vous y connaissez mieux que moi, » puis, avec un effort : « Et quelle conclusion en tirez-vous ? » — « Promettez-moi d’abord, » répondit Armand, « que vous ne prendrez pas mal ce que je vais vous dire… Soyez persuadée que je n’aurai jamais rien en vue que votre intérêt… Vous n'en doutez pas ?… » Pourquoi Hélène, à ces simples mots, baissa-t-elle la tête, comme si elle avait lu distinctement sur cette bouche les fatales paroles de la rupture ? Pourquoi fut-elle sur le point de crier, comme la condamnée de la Terreur : « Monsieur le bourreau, encore un moment ? » Ah ! pourquoi le cœur qui aime possède-t-il cette seconde vue qui redouble les malheurs en les devançant ? — « Il faut, » reprenait le jeune homme, « supporter une séparation de quelque temps, jusqu'à ce que les soupçons d'Alfred soient endormis… Quatre ou cinq mois, six peut-être, pas davantage… Je vous faciliterai tout, en m’en allant de Paris moi-même, quoique cela me gêne beaucoup en ce moment… Mais votre repos d’abord, n’est-ce pas ?… » Il continuait. Elle ne l’écoutait plus. Ce qu’elle voyait devant elle, ce n’était pas le danger. Qu’est-ce que cela lui faisait, le danger ? Il n’y avait qu’un malheur pour elle, celui de ne pas voir Armand. Il parlait de quatre ou cinq mois de séparation, six peut-être, comme il eût parlé de la beauté du jour, d’une pièce nouvelle, d’une visite à rendre. Cela lui paraissait tout simple, à lui, de ne plus être dans la ville où elle était, de perdre l’habitude si douce de leurs entrevues quotidiennes ! Non, non, cet homme ne l’aimait pas. — « Et vous m’annoncez cette nouvelle comme cela, tranquillement, » dit-elle ; « et si vous ne m’aimiez plus après cette absence, que deviendrais-je ? Que me resterait-il ?… » — « Je vous en supplie, » répondit Armand impatienté, parce qu’il sentait la conduite de leur entretien lui échapper, « ne mêlons pas les questions. Il s’agit en ce moment de la jalousie de votre mari et de votre sûreté… Une absence est-elle nécessaire, oui ou non ? Tout est là. » — « Et si je vous proposais un autre moyen ? » interrogea-t-elle. « Mon mari est jaloux, soit. Ma sûreté est compromise, soit. Alors, emmenezmoi avec vous. J’aime mieux tout perdre et vous garder… » Et elle le dévorait des yeux en prononçant ces phrases. Il était bien obligé de montrer le fond de son cœur cette fois. Elle était dans un de ces passages où l’on joue le tout pour le tout, afin de savoir, — oui, savoir la vérité, la tenir, l’étreindre, la palper comme un corps, fallût-il en mourir !… — « Vous savez mieux que moi, » réponditil, « que je ne peux pas faire cela, et pourquoi. Vous oubliez votre enfant. On prend une femme à un mari, mais une mère à un fils, jamais ! » — « Ah ! » s’écria-t-elle, « pourquoi ne me dites-vous pas que vous ne m’aimez plus ? Pourquoi ces phrases, ces ménagements ? Est-ce que vous croyez que je n’ai pas le courage de regarder la réalité en face, quelle qu'elle soit ?… Je te le jure, Armand, tu serais moins cruel de me le dire tout de suite… Armand, dis que tu ne m’aimes plus, je le comprendrai, je ne t’en voudrai pas, je m’en irai toute seule avec ma douleur… Une douleur causée par toi, ce sera encore quelque chose de toi, — mais ne me laisse pas dans cette horrible incertitude, mais ne me parle pas de t’en aller loin de moi avec cette froideur, cette indifférence, si tu m’aimes… Mon Dieu ! Que je souffre !… » L’émotion tirait sa bouche de côté, son souffle devenait court, et des larmes jaillirent de ses yeux, de grosses et lourdes larmes, qui roulèrent sur sa joue une par une, en y laissant comme des raies. — « Nous y voici, » se disait Armand, et ces larmes, au lieu de l’attendrir, l’énervaient jusqu’à la colère. Il ne sympathisait pas avec cette souffrance, comme avec celle d’Alfred, peut-être à cause de la différence des sexes qui veut que la peine de la femme ne nous soit pas toujours intelligible comme la peine d’un homme, notre semblable. Parfois aussi l’impression de lâcheté que nous ressentons à faire souffrir une maîtresse, en nous abaissant à nos propres yeux, nous irrite au point d’empêcher l’attendrissement. Il s’était levé, il marchait dans la chambre et songeait : « Pourquoi ne pas en finir tout de suite ? » Et tout haut : « Je ne sais vraiment pas ce qui vous fait pleurer… Dans ce que je vous ai dit, il n’y avait rien qui ne respirât la plus profonde affection pour vous… » Comment n’eût-elle pas remarqué qu’il ne se servait déjà plus du mot : amour ? « Mais puisque vous exigez que je vous parle bien franchement, je vous obéirai… Non, ce n’est pas seulement pour vous que je vous demande cette séparation, c'est aussi pour moi… Il y a aujourd’hui entre nous deux, Hélène, une barrière qu’un homme d'honneur ne peut pas franchir. » — « Laquelle ? » répondit Hélène, qui trouva la force de relever son pâle visage taché de pleurs. — « La confiance absolue d’un autre homme, » répliqua-t-il brusquement. « En venant ici, à cette place, Alfred ne m’a pas seulement parlé de sa jalousie, il m’a montré une estime, une amitié que je renonce à vous décrire… Il me soupçonnait et il est venu à moi le cœur ouvert. Pas une petitesse dans ce cœur, pas une amertume… Mais une beauté de sentiment, une droiture, une sincérité d’amitié !… Non, Hélène, je ne peux plus tromper cet homme-là, je me mépriserais trop… » — « Hé bien ! et moi ? » s’écria-t-elle en se levant à son tour. Cet éloge de son mari par son amant achevait de la bouleverser, et la colère la gagnait. « Est-ce que je n’ai pas marché sur tout cela, pour venir à vous ? Est-ce que vous croyez que j’étais née pour trahir et pour mentir ? Est-ce que vous avez hésité une seconde à me demander de tromper cet honnête homme, cet ami confiant, quand vous aviez envie de moi ?… Ah I vous n’en avez pas eu honte pour moi, et vous en avez honte pour vous !… Je vous défends de parler d’honneur, de foi parjurée, d’amitié trahie, vous n’en avez pas le droit, puisque c’est vous, vous, entendez-vous bien, sur qui tout retombe. Est-ce que c’est vous qui m’avez suppliée d’être à vous ? Répondez à votre tour, oui ou non ? » — « Je vous demande bien pardon, » reprit Armand. « Rétablissons les faits. Nous nous sommes aimés. Vous n’étiez pas une jeune fille, que je sache. Je n’étais pas un adolescent. Nous ne débutions pas dans la vie, nous étions deux personnes d’expérience, n’est-il pas vrai ? Nous savions où nous allions. Je vous devais de ne pas vous compromettre. Ai-je parlé de vous à âme qui vive ? Je vous devais de ne pas troubler votre repos. Je le trouble et je m’efface. Quant à ma conscience, permettez-moi d'être le seul juge de ce qu’elle me commande et de ce qu’elle me défend. » — « Et dans six mois, » répliqua Hélène, « votre conscience sera plus accommodante ? Allons, soyez logique et franc. Ce n’est pas une séparation momentanée que vous voulez, c’est une rupture… Que je vous l’entende dire du moins, puisque vous voulez qu’on vous estime. » — « Oui, » répondit avec brutalité le jeune homme que la subite révolte de cette femme, d’ordinaire si douce, si soumise, exaspérait. — « Ainsi, vous vous croyiez quitte de tout devoir envers moi… » continua-t-elle… « Vous me laissiez comme cela, toute seule… Vous partiez, vous m’auriez écrit cinq ou six lettres, puis rien !… Vous vous seriez dit ces belles phrases : — Nous savions où nous allions… elle n’était pas une jeune fille… nous étions deux personnes d’expérience. — Je serais curieuse, » ajouta-t-elle avec l’ironie douloureuse que donne la fureur croissante, « de savoir au juste ce que vous entendez par là ? » — « A quoi bon ? » fit-il. — « Je veux savoir, » reprit-elle avec véhémence ; « j’ai bien le droit de connaître au moins ce que vous pensez de moi. » — « Vous arriverez à me faire vous dire des phrases que vous regretterez, » répliqua-t-il; « mais à votre tour, répondez-moi. Est-ce que vous croyez que je ne connais pas votre vie ? » — « Ma vie ? » interrogea Hélène comme écrasée d’une stupeur que le jeune homme prit pour l'épouvante de cette subite révélation. — « Voulez-vous des faits ? » reprit-il plus âprement, « vous les aurez : avez-vous oublié votre liaison avec M. de Varades ? » — « Ah ! » s’écria-t-elle, « mais c’est une infamie !… M. de Varades !… » Et elle se passa les mains sur le front avec égarement. « Dites que vous n’avez pas cru cela, je vous en supplie… Mon amour, dis que tu n’as pas eu cette idée de moi… Oh ! dis-le, dis-le, dis-le ! » — « Je l’ai cru, » répondit-il, le cœur fermé à ce cri de sa maîtresse par la sèche et méchante jalousie du passé dont une triste anomalie de sa nature l’avait toujours fait un peu souffrir auprès d’elle, bien qu’il ne l’aimât point. — « Alors, » dit Hélène que cette réponse venait de glacer, « si vous l’avez cru, pourquoi ne m’en avez-vous jamais parlé ? Si cette pensée vous a dominé quand vous m’avez demandé d’être à vous, si vous avez jugé que vous aviez moins de responsabilité envers moi, à cause de cela, pourquoi n’avez-vous pas douté ? Est-ce que vous en étiez sûr ? Est-ce que vous l’aviez vu ?… Est-ce que je n’avais pas une chance pour que ce ne fût pas vrai, — une chance, une seule chance ? Mais savez-vous que c’est un crime que de prendre tout le cœur d’une femme, et de garder sur son cœur à soi de ces idées-là ? »